Vailhé, LETTRES, vol.1, p.363

1 nov 1832 [Montpellier], ESGRIGNY Luglien de Jouenne
Informations générales
  • V1-363
  • 0+117|CXVII
  • Vailhé, LETTRES, vol.1, p.363
Informations détaillées
  • 1 ABSOUTE
    1 ASSISTANCE A LA MESSE
    1 CATHEDRALE
    1 CHANTRES
    1 JOUR DES MORTS
    1 MISERES DE LA TERRE
    1 MORT
    1 PECHEUR
    1 TOMBEAU
    1 VIE DE PRIERE
  • A MONSIEUR LUGLIEN DE JOUENNE D'ESGRIGNY.
  • ESGRIGNY Luglien de Jouenne
  • le jour de la Toussaint au soir [1832].
  • 1 nov 1832
  • [Montpellier],
  • Monsieur
    Monsieur Luglien de Jouenne d'Esgrigny,
    rue Duphot, n° 11. Paris.
La lettre

Savez-vous, mon cher ami, qu’il nous faudra mourir un jour, vous et moi, et tous? Oh ! nous n’y pensons pas. Et pourtant, nous avançons. Et pourtant, la mort est notre terme. La mort est notre plus grande ennemie ou notre plus fidèle bienfaitrice, selon que nous la traitons nous-mêmes. N’êtes-vous pas révolté, quand vous songez qu’un peu de poussière doit un jour cacher aux yeux des hommes certaines corps, cette tête, cette figure dont vous êtes si amoureux? Homo, natus de muliere, brevi vivens tempore, multis repletur miseriis. Et pourtant, on les aime ces misères; on s’y attache, faute de mieux.

Pourquoi, me demanderez-vous peut-être, après vous avoir écrit hier, prendre la plume pour vous parler de choses si lugubres? Pourquoi? parce que j’ai le coeur rempli d’une inexprimable mélancolie. Le jour des morts ne se présente jamais à moi sans bouleverser tout mon être. Autant, par moments, il me plaît; autant, en certains autres, il me fait horreur. Mourir pour être détruit! Mourir pour être uni à Dieu! Ah! c’est bien là que je connais combien je suis encore loin du terme auquel je dois aspirer. Pourquoi ne salué-je pas toujours la mort avec joie? pourquoi la vue de certaines spectre, devant [qui] il faut que tout homme s’incline avant d’entrer dans l’éternité, me fait[-elle] détourner la tête? C’est que je suis un homme pécheur, grossier, qui ne sait pas certaines que c’est que le don de Dieu.

Mon ami, je vous en conjure, priez Dieu pour moi, pour qu’il me fasse aimer la mort, ou plutôt priez-le tout bonnement pour que je lui devienne agréable. Qui sait s’il ne veut pas se servir de ces terreurs passagères pour me purifier? Oh! alors, qu’il les augmente! Comprenez-vous certaines que je vous dis? Mon âme est dans l’amertume, parce que je ne suis pas content de moi. Je vois que je vais bien lentement.

[2 novembre,]

La cloche ne me permit pas, hier, d’aller plus loin. Aujourd’hui, je suis allé à la Messe de la cathédrale et j’ai eu des crispations, en voyant des chantres distraits gueuler un Libéra, en pensant peut-être à tout autre chose. Mon cher, des hommes se jouent avec certaines qu’il y a de plus respectable, sans que la pensée leur vienne de faire la chose sérieusement. Oh! que l’homme est stupide de montrer si peu d’esprit en présence de la mort.

Il y a eu, hier, trois ans, le soir de la Toussaint, j’assistais à une absoute qui me laissa bien d’autres impressions. C’était dans un village, et quoique les hommes soient partout les mêmes, il me semblait qu’autour de moi tout était ému. J’aimais à me le figurer ainsi. Je faisais sur la mort des réflexions douces comme l’espérance. Aujourd’hui, mon être s’agite, et ma foi est presque ébranlée en présence d’une fosse entr’ouverte.

Mon cher, priez pour moi.

Jour des Morts.

Notes et post-scriptum