Vailhé, LETTRES, vol.1, p.455

8 dec 1833 [Rome], ALZON_VICOMTE
Informations générales
  • V1-455
  • 0+148|CXLVIII
  • Vailhé, LETTRES, vol.1, p.455
  • Orig.ms. ACR, AB 24.
Informations détaillées
  • 1 ADOLESCENTS
    1 BATEAU
    1 BELGES
    1 COLERE
    1 COMMUNAUTE RELIGIEUSE
    1 CONSENTEMENT
    1 COURS PUBLICS
    1 ETUDIANTS
    1 EXTERNES
    1 FATIGUE
    1 LIBERTE
    1 LIVRES
    1 MALADIES
    1 MATIERES DE L'ENSEIGNEMENT ECCLESIASTIQUE
    1 NOVICE
    1 PARENTS
    1 PROFESSEURS D'UNIVERSITE
    1 REPOS
    1 RESIDENCES
    1 SANTE
    1 SEMINAIRES
    1 SUSCEPTIBILITE
    1 VOYAGES
    2 ALZON, MADAME HENRI D'
    2 BERNETTI, TOMMASO
    2 BOYER, PIERRE-DENIS
    2 DREUX-BREZE, PIERRE-SIMON DE
    2 FRAYSSINOUS, DENIS-ANTOINE
    2 FROMENT, CLEMENT
    2 GABRIEL, JEAN-LOUIS
    2 GREGOIRE XVI
    2 LAMBRUSCHINI, LUIGI
    2 LAMENNAIS, FELICITE DE
    2 LEBOUTEILLIER
    2 MARTIN, JEAN-ETIENNE
    2 MICARA, LODOVICO
    2 MONTPELLIER THEODORE-JOSEPH DE
    2 REBOUL, ELEUTHERE
    2 ROZAVEN, JEAN-LOUIS DE
    3 LAVAGNAC
    3 MARSEILLE
    3 PARIS
    3 PEZENAS
    3 ROME
    3 ROME, COLLEGE DE LA SAPIENCE
    3 ROME, COLLEGE DES NOBLES
    3 ROME, COLLEGE ROMAIN
    3 ROME, COUVENT SANT'ANDREA DELLE FRATTE
  • A SON PERE (1).
  • ALZON_VICOMTE
  • le 8 décembre [1833].
  • 8 dec 1833
  • [Rome],
  • France
    Monsieur
    Monsieur le Vicomte Henry d'Alzon,
    au château de Lavagnac,
    par Montagnac.
    département de l'Hérault
La lettre

J’ai eu tort, je vous l’avoue, mon cher petit père, de ne pas vous écrire une seconde fois, depuis que je suis ici; mais ce n’est pas tout à fait ma faute. Après vous avoir appris mon arrivée, je ne voulais plus vous écrire que pour vous répondre, à la première lettre que j’attendais de vous. Or, depuis bientôt quinze jours que je suis ici, je n’ai rien reçu ni de Lavagnac ni de Paris.

9 décembre.

Or, voilà que la poste vient d’arriver encore aujourd’hui sans me rien apporter. Je vous avouerai franchement que cela me vexe un peu. Les retiendrait-on? Ou bien auriez-vous voulu attendre, pour m’écrire, que je fusse arrivé? C’est ce que je ne puis croire. Puisqu’il serait tout simple de m’écrire Poste restante, pourquoi alors ne recevrais-je [pas] vos lettres, lorsque celles que les parents d’Eleuthère Reboul(2) lui adressent lui sont toutes parvenues? Il en a déjà reçu sept à huit soit pour lui soit pour M. Gabriel, et moi point. Vous conviendrez que c’est vexatoire. Ce n’est pas le temps qui a manqué, puisque des lettres écrites le 28 novembre lui sont parvenues aujourd’hui, 9 décembre. Le 28 novembre, vous m’avez bien certainement écrit. Peut-être est-ce quelque maladresse de la maîtresse de poste? Je vous prie de vous entendre là-dessus avec elle. Dans ce cas, il faudrait m’écrire par Pézenas. Mais, d’un autre côté, pourquoi ne pas recevoir des lettres de Paris? Or, les lettres de ce côté-là me manquent absolument. Je suis, je vous l’assure, fort inquiet, d’autant plus qu’il me faudra maintenant attendre jusqu’à jeudi avant de recevoir la moindre nouvelle. Jugez comme c’est gracieux. La poste ne partira que demain, mais je veux vous écrire toujours maintenant. Je n’ai aucune nouvelle à vous apprendre et je n’en aurai probablement pas non plus demain.

Je suis, comme vous m’en aviez témoigné un si grand désir, logé dans une maison religieuse, mais j’y suis absolument libre(3). Je l’aurais été de même partout ailleurs, au Collège des nobles comme ici. Il n’y a pas à proprement parler de Séminaire à Rome. Le Collège Romain ne renferme que des novices Jésuites; les autres auditeurs sont tous externes. Le Collège des nobles n’est rempli que de jeunes gens de quinze à seize ans. MM. de Brézé et de Montpellier, jeune Belge(4), sont maintenant les seuls qui soient de mon âge, et vous comprenez que, pour ces deux jeunes gens seuls qui ont des opinions fort opposées aux miennes, ce n’est pas la peine de quitter M. Gabriel, avec qui je puis causer quelquefois; tandis qu’avec ces jeunes gens je ne puis pas discuter, parce que dans ce cas je serais en lutte ouverte et permanente, et, si je me tais, leur société est intolérable avec la contrainte à laquelle je suis réduit. Les Jésuites et, par conséquent, ces deux Messieurs qui adoptent toutes leurs opinions, attaquent à outrance M. de la Mennais. Il paraît que le Pape est fort mécontent de lui. Tout en étant parfaitement disposé à condamner ce que le pape repoussera de ses opinions, je ne vois pas pourquoi je ne conserverai pas celles sur lesquelles il laissera libre. Or, je m’aperçois qu’il ne repousse en lui que certaines exagérations politiques, sur lesquelles j’étais loin de partager entièrement les vues du fondateur de l’Avenir.

