Vailhé, LETTRES, vol.1, p.416

5 jul 1833 Lavagnac, ESGRIGNY Luglien de Jouenne
Informations générales
  • V1-416
  • 0+134|CXXXIV
  • Vailhé, LETTRES, vol.1, p.416
  • Orig.ms. ACR, AB 10.
Informations détaillées
  • 1 AME
    1 CLERGE
    1 CONNAISSANCE
    1 CORPS
    1 ESPRIT ETROIT
    1 ETUDES ECCLESIASTIQUES
    1 IGNORANCE
    1 LIBERTE
    1 LOISIRS
    1 MALADIES
    1 REPOS
    1 RETRAITE SPIRITUELLE
    1 SEMINAIRES
    1 SENSIBILITE
    1 VACANCES
    1 VOYAGES
    2 COMBEGUILLE, ALEXIS
    2 DAUBREE, LEON
    2 DU LAC, JEAN-MELCHIOR
    2 LAMENNAIS, FELICITE DE
    2 SALINIS, ANTOINE DE
    3 BRIVE-LA-GAILLARDE
    3 CASTRES
    3 JUILLY
    3 PYRENEES
    3 ROME
    3 SOLESMES
  • A MONSIEUR LUGLIEN DE JOUENNE D'ESGRIGNY.
  • ESGRIGNY Luglien de Jouenne
  • le 5 juillet 1833.
  • 5 jul 1833
  • Lavagnac,
  • Monsieur
    Monsieur Luglien de Jouenne d'Esgrigny,
    chez M. le baron de Polverel.
    Brive
    (Corrèze)
La lettre

J’ai reçu hier votre lettre du 29 juin, mon cher ami. Je l’attendais avec impatience, parce que je ne pouvais vous écrire. Votre adresse m’était inconnue; je ne savais si vous étiez retourné à Brive, ou si vous aviez été faire quelque excursion dans les Pyrénées. Votre lettre me plaît beaucoup, mais elle me plairait davantage si vous aviez consenti, comme je vous en ai prié si souvent, à me dire de quelle manière vous entendez l’étroitesse que donne le Séminaire. Quand vous m’avez eu dit que je ne vous comprenais pas, je me suis tu, parce que je savais que la science du coeur humain m’était à peu près inconnue; mais lorsque vous me parlez du Séminaire dans lequel vous n’avez jamais vécu, quand il s’agit de moi que vous n’avez pas vu depuis trois ans, j’ai le droit de vous demander des explications, sans lesquelles je ne puis entendre ce que vous dites, et je ne puis voir dans vos paroles que l’effet d’un sentiment assez vague qui vous porte à dire que les Séminaires donnent une éducation étroite, parce que vous voyez la plupart des sujets qui en sortent peu propres à exercer une grande action sur la société.

Ne pensez pas, et je crois vous l’avoir déjà fait observer, que je veuille me constituer le champion de la méthode séminaristique actuelle. Je sais qu’elle a de grands, d’immenses défauts, qui paralyseront longtemps encore l’action du clergé. Mais je crois aussi que vous ne comprenez guère ce qu’il faudrait pour retremper le sacerdoce et lui rendre sa place légitime, celle qu’il doit occuper à la tête de la société.

Me voilà en vacances pour trois mois. J’en avais besoin pour le bien de mon corps qui s’était épuisé et j’espère aussi, pour le bien de mon âme. J’avais besoin de quelque temps de retraite et de liberté. Reviendrai-je au Séminaire? C’est ce que je ne puis vous dire. Donnez-moi un conseil d’ami et dites-moi ce que je dois faire. Dois-je aller à Juilly, où l’abbé de Salinis(1) m’offre tous les avantages possibles? Ou auprès des Bénédictins de Solesmes, où je pourrais passer quelques années? Ou auprès de M. de la Mennais qui m’attend? Ou enfin à Rome?

Voilà bien des endroits, où je trouverai de grands avantages, mais où, en même temps, j’aurai des inconvénients. Partout il faut en trouver, je le sais. Mais où en rencontrerai-je le moins? Qu’en pensez-vous?

Il y a plusieurs jours que ma lettre a été interrompue. J’ai été un peu souffrant et j’ai dû prendre du repos(2).

J’ai vu, ces jours derniers, un ami de du Lac et j’espère le voir demain encore(3). Ce bon du Lac ne peut aller nulle part sans faire des prosélytes, ou du moins sans remuer ceux qui sont froids. Il paraît faire beaucoup de bien à Castres, moins sans doute que celui qu’il ferait, s’il était libre. Mais aujourd’hui qui est libre? Les gens capables de bien faire, ou ne veulent pas, ou sont enchaînés par les gens de mauvaise volonté, par ces gens qui ne sont nés que pour être des obstacles. Et certes, il y en a beaucoup de ce genre.

Je m’arrête pour aujourd’hui. J’ai pris hier un petit effort dans le bras et j’ai toutes les peines du monde à écrire. Adieu, mon ami. Répondez longuement aux deux premières parties de ma lettre. Je vous aime.

Emmanuel.
Notes et post-scriptum
1. En *post-scriptum* à une lettre que l'abbé Daubrée adressait à Emmanuel d'Alzon, le 19 décembre 1832, l'abbé de Salinis ajoutait ces quelques mots:
"Je prie M. Daubrée, mon cher ami, de me permettre d'ajouter un mot à sa lettre et je regrette vivement de n'avoir le temps de vous écrire qu'un mot. Quelle heureuse idée Dieu, vous a envoyée de venir vous unir à nous à Juilly, car cette idée vient de Dieu, je ne puis pas en douter! Priez-le, nous le prierons de notre côté, qu'il aplanisse les obstacles. Je crois que ces obstacles seraient bien vite levés, si ceux dont vous dépendez nous connaissaient et notre maison; car ils y verraient la soumission la plus filiale, la plus entière, sans aucune réserve à l'autorité qui seule ne peut pas égarer le prêtre et le fidèle.
"J'espère que Dieu exaucera nos voeux et les vôtres, et je ne puis vous dire tout ce que votre présence ajouterait au bonheur de la retraite où nous vivons.
"Adieu. Priez pour Juilly, où l'on prie pour vous.
"Tout à vous en N.-S. J.-C. "L.-A. De Salinis."
Cette offre, déjà ancienne, dut être renouvelée depuis lors dans des lettres que nous ne possédons plus.
2. De fait, cette lettre, commencée le 5 juillet, ne partit d'après le cachet de la poste, que le 10 de Montagnac.
3. Il s'agit d'Alexis Combeguille, qui se trouvait alors à Roujan, dans l'Hérault, et devint, à partir de ce moment, ami et correspondant de l'abbé d'Alzon. Comme lui, il était disciple de l'abbé de la Mennais.