Vailhé, LETTRES, vol.1, p.380

29 jan 1833 [Montpellier], ALZON_AUGUSTINE
Informations générales
  • V1-380
  • 0+125|CXXV
  • Vailhé, LETTRES, vol.1, p.380
  • Orig.ms. ACR, AB 1.
Informations détaillées
  • 1 ANIMAUX
    1 APOSTOLAT
    1 AUTEL
    1 CATHOLICISME
    1 CHARITE ENVERS LE PROCHAIN
    1 COLERE
    1 ENSEIGNEMENT
    1 EXAMENS SCOLAIRES
    1 EXTENSION DU REGNE DE JESUS-CHRIST
    1 FLEURS
    1 FRUITS
    1 HUMILITE
    1 LOISIRS
    1 MAITRES
    1 MALADIES
    1 MINISTERE
    1 MIRACLE
    1 NEUVAINES DE PRIERES ET DE PENITENCES
    1 NUTRITION
    1 PROVIDENCE
    1 REMEDES
    1 REPAS
    1 REPOS
    1 SALUT DU GENRE HUMAIN
    1 SANTE
    1 SEMINAIRES
    1 TRAVAIL DE L'ETUDE
    1 VOCATION
    1 VOLONTE DE DIEU
    2 ALZON, MADAME HENRI D'
    2 BRIDOISON
    2 COMBALOT, THEODORE
    2 DUFORT, LIBRAIRE
    2 GOLFIN, PROSPER
    2 HOHENLOHE, ALEXANDRE-LEOPOLD VON
    2 LAMENNAIS, JEAN-MARIE DE
    2 LERMINIER, JEAN-LOUIS-EUGENE
    2 MONTALEMBERT, CHARLES DE
    2 PUYSEGUR, MADAME ANATOLE DE
    2 SALINIS, ANTOINE DE
    2 VERNIERES, JACQUES
    3 ALLEMAGNE
    3 EUROPE
    3 FRANCE
    3 ROME
  • A SA SOEUR AUGUSTINE (1).
  • ALZON_AUGUSTINE
  • le 29 janvier 1833.
  • 29 jan 1833
  • [Montpellier],
  • Mademoiselle
    Mademoiselle Augustine d'Alzon,
    rue de la Planche, n° 10.
    Paris.
La lettre

J’ai, ma chère petite soeur, reçu ce soir ta lettre du 25 janvier; et comme je veux, s’il est possible, y répondre longuement et amplement, je viens de demander à M. Vernière la permission de me coucher un peu plus tard, afin que l’examen que j’ai à préparer ne souffre pas trop de notre correspondance. Il faut bien te dire que j’avais pris la résolution de ne plus écrire, d’ici au 15 février, que pour donner le bulletin de ma santé, afin de me bien fourrer dans la tête ce que c’est qu’une coutume, ou une loi irritante, une propriété, le principe qui et le principe par qui; mais il faut te confesser aussi que l’envie de recevoir un peu plus souvent des lettres comme celle qu’on m’a remise ce soir, m’a fait manquer à toutes mes promesses. Je te le mets sur la conscience.

Les détails que tu me donnes sur M. Combalot et sur son oeuvre m’ont vivement touché. Tu ne saurais croire combien, dans ce moment, Dieu manifeste à des personnes pieuses la nécessité de régénérer le monde par des entreprises de ce genre. Tu serais étonnée, si je te faisais part de toutes les idées qui, sur ce point, sont venues à la tête d’une foule de personnes en France et même en Allemagne; et cela, sans qu’elles se fussent le moins du monde entendues. Chacune, dans sa sphère, travaille à l’oeuvre de Dieu, sans se douter de ce qui se passe à côté d’elle; et cependant, Dieu conduit toutes choses dans le silence, avec un ensemble merveilleux et une unité de desseins qui feraient croire aux plus durs, s’ils pouvaient soulever le voile, que nous ne sommes pas encore abandonnés à nous-mêmes. Les uns tentent beaucoup de choses qui, sans doute, seront sans résultat; mais, au milieu d’une foule d’efforts inutiles, de tentatives avortées, il faut croire que quelque bon fruit restera et que Dieu, choisissant ceux qui ont été le plus fidèles à sa voix et qui, pour mieux l’entendre, ont fermé l’oreille à toute parole humaine, leur donnera la mission de recatholiciser l’Europe.

