Vailhé, LETTRES, vol.1, p.452

29 nov 1833 Rome, ESGRIGNY Luglien de Jouenne
Informations générales
  • V1-452
  • 0+147|CXLVII
  • Vailhé, LETTRES, vol.1, p.452
  • Orig.ms. ACR, AB 23.
Informations détaillées
  • 1 AMITIE
    1 CHRISTIANISME
    1 CLERGE
    1 CLERGE FRANCAIS
    1 COLLEGES
    1 COMMUNAUTE RELIGIEUSE
    1 DEGOUTS
    1 FORMATION DU CARACTERE
    1 LACHETE
    1 MOEURS SACERDOTALES
    1 PAGANISME
    1 PAIX DE L'AME
    1 PARENTS
    1 REGULARITE
    1 RESIDENCES
    1 SCANDALE
    1 SEMINAIRES
    1 TRISTESSE
    1 VIE DE PRIERE
    1 VOYAGES
    2 ALZON, HENRI D'
    2 DREUX-BREZE, PIERRE-SIMON DE
    2 GOURAUD, HENRI
    3 ALLEMAGNE
    3 FRANCE
    3 ITALIE
    3 MONTPELLIER
    3 ROME
    3 ROME, BASILIQUE SAINT-PIERRE
    3 ROME, COLLEGE DES NOBLES
  • A MONSIEUR LUGLIEN DE JOUENNE D'ESGRIGNY.
  • ESGRIGNY Luglien de Jouenne
  • le 29 novembre 1833.
  • 29 nov 1833
  • Rome,
  • Monsieur
    Monsieur Luglien de Jouenne d'Esgrigny,
    chez M. le baron de Polverel,
    Brive
    département de la Corrèze
    France.
La lettre

Me voilà arrivé, enfin, à Rome. Mon cher, mon bon ami, vous aviez peut-être raison de me détourner de ce voyage. Mais peut-être aussi me sera-t-il bien utile pour me former le caractère, si, ce qu’à Dieu ne plaise, il ne me l’aigrit pas. Je suis ici fort vexé, parce que les lettres de recommandation que l’on m’a données en quittant la France se trouvent toutes, ou presque toutes, pour des Jésuites ou pour des amis des Jésuites. Ce sont des gens qui m’envoient tous au Collège des nobles, et je n’ai pas la moindre envie d’aller dans ce collège-là, parce que bien des personnes, en qui j’ai confiance, m’en détournent. Enfin, je suis bien embarrassé. Je le serais bien moins, si mes parents, mon père surtout, ne m’avaient sollicité instamment d’entrer dans une communauté, afin de vivre d’une manière plus régulière. Je vais leur écrire et probablement prendre, en attendant, avec mes compagnons de voyage, un appartement.

Ce que je n’aime pas des Jésuites, c’est que déjà ils ont envie de m’accaparer. La meilleure preuve, c’est que je suis sûr que, dans ce moment, il n’y a au Collège des nobles que deux jeunes gens, qui y vivent comme il me conviendrait, Brézé et un autre; et cependant, on m’a assuré que c’était le seul parti convenable que j’eusse à prendre. Je veux bien croire que j’ai quelques préventions, mais je ne sais comment il se fait que ces préventions ne diminuent pas, au contraire. Que j’aurais besoin de vous, pour prendre un bon conseil! Mais le moyen de le recevoir de quatre cents lieues?

Je suis bien triste, mon bon ami, je vous assure, et dans ce moment, bien peu en état de vous dire ce que m’ont fait éprouver les monuments de Rome païenne et de Rome chrétienne. Je puis vous dire seulement que, ce matin, j’ai bien prié pour vous sur le tombeau des apôtres. Mon ami, priez aussi pour moi. Il me semble que toutes ces misères m’ont, jusqu’à présent, trop affecté et fait perdre cette douce paix, qui était pour ainsi dire l’aliment de mon âme. Et puis, si vous le pouviez, quelle bonne action vous feriez en venant me voir!

J’ai déjà vu beaucoup de choses qui m’ont surpris, mais je ne m’en scandalise pas encore. Je crois même que, sous certains points, j’aurai, sinon à admirer, au moins à regretter qu’en France il n’en soit pas ainsi. Par exemple, il me semble qu’en Italie le prêtre est bien plus homme social et sociable qu’en France. Je sais que là encore il y a bien des abus, mais je crois cependant que le clergé français ne ferait pas si mal d’imiter le clergé romain sous ce rapport. Le clergé se mêle, ici, à toutes les classes; il ne lui manque que du zèle pour user de cette popularité en faveur de la religion.

Vous m’écrirez, j’espère, mon cher Luglien, et vous me plaindrez quelquefois, car je m’attends à passer ici de mauvais quarts d’heure. Je désire profiter de ces petites vexations, afin d’apprendre un peu la vie; car c’est, voyez-vous, bien ennuyeux d’être obligé à surveiller toujours ses paroles, de peur que l’on ne vous accuse d’aller trop loin. Cette vie qui m’avait fait quitter le Séminaire de Montpellier, il faut la mener, ici, plus sévèrement encore. Ce qui n’a pas peu contribué à augmenter ce genre de vexations, c’est que je suis à peu près certain que, de toutes les personnes auxquelles j’ai été adressé, aucune ne partage ma manière de voir. Au moins, je n’en puis rien savoir, car je ne leur fais pas voir mon opinion [et] elles ne me montrent pas plus la leur.

Tout ce que je vous dis là, gardez-le absolument pour vous. Quoique je prévisse bien ce qui m’arrive -mes anciennes lettres peuvent vous le prouver,- je serais fâché que l’on me sût ainsi dégoûté. Et puis, j’ai l’espérance que ces petits ennuis passeront, une fois que je me serai assis.

Que faites-vous, mon ami? Où êtes-vous? Je ne sais sur quel point de la France ou de l’Allemagne je dois vous chercher. Ne trouvez-vous pas qu’il serait assez convenable que Gouraud répondit à ma troisième ou quatrième lettre? Si vous le pensez comme moi, engagez-le à m’écrire; sinon, je lui écrirai encore, car j’ai un grand désir de recevoir de ses lettres. Pardonnez-moi, je vous prie, toutes ces jérémiades. Je sens que je ferai beaucoup mieux de les garder pour moi. Il faut compter sur votre amitié, comme je le fais, pour me montrer à vous si faible, si décousu.

Je vous prie de m’adresser ici vos lettres, poste restante. Quoique je sois à peu près fixé sur mon appartement, je ne puis vous en donner positivement l’adresse. Adieu, adieu! Quand nous reverrons-nous? Quand pourrai-je vous dire que je vous aime?

Emmanuel.
Notes et post-scriptum