Vailhé, LETTRES, vol.1, p.403

15 apr 1833 [Montpellier], GOURAUD_HENRI
Informations générales
  • V1-403
  • 0+130|CXXX
  • Vailhé, LETTRES, vol.1, p.403
  • Orig.ms. ACR, AB 6.
Informations détaillées
  • 1 AMITIE
    1 AMOUR DIVIN
    1 AMOUR-PROPRE
    1 ANIMAUX
    1 APATHIE SPIRITUELLE
    1 CATHOLICISME
    1 CHARITE ENVERS LE PROCHAIN
    1 CHRISTIANISME
    1 CONNAISSANCE
    1 DIRECTION SPIRITUELLE
    1 ECRITURE SAINTE
    1 EGLISE
    1 EGOISME
    1 ESPECE HUMAINE
    1 GLOIRE DE DIEU
    1 INSTITUTS RELIGIEUX
    1 ORGUEIL
    1 PROVIDENCE
    1 SALUT DU GENRE HUMAIN
    1 SOLITUDE
    1 TABERNACLE
    1 TRISTESSE
    1 VERTUS THEOLOGALES
    1 VOIE UNITIVE
    2 BAUTAIN, LOUIS
    2 BONNECHOSE, HENRI-M.-GASTON DE
    2 CARL, ADOLPHE
    2 DAUBREE, LEON
    2 GOSCHLER, ISIDORE
    2 GRATRY, ALPHONSE
    2 LE PAPPE DE TREVERN, JEAN-FRANCOIS
    2 LEVEL, JULES
    2 MOISE
    2 RATISBONNE, THEODORE
    2 REGNY, E. DE
    2 ROHAN, LOUIS-FRANCOIS DE
    3 MOLSHEIM
    3 STRASBOURG
  • A MONSIEUR HENRI GOURAUD.
  • GOURAUD_HENRI
  • le 15 avril 1833.
  • 15 apr 1833
  • [Montpellier],
  • Monsieur
    Monsieur Henry Gouraud, docteur médecin,
    rue Cassette, n° 9.
    Paris.
La lettre

Je viens vous prier, mon cher Gouraud, de me rendre un service, dont je vous crois plus capable que tout autre. Je vous ai toujours entendu parler avec enthousiasme de l’abbé Bautain. Je viens de lire dans la Revue européenne quelques mots sur lui, qui ont vivement excité ma curiosité. On dit qu’il s’est mis à la tête de quelques jeunes prêtres, dont il dirige les études. Quel est leur but? Je suis tellement certain que Dieu veut aujourd’hui un Ordre nouveau, et que cet Ordre paraîtra avant peu, que je ne puis entendre parler d’une association de ce genre sans être fortement remué. Je voudrais avoir des détails positifs sur ce M. Bautain. J’ai été frappé des articles qu’il a insérés dans la Revue européenne(1). Donnez-moi ces détails, si vous le pouvez; donnez-les-moi longs. J’ai besoin d’être au courant de tout ce qui se prépare pour la gloire de Dieu et le triomphe de la foi(2).

Donnez-moi aussi de vos nouvelles. Il semble que vous ayez oublié le plaisir qu’elles me font. Je vous aime tant, mon bon ami! Je regrette bien souvent de ne pouvoir vous écrire, de mon côté. Il me semble que si nous nous écrivions plus souvent, nous aimerions Dieu davantage. C’est une si bonne chose que d’aimer. Rien n’aide davantage à faire son chemin. Et l’Ecriture ne dit-elle pas: Viam mandatorum tuorum cucurri, cum dilatasti cor meum? C’est par cette dilatation de coeur que les catholiques sont aujourd’hui appelés à faire de grandes choses. L’arbre de la religion ne verra refleurir son vieux tronc qu’aux rayons de l’amour éternel. C’est donc un besoin pour les disciples du Christ de dilater leur coeur plus que jamais; car si nous n’aimons pas, qui donc réchauffera cette pauvre humanité qui va se figeant sous les glaces de l’égoïsme? Malheureusement on ne veut pas comprendre cela, on ne veut pas avoir un amour aussi vaste que le monde, aussi vaste que le catholicisme; et c’est bien déplorable, car sans l’amour où est la vie? Des sources intarissables de science et de lumière sont renfermées au fond du tabernacle; mais sans l’amour où trouver le Moïse [qui] en frappera le marbre et en fera rejaillir les eaux seules capables de désaltérer la soif de l’homme? Oh! mon ami, je vous en conjure, aimez, aimez, élargissez votre coeur pour aimer le plus possible. C’est l’amour qui nous rend vraiment hommes dignes de parler à Dieu et d’instruire nos frères.

C’est un grand sujet de tristesse pour moi que de ne voir partout que froideur, glaces, intérêt personnel, amour-propre. Oh! la vile chose que l’homme resserré volontairement par l’égoïsme dans l’étroite sphère de son individualité! Voilà pourtant où nous tendons. Bientôt, si l’ordre physique s’harmonisait avec l’ordre moral, notre terre ne formerait plus qu’une infinité de petits globes, dont le centre serait un animal bien laid, qui, se séparant de tout ce qui ne le touche pas matériellement, s’entortillerait et s’endormirait dans son isolement, comme le ver dans sa coque. Il me semble à moi, catholique, que mes destinées sont plus grandes et qu’en allant perdre mon pauvre petit moi dans l’immensité de Dieu, en me consommant dans l’unité avec lui par l’amour, je pourrais me grandir, et d’une manière prodigieuse.