Un fait est aujourd’hui incontestable, c’est que la semence est jetée; tous les germes ne lèveront pas peut-être, mais plusieurs lèveront, et c’est ce qui suffit. Mais je ne veux pas entrer dans une dissertation que tu ne me demandes pas, et pourtant, elle a le plus grand rapport avec la question que tu m’adresses à la fin de ta lettre. Tu veux savoir quels sont mes projets pour l’année prochaine. Je te parle dans toute la sincérité de mon âme: je n’en sais rien. Si jamais je t’ai parlé de ma vocation, je crois t’avoir dit qu’elle était née en moi par un grand désir de me consacrer à la défense de la religion.

Pendant plusieurs années, j’ai bien mûri cette pensée. Je me suis bien convaincu que, au temps où nous vivons, il n’y a que misères et fatigues sans consolation dans toute carrière ordinaire, parce qu’on n’y voit que les hommes, et je t’avouerai (ne va pas m’accuser de misanthropie) que je ne puis en général aimer les hommes que pour Dieu.

J’ai cru cependant que j’étais appelé à vivre au milieu d’eux. La Trappe ou la Chartreuse me convenant fort peu, j’ai dû chercher par quel moyen je pourrais servir Dieu. dans le monde. Ce moyen, je ne l’ai pas encore trouvé. Cependant, il est certains faits dont il m’est impossible de douter. Ainsi je crois, aussi fortement que deux et deux font quatre, que Dieu me veut dans l’état ecclésiastique; je crois qu’il ne m’appelle pas à l’exercice du ministère; je crois, d’après sa conduite passée à mon égard, que si je n’y mets aucun obstacle, lorsque le moment sera venu, il me fera connaître où il me veut; je crois enfin qu’il n’est pas bon pour moi de trop envisager l’avenir, parce que, pour vouloir trop le sonder, j’apporterais immanquablement quelques vues trop humaines qui gêneraient les vues de la Providence.

Que si tu veux encore savoir quelques probabilités, tu peux demander à ma mère la proposition que m’a faite M. de Salinis(2), mais en te rappelant toujours que ce n’est qu’un projet humain et qui, par cela même, a pour moi de grands éléments de non-succès. Je t’avouerai cependant que je ne crois pas que la vie morale de ce Séminaire me convienne longtemps. Ma santé physique s’y fortifie, il est vrai, tous les jours, mais le corps n’est pas seul sujet aux maladies. Ne va pas t’effrayer pour cela, car tu ne comprends peut-être pas de quoi je veux te parler. C’est une espèce de racornissement intellectuel avec lequel on rit, on s’amuse, et qui, pourtant, vous rapetisse intérieurement et peu à peu vous bouche l’esprit.

Tu en sais à présent autant que moi sur mon avenir; car tu concluras facilement de tout ce que je viens de te dire que j’ai certaines idées positivement arrêtées, d’autres fort incertaines, que, par conséquent, je ne puis rien te dire de fixe. Il faut pourtant que je me couche. Demain, je te parlerai d’autre chose.

Mercredi, 30 janvier.

Je rentre de la promenade que j’ai un peu abrégée pour avoir le temps de finir. Je suis dans la chambre de M. Vernière, parfaitement établi et disposé à causer longuement.

Il y a longtemps que je ne suis sorti, ainsi je n’ai pas de nouvelles extérieures à te donner. Mais ce qui fait causer dans tout le Séminaire, c’est la visite domiciliaire qui a eu lieu hier. Cette visite se fait à tout le moins une fois l’an. MM. les directeurs se croient obligés d’aller faire des descentes sur les provisions que l’on est censé obligé à ne pas avoir. Ces visites donnent toujours lieu à quelque incident(3) intéressant. Hier, par exemple, on trouva un boisseau de noix chez un élève, et comme on voulut que le Séminaire eût part à une aussi copieuse provision, un directeur (M. Vernière, je crois) les prit et les jeta par les fenêtres. Tu juges qu’elles ne restèrent pas longtemps à terre. On devait porter à un élève un saucisson, marchandise prohibée et de contrebande. Il se plaignait depuis plusieurs jours qu’on ne le lui eût pas remis, et voilà qu’on le lui fait passer pendant qu’avait lieu la visite. Quelques heures plus tôt, le saucisson tombait entre les pattes directoriales, qui ne l’eussent pas lâché, selon toute apparence.