Je suis les cours du Collège Romain. Je suis assez content des professeurs, quoique je ne partage pas l’admiration de certaines personnes. Je suivrai deux cours de dogme et un cours de morale. On suit ordinairement un cours d’Ecriture Sainte, mais je trouve que celui qui le fait est trop obscur et trop diffus. Enfin, je n’en suis pas du tout content. Si j’en trouve un bon à la Sapience ou au Séminaire Romain, je verrai d’y aller. C’est un avantage de ma position de pouvoir suivre les différents cours, sans être astreint à tel ou tel établissement. Les cours sont toujours mieux faits par tel ou tel professeur, et l’on ne réunit jamais un ensemble de supériorités dans un établissement. Il faut chercher un peu à droite, un peu à gauche, et c’est ce que je ferai(5).

Le bon abbé Gabriel éprouve parfois de l’ennui. Je le lui avais annoncé. Je crois que cet ennui passera, quand il aura fait quelques connaissances. Je crois qu’il fera bien de s’en procurer quelques-unes parmi les personnes distinguées par leur science. Nous sommes allés voir le cardinal Micara. Il nous reçut très bien. J’ai le projet d’y retourner. Je n’ai été porter mes lettres ni au cardinal Bernetti ni au cardinal Lambruschini. Je n’ai pas pu me procurer l’adresse de M. Le Bouteillier; ce qui me vexe fort, parce que je crains que ma mère ne lui ait adressé mes lettres, comme à Marseille elle a toujours voulu les adresser à M. Froment, ce qui m’a valu l’agrément de les recevoir quelques heures plus tard et, plus d’une fois sans doute, le lendemain de leur arrivée(6).

Le pape paraît fort mécontent de M. de la Mennais, comme je vous le disais tout à l’heure. Cependant, il ne le condamnera pas. Le P. Rozaven, que j’ai été voir, me l’a avoué. Vous pensez bien qu’en allant voir ce bon Père, je me suis bien gardé de disputer avec lui. J’ai mieux aimé le laisser parler tout à son aise. J’ai appris ce que je voulais savoir, et cela me suffit. Il attend que M. Boyer ait publié son ouvrage pour voir s’il doit en composer un contre M. de la Mennais(7).

Il faut vous parler de ma santé, quoique je n’en puisse absolument rien dire. La fatigue du voyage m’avait causé quelques coliques, qui s’en sont allées avec le repos. Depuis plusieurs jours je n’ai rien éprouvé. J’espère qu’elles me laisseront tranquille désormais. Je n’étais pas étonné de les avoir, après l’agitation que m’avait causée le bateau à vapeur. M. Gabriel me charge de vous offrir ses respects. Je vous prie, mon cher petit père, de m’écrire désormais plus exactement. Vous pouvez m’adresser vos lettres, soit Poste restante, soit Al convento di S. Andrea delle Fratte: c’est égal, parce que le portier du couvent est obligé d’aller les chercher.

Adieu. Je vous embrasse, mon cher petit père, de tout coeur.

Emmanuel.
Notes et post-scriptum
1. Voir des extraits dans *Notes et Documents*, t. Ier, p. 397-400.2. Jeune séminariste de Pézenas, qui avait accompagné Emmanuel à Rome et demeurait avec lui et l'abbé Gabriel.
3. Emmanuel logea, durant son séjour à Rome, au couvent des religieux Minimes attenant à l'église de *Sant'Andrea delle Fratte*.
4. Théodore-Joseph de Montpellier de Vedrin, né à Namur en 1807, fut préconisé évêque de Liége le 26 septembre 1852 et mourut le 25 août 1879.
5. On appelle Collège, à Rome, un Séminaire destiné aux étudiants ecclésiastiques, soit réguliers, soit séculiers. Le Collège Romain est le Séminaire tenu par les Jésuites, où leurs étudiants et ceux d'autres Séminaires suivent les cours ordinaires de philosophie, de théologie et de droit canonique, et peuvent obtenir les grades en ces diverses matières. Le Séminaire Romain était destiné à former le clergé du diocèse de Rome. La Sapience, enfin, était l'Université du Saint-Siège.
6. Il résulte de ce passage qu'avant de s'embarquer Emmanuel fit un court séjour à Marseille. L'abbé Martin, d'Agde, ami de l'abbé Gabriel, les y avait accompagnés.
7. Boyer, Sulpicien, parent et ami de Mgr de Frayssinous, avait composé et fait imprimer un ouvrage, *Examen de la doctrine de M. de la Mennais*, qui parut au début de 1834. Le Pape, qui en reçut un exemplaire par l'entremise de l'internonce à Paris, se hâta d'en faire exprimer par Bernetti, cardinal secrétaire d'Etat, sa vive contrariété et à l'internonce et à l'auteur. Celui- ci semblait vouloir, comme tant d'autres ecclésiastiques français, forcer Rome à mettre hors de l'Eglise le redoutable polémiste breton. Or, il est certain que le Saint-Siège, après la soumission obtenue de La Mennais en décembre 1833, désirait le silence absolu sur cette affaire et ne serait plus inter venu contre lui, comme le déclare avec raison l'abbé d'Alzon, si le solitaire de La Chênaie n'était lui-même rentré de nouveau en lice.