Et vous, Gouraud, que vous en semble-t-il? Croyez-vous que notre tâche soit assez belle, si nous servant de l’amour et de la science comme d’un levier, nous poussons le monde vers son auteur? C’est un beau rêve qui deviendrait une réalité, si nous aimions autrement que par notre imagination, si nous avions foi en la charité et en la lumière qu’elle apporte aux hommes.

Du reste, plus je vais, plus il m’est évident que Dieu, qui nous aimera toujours encore plus que nous ne le haïssons, est résolu de sauver le monde. Si nous voulons nous mettre sous sa main, il se servira de nous comme d’instruments de salut, car il emploie toujours de préférence ce qui est faible et misérable. Mais si nous refusons de nous laisser conduire par lui, il saura bien faire ses affaires sans nous et malgré nous. Pour moi, j’entre dans un étonnement bien grand, quand je me permets de suivre la marche de la Providence, quand je la vois former ses ouvriers dans le silence, loin du monde et des contentions. Le moment n’est pas éloigné où elle les fera paraître, et nous verrons alors [ce] que deviendront les misérables et frêles cabanes, bâties par l’orgueil en révolte, en présence du magnifique édifice qui s’élèvera par les mains de l’Eglise au Dieu de l’éternité.

Adieu, mon ami. Comme vous voyez, je vis d’espérance. Mais de quoi peut-on vivre aujourd’hui, et l’espérance n’est-elle pas la soeur de l’amour? Adieu. Répondez-moi. Je vous aime.

Emmanuel.
Notes et post-scriptum
1. Bautain, professeur de philosophie au collège royal de Strasbourg, revint aux pratiques du christianisme et ne tarda pas à entrer dans l'état ecclésiastique. Or, l'évêque de Strasbourg venait de mettre à la disposition de deux Juifs convertie, Isidore Goschler et Jules Level, sa résidence de campagne, un ancien couvent situé à Molsheim, à quatre lieues de la ville, pour en faire une maison de hautes études ecclésiastiques. L'ouverture eut lieu le 2 novembre 1827. Les premières recrues qui les y suivirent furent Bautain et Adolphe Carl, catholiques de naissance, et un autre Juif converti, Théodore Ratisbonne. En 1830, l'évêque leur confia le Petit Séminaire Saint-Louis de Strasbourg, et des jeunes gens d'élite, comme Graty, Henri de Bonnechose, etc., se joignirent à eux. Le Petit groupe prit le nom de Société de Saint-Louis et s'organisa, le 16 mars 1832, en une sorte de famille spirituelle, sans voeux et sans obligation formelle, par un simple acte d'union qu'on appela le *Pacte de famille*. Après les vacances de 1832, le cardinal de Rohan, archevêque de Besançon, fonda pour eux une seconde maison de hautes études, annexée à son Grand Séminaire, et qui fut fermée quelques mois après, à la mort du cardinal. La société de Saint-Louis se dispersa après la condamnation de Bautain. (Voir Régny, *L'abbé Bautain*. Paris 1834, *passim*.)
2. L'abbé d'Alzon communiqua à d'autres amis son pressentiment d'un Ordre nouveau, qui devrait travailler à régénérer la société moderne. Voir à l'*Avant-propos*, p. LVI sq., la réponse de l'abbé Daubrée, du 19 juillet 1833, à une lettre aujourd'hui perdue, où l'abbé d'Alzon lui avait fait part de ses vues à ce sujet.1. Bautain, professeur de philosophie au collège royal de Strasbourg, revint aux pratiques du christianisme et ne tarda pas à entrer dans l'état ecclésiastique. Or, l'évêque de Strasbourg venait de mettre à la disposition de deux Juifs convertie, Isidore Goschler et Jules Level, sa résidence de campagne, un ancien couvent situé à Molsheim, à quatre lieues de la ville, pour en faire une maison de hautes études ecclésiastiques. L'ouverture eut lieu le 2 novembre 1827. Les premières recrues qui les y suivirent furent Bautain et Adolphe Carl, catholiques de naissance, et un autre Juif converti, Théodore Ratisbonne. En 1830, l'évêque leur confia le Petit Séminaire Saint- Louis de Strasbourg, et des jeunes gens d'élite, comme Graty, Henri de Bonnechose, etc., se joignirent à eux. Le Petit groupe prit le nom de Société de Saint-Louis et s'organisa, le 16 mars 1832, en une sorte de famille spirituelle, sans voeux et sans obligation formelle, par un simple acte d'union qu'on appela le *Pacte de famille*. Après les vacances de 1832, le cardinal de Rohan, archevêque de Besançon, fonda pour eux une seconde maison de hautes études, annexée à son Grand Séminaire, et qui fut fermée quelques mois après, à la mort du cardinal. La société de Saint-Louis se dispersa après la condamnation de Bautain. (Voir Régny, *L'abbé Bautain*. Paris 1834, *passim*.)
2. L'abbé d'Alzon communiqua à d'autres amis son pressentiment d'un Ordre nouveau, qui devrait travailler à régénérer la société moderne. Voir à l'*Avant-propos*, p. LVI sq., la réponse de l'abbé Daubrée, du 19 juillet 1833, à une lettre aujourd'hui perdue, où l'abbé d'Alzon lui avait fait part de ses vues à ce sujet.