Les détails que tu me donnes sur ta santé me font de la peine. Je ne puis croire cependant que ces vertiges puissent durer longtemps; quant à ce que je puis y faire, sois assurée de la première place pour les miracles que je me propose de faire. Il est pourtant bon de t’avertir que mon humilité seule m’empêchera d’en faire d’ici à quelque temps et que si, avant cette époque, tu trouves quelque remède qui te débarrasse de ton mal, je ne t’en voudrai pas de ne m’avoir pas donné ta pratique. Tu seras peut-être bien aise de savoir que le prince de Hohenlohe vient de faire un miracle pour rendre la langue à quelqu’un qui en avait perdu l’usage à la suite d’un accès de colère. Il prie neuf jours dans le mois pour les personnes qui, sans lui écrire, s’unissent de prières avec lui. C’est, je crois, le 1er, le 2, le 3, le 11, le 12, le 13, le 21, le 22, le 23, de 7 à 9 heures du matin. Il est trop tard pour commencer une de ces neuvaines avec le mois de février, mais si tu veux que nous en fassions une à partir du mois prochain, nous verrons si le prince de Hohenlohe en saura plus long que M. Golfin ou M. Lerminier.

Tu me fais beaucoup de plaisir en m’apprenant la visite de M. de Montalembert; s’il revient voir ma mère, tu auras soin, je l’espère, de me l’apprendre. Engage M. Combalot à te parler avec détails de l’affaire de M. de la Mennais et de ce qui se passe à Rome. Ce sont des détails qui m’intéressent trop pour que je n’aie pas la plus grande envie de les connaître tous.

Je reviens sur le commencement de ma lettre, pour te prévenir que j’exige que maman, à qui je pense que tu la montreras, n’en parle absolument à personne. Je ne sais comment je m’y prends, mais j’ai le malheur de ne jamais me bien faire comprendre. Cela vient, je crois, de ce que je dis toute la vérité et qu’on veut y voir encore plus que ce que je dis. Je te recommande donc la discrétion. Tu me diras peut-être que je fais la réponse de Bridoison: sur tout cela je ne sais que vous dire, mais il est peut-être essentiel que l’on sache ici que je ne sais que dire, et si tu savais tous les bruits absurdes qu’on a déjà forgés, tu verrais que j’ai bien raison.

Je remets encore à une autre fois la conclusion de ma lettre.

31 janvier.

La question que tu m’adresses au sujet des fleurs que maman se propose de faire pour le Séminaire vient on ne peut plus à propos. M. le supérieur avant voulu qu’on enfermât celles qu’on avait dans une armoire, où les rats ont trouvé le moyen de pénétrer. En deux nuits, ils les ont toutes effeuillées pour en manger la colle: ce matin, on a ramassé de pleines corbeilles de pétales. J’avais, l’année passée, fait cadeau de quelques roses magnifiques; ce sont surtout celles là sur lesquelles ils se sont le plus acharnés; ils ont tout rongé. Ma mère peut donc en envoyer autant qu’elle voudra. Quant à la grandeur des bouquets, il n’est pas nécessaire qu’elle s’en occupe, s’il lui est plus commode d’envoyer les fleurs détachées, parce qu’il y a des jeunes gens très adroits qui les montent et les démontent à merveille. Ils se chargeront, par conséquent, de les adapter à la grandeur des vases auxquels on les destine. Si maman veut donc faire une garniture d’autel, c’est-à-dire assez de fleurs, de grosses roses surtout, pour six vases, elle peut être sûre que son cadeau sera bien reçu; si elle en envoie davantage, on le prendra tout de même.

Je prie Marie de me pardonner, si je renvoie au delà de l’examen ma réponse à sa lettre. Si elle a du temps, je la prie de me faire la description de votre appartement, pour que je sache dans quelle chambre elle couche, dans quelle pièce maman reçoit, où vous mangez, afin que je sache où vous retrouver. Je serais bien aise qu’elle me dise à quelle heure viennent ses maîtres, afin de pouvoir encore la suivre dans ses travaux.

Adieu, ma chère petite soeur. Voilà une lettre qui, j’espère, répond à la tienne. Je ne la ferme pas, parce que je vais sortir et qu’au retour j’aurais peut-être encore quelque chose à t’apprendre.

Me voilà revenu; je n’ai rien de nouveau à t’apprendre. Je te prierai seulement de vouloir bien faire porter chez Dufort la note ci-jointe et de remettre à M. Combalot la lettre que je mets dans celle-ci. Il aura la bonté de la remettre au caissier de l’Avenir, dont je n’ai pas pu lire le nom. Adieu.

Emmanuel.
Notes et post-scriptum
1. Reproduite dans *Notes et Documents*, t. Ier, p. 272-277.
2. D'aller à Juilly. Voir la lettre CXXXIV, en note.1. Reproduite dans *Notes et Documents*, t. Ier, p. 272-277.
2. D'aller à Juilly. Voir la lettre CXXXIV, en note.
3. Le manuscrit porte accident.