Vailhé, LETTRES, vol.1, p.434

1 oct 1833 [Lavagnac, LA_GOURNERIE Eugène
Informations générales
  • V1-434
  • 0+141|CXLI
  • Vailhé, LETTRES, vol.1, p.434
  • Orig.ms. ACR, AB 17.
Informations détaillées
  • 1 ADVERSAIRES
    1 AMITIE
    1 BATEAU
    1 MATIERES DE L'ENSEIGNEMENT ECCLESIASTIQUE
    1 ORDINATIONS
    1 PARENTS
    1 PARESSE
    1 REPOS
    1 RETRAITE SPIRITUELLE
    1 SEMINAIRES
    1 SOUMISSION DE L'ESPRIT
    1 TRAVAIL DE L'ETUDE
    1 VOYAGES
    2 DREUX-BREZE, PIERRE-SIMON DE
    2 DU LAC, JEAN-MELCHIOR
    2 ESGRIGNY, LUGLIEN de JOUENNE D'
    2 GABRIEL, JEAN-LOUIS
    2 GERBET, PHILIPPE-OLYMPE
    2 GREGOIRE XVI
    2 LAMENNAIS, FELICITE DE
    2 MICARA, LODOVICO
    2 MONTEYNARD, MADAME DE
    2 ORIOLI, ANTONIO
    2 ROZAVEN, JEAN-LOUIS DE
    2 VENTURA, GIOACCHINO
    3 CIVITAVECCHIA
    3 FRANCE
    3 ITALIE
    3 MONTPELLIER
    3 PARIS
    3 ROME
  • A MONSIEUR EUGENE DE LA GOURNERIE.
  • LA_GOURNERIE Eugène
  • début d'octobre 1833.]
  • 1 oct 1833
  • [Lavagnac,
La lettre

J’ai bien tardé à vous répondre, mon cher Eugène. Il y a moins de paresse que vous ne pourriez croire; il n’y en a même pas du tout. Soyez mon juge. Depuis quelque temps je vous ai, je crois, parlé de ma résolution de ne pas retourner au Séminaire de Montpellier. Il y a plus d’un an que j’avais formé ce dessein, et l’année qui s’est écoulée m’a confirmé dans cette idée. J’avais eu quelque pensée d’aller trouver l’abbé Gerbet à Paris, mais mes parents s’y sont fortement opposés, peut-être avec raison. J’ai cédé à leur désir et j’ai pris la résolution d’aller à Rome.

Je n’ose me proposer pour être votre compagnon dans le voyage que vous avez projeté en Italie, parce que, obligé d’attendre un prêtre qui m’accompagnera et avec qui je passerai toute l’année prochaine, pressé d’un autre côté d’arriver à Rome pour pouvoir suivre les cours, dès que je pourrai partir, je prendrai le bateau à vapeur qui me débarquera à Civita-Vecchia. Si pourtant votre intention était d’imiter plusieurs voyageurs, qui se rendent directement à Rome et parcourent ensuite l’Italie tout à leur aise en revenant en France, je serais bien heureux de pouvoir faire de compagnie avec vous mon premier voyage sur mer. Je partirai d’ici vers le milieu d’octobre.

Voyez, mon cher ami, si ce plan peut se combiner avec le vôtre. J’en serais ravi; mais quand bien même nous ne pourrions ensemble cheminer vers la Ville éternelle, je n’en conserverais pas moins l’espérance de vous voir. J’y passerai l’année entière et vous, mon cher ami, vous y ferez, j’espère, quelque séjour.

Pourriez-vous me donner des nouvelles de Pierre de Brézé? Il a passé assez longtemps à Rome. Quelques personnes m’ont assuré qu’il était entré chez les Jésuites; d’autres personnes prétendent qu’il est ou qu’il était, il n’y a pas longtemps, chez sa soeur Mme de Monteynard. Je serais curieux de le revoir après plus de trois ans et demi d’absence. Vous savez ou vous ne savez pas que nous nous étions séparés un peu froids. Il m’avait fait certaines sottises, dont j’eus le tort de me froisser; certaines personnes s’amusèrent à en profiter pour nous désunir. Je suis cependant attaché du fond de mon coeur à ce bon enfant, a qui je pense, bien sûr, plus qu’il ne pense à moi. Je ne crains qu’une chose, c’est qu’à Rome, si je le rencontre, nous ne puissions venir à bout de nous entendre. S’il n’est pas Jésuite, bien sûr qu’il les hante beaucoup: il doit donner dans le Rozaven à plein collier. Vous pensez bien que ce n’est pas tout à fait mon genre.

J’espère avoir des lettres de recommandation pour le P. Ventura, le P. Orioli et le cardinal Micara, qui sont dans un sens tout opposé au P. Rozaven(1). J’en aurai pour le P. Rozaven lui-même, car il faut tout voir et tout entendre. Je me propose de vivre retiré le plus possible, car après tout il faut que j’étudie, mais je crois que je ne puis que gagner aussi à voir des hommes d’un grand mérite et qui, par cela même qu’ils sont étrangers, ont des idées dont on peut bien tirer parti.

Savez-vous que M. de la Mennais a écrit au Pape pour le prier de lui dicter la rétractation qu’il avait à faire, s’il était vrai que Sa Sainteté n’ajoutât pas foi à sa première soumission? Il me semble qu’on ne peut pas aller plus loin. Mais cela suffira-t-il à ses ennemis? Je ne puis le croire. Ils sont trop acharnés à le poursuivre pour lui laisser un moment de repos. Cependant je crois que, par une pareille démarche, M. de la Mennais les met à ses pieds. Tout ce qu’ils pourront faire, ce sera de lui mordre les talons(2).

Je n’ai point vu de Jouenne, quoiqu’il eût pu s’arranger, en allant chez du Lac quinze jours plus tard, pour me donner les moyens de l’embrasser. J’étais encore au Séminaire, en retraite pour l’ordination; je ne pouvais sortir. Mais j’espère le voir à Rome. Je ne sais pourquoi j’ai quelque pressentiment qu’il y viendra.

Adieu, mon cher Eugène. Je vois avec une joie infinie s’approcher le terme de notre longue séparation. Je vous assure qu’il me tarde aussi à moi de vous voir tout à mon aise, de jouir de votre bonne et belle âme. Adieu. Adieu. Tout à vous.

Emmanuel.
Notes et post-scriptum
1. Le P. Orioli, Conventuel et ami de La Mennais fut fait cardinal par Grégoire XVI; Micara Capucin, l'était déjà; quant au P. Ventura, ex-général des Théatins, il venait de se réconcilier avec le philosophe de la Chênaie, après une brouille passagère.
2. La déclaration de l'abbé de la Mennais au Pape, du 4 août 1833, se terminait ainsi: "Tels sont, Très Saint Père, mes sentiments réels, établis d'ailleurs par ma vie entière. Que si l'expression n'en paraissait pas assez nette à Votre Sainteté, qu'elle daigne elle-même me faire savoir de quels termes je dois me servir pour la satisfaire pleinement: ceux-là seront toujours les plus conformes à ma pensée qui la convaincront le mieux de mon obéissance filiale." Rome devait, du reste, le prendre au mot et lui faire souscrire une formule, qu'il signa, mais sans en accepter aucunement le sens.