Vailhé, LETTRES, vol.1, p.449

26 nov 1833 Rome, ALZON_AUGUSTINE
Informations générales
  • V1-449
  • 0+146|CXLVI
  • Vailhé, LETTRES, vol.1, p.449
  • Orig.ms. ACR, AB 22.
Informations détaillées
  • 1 ADMINISTRATION PUBLIQUE
    1 AMEUBLEMENT DES EGLISES
    1 CLERGE
    1 CLERGE GREC
    1 COLERE
    1 COMMERCANTS
    1 COUVENT
    1 CUISINIER
    1 ITALIENS
    1 LANGUE
    1 PAPE
    1 PARTIE D'EDIFICE DU CULTE
    1 PENSIONS SCOLAIRES
    1 RELIGIEUX
    1 RESIDENCES
    1 TOMBEAU
    1 VOYAGES
    2 GABRIEL, JEAN-LOUIS
    2 TAVENAZ, SULPICIEN
    3 CIVITAVECCHIA
    3 ITALIE
    3 ROME
    3 ROME, BASILIQUE SAINTE-MARIE MAJEURE
    3 ROME, COLLEGE DE LA MINERVE
    3 ROME, FONTAINE DE TREVI
    3 ROME, PLACE SAINT-PIERRE
    3 ROME, PORTE DEI CAVALLEGGIERI
  • A SA SOEUR AUGUSTINE (1).
  • ALZON_AUGUSTINE
  • le 26 novembre 1833.
  • 26 nov 1833
  • Rome,
  • Mademoiselle
    Mademoiselle Augustine d'Alzon,
    rue de Grenelle. Saint-Germain, n° 30 ou 50.
    Paris
    France.
La lettre

Je te tiens parole, ma chère amie, et puisque je t’avais promis ma première lettre de Rome, la voici. Je suis ici depuis hier soir. Nous partîmes de Civita-Vecchia, à 9 heures passées. Nous aurions voulu nous mettre en route plus tôt, mais les formalités de la douane nous arrêtèrent et ne nous permirent pas de nous acheminer plus tôt vers le terme de notre voyage. Tu crois peut-être que nous jouîmes du beau ciel de l’Italie et que le soleil nous salua de ses rayons les plus dorés, comme dirait un classique. Point; il pleuvait. C’était une pluie toute prosaïque qui nous accueillit et qui acheva de gâter le chemin, déjà assez mauvais, que nous avions à faire.

Aussi n’arrivâmes-nous à la porte de Cavaleggieri(2) qu’à 11 heures de la nuit. La lune heureusement s’était levée: on y voyait très bien. Il fallut attendre une heure dans la boue que le commissaire vint examiner nos passe-ports. Pendant que nous étions à croquer le marmot, nous nous aperçûmes du bruit d’une cascade voisine. Nous demandâmes ce que c’était. « Ce sont, nous répondit un employé, les fontaines de saint Pierre. » Tu penses que nous ne fîmes qu’un saut pour traverser la rue, au fond de laquelle nous apercevions une des colonnades latérales. M. Gabriel, en arrivant sous cette colonnade, s’étendit tout de son long; il baisait les pierres. Je le laissai faire et je m’élançai dans cette place. Je regarde. Eh bien! sais-tu quel fut mon premier cri? Quoi! ce n’est que cela! Le dôme me paraissait écrasé et la façade mesquine. M. Gabriel admirait tant qu’il pouvait et était furieux de mon désappointement. « Tous ceux qui voient Saint-Pierre pour la première fois sont étonnés de ne voir que cela? disait-il. -Et vous, Monsieur, lui demandai-je, vous n’avez pas été frappé? -Si, me répondit-il, parce que je savais que l’on était un peu désappointé. -En sorte, lui dis-je, que vous avez été surpris de la beauté de Saint-Pierre, parce que vous vous attendiez à ne pas l’être. »

Nous partîmes enfin, pour aller à la douane, où il fallut encore faire une ou deux heures de station. Il était 2 heures, quand nous arrivâmes à l’hôtel.

Ce matin, je suis retourné à Saint-Pierre et je ne me suis pas réconcilié avec la façade, mais, j’ai admiré tout à mon aise l’intérieur de l’église. C’est prodigieux. L’espace paraît s’étendre à mesure que l’on marche. Il est impossible de se faire une idée de la magnificence de toutes ces choses. Les statues, les tableaux, les tombeaux des papes, tout est admirable. Et puis, l’on se perd là-dedans. Nous y sommes encore retournés ce soir. Plus on voit cela, plus on admire; mais, je le dis franchement, je n’aime pas la façade, pas plus que le baldaquin qui couvre la confession de saint Pierre.

Tu me demanderas peut-être comment je m’y prends pour me faire comprendre. Je me suis mis à parler tant bien que mal. J’écorche, j’estropie les mots, mais n’importe. Pourvu que l’on me comprenne, cela me suffit, et l’on me comprend. Rome est une ville enivrante. Je t’assure que je n’exagère pas. Je n’ai fait que courir toute la journée. Vraiment, cela tient du prodige. Les monuments y sont presque aussi communs que les maisons. Nous traversions quelques rues assez ordinaires; tout à coup, nous nous arrêtons pour admirer cette belle fontaine de Trevi qui alimenterait une rivière. Ce sont de ces surprises qui ravissent. Tu peux m’en croire, parce que je ne me suis mis à admirer que lorsque j’ai eu vu. M. Gabriel prétendait que j’avais du sang de poisson dans les veines; je l’ai laissé dire, quand je n’étais pas de son avis.

Je ne sais pas bien encore où j’irai m’établir. J’aurais bien voulu aller aux Dominicains de la Minerve, mais les chambres sont remplies par des prêtres grecs réfugiés. Cependant, il est possible qu’il y ait place pour tous. On m’a parlé des Cordeliers, chez lesquels se trouve un Sulpicien, M. Tavenaz, qui paraît jouir d’un grand crédit. Je pourrais très facilement aller chez les Jésuites, mais très positivement je n’irai pas chez ses Messieurs.

Je me suis arrangé pour passer quelques jours à l’hôtel. J’aime mieux attendre un peu et me bien caser. Il paraît que l’on va loger chez ces bons religieux, mais comme la cuisine de tous les couvents est détestable, les prêtres français vont à peu près tous manger dans des pensions. Les prêtres ou au moins les ecclésiastiques fourmillent à Rome. Ce serait presque le cas de dire: c’est trop. On voit des religieux à tous les coins de rue et chez tous les marchands. Il paraît que, dans ces pays, on perd quelquefois en régularité ce que l’on gagne en quantité.

Adieu, ma chère petite soeur. Tiens-moi tes promesses, comme je t’ai tenu les miennes. J’irai achever de dégager ma parole à Sainte-Marie Majeure. J’ai pris ce matin un acompte à Saint-Pierre. Adieu. Adieu. J’embrasse maman et Marie.

Emmanuel.
Notes et post-scriptum
1. Voir *Notes et Documents*, t. Ier p. 342.2. Le manuscrit porte: "*cavalieri*."