Vailhé, LETTRES, vol.1, p.467

24 dec 1833 Rome, ALZON_AUGUSTINE
Informations générales
  • V1-467
  • 0+151|CLI
  • Vailhé, LETTRES, vol.1, p.467
  • Orig.ms. ACR, AB 27.
Informations détaillées
  • 1 CLERGE
    1 CLERGE FRANCAIS
    1 CONGREGATIONS ROMAINES
    1 CONVERSIONS
    1 COURS PUBLICS
    1 ELEVES
    1 MATIERES DE L'ENSEIGNEMENT ECCLESIASTIQUE
    1 MUSIQUE
    1 NEUVAINE A LA SAINTE VIERGE
    1 PHILOSOPHIE CHRETIENNE
    1 PRETRE
    1 PROFESSEURS D'UNIVERSITE
    1 PROTESTANTISME
    1 RATIONALISME
    1 RECONNAISSANCE
    1 REPAS
    1 RESIDENCES
    1 RIRE
    1 THEOLOGIENS
    1 TRAVAIL DE L'ETUDE
    1 TURCS
    1 VACANCES
    1 VETEMENT
    2 ALZON, HENRI D'
    2 ALZON, MADAME HENRI D'
    2 BONNETTY, AUGUSTIN
    2 COMBALOT, THEODORE
    2 DREUX-BREZE, EMMANUEL-JOACHIM
    2 DREUX-BREZE, PIERRE-SIMON DE
    2 DREUX-BREZE, SCIPION DE
    2 GABRIEL, JEAN-LOUIS
    2 GINOULHIAC, JACQUES-MARIE-ACHILLE
    2 LA TREILLE, DE
    2 LAMENNAIS, FELICITE DE
    2 LEBOUTEILLIER
    2 MAZZETTI, JOSEPH-MARIE
    2 PAOLI
    2 PHILIPPE DE MACEDOINE
    2 PUYSEGUR, MADAME ANATOLE DE
    2 REBOUL, ELEUTHERE
    2 RETZ, ALEXANDRE DE
    2 RETZ, PAUL DE GONDI DE
    2 TORCY DE
    2 VENTURA, GIOACCHINO
    2 VERNET, HORACE
    3 AVIGNON
    3 CALABRE
    3 FRANCE
    3 LAVAGNAC
    3 MONTPELLIER
    3 PARIS
    3 ROME
    3 ROME, COLLEGE ROMAIN
  • A SA SOEUR AUGUSTINE.
  • ALZON_AUGUSTINE
  • le 24 décembre 1833.
  • 24 dec 1833
  • Rome,
La lettre

J’ai reçu hier, ma chère amie, ta lettre du 10 décembre. Enfin, vous avez de mes nouvelles et vous n’êtes plus en peine. Ma lettre a mis, il paraît, moins de temps pour aller de Rome à Paris, que celle de maman pour aller de Paris à Rome. Tu me mandes qu’il y avait quinze jours qu’elle était partie, lorsque tu m’écrivais, et je ne l’ai reçue que juste huit jours avant la tienne. Ce sont de ces petits désagréments, auxquels je ne vois d’autre remède que celui de m’écrire plus souvent. Je suis maintenant tout à fait établi et, quoique je travaille assez, les Jésuites donnent assez de vacances à leurs élèves pour que je puisse moi-même t’écrire plus souvent.

Je t’ai conté, je crois, dans ma dernière lettre tous les détails de mon établissement, comme quoi j’étais servi par le portier du couvent, descendant en ligne directe de Philippe, roi de Macédoine, et borgne comme lui. Mes compagnons de voyage sont fort bons. L’excellent abbé Gabriel qui s’estime fort heureux de t’avoir causé un moment d’hilarité a pris pour souffre-douleur le pauvre Eleuthère Reboul, qui, quoique plein d’esprit, me fait parfois mourir de rire avec sa simplicité et sa tournure. Nous avons entrepris de le dégrossir; il n’y a pas moyen. Il va toujours trébuchant, s’allongeant dans les escaliers et au milieu des églises, un oeil à l’Orient et l’autre à l’Occident, les mains en forme de rames. Ce qu’il y a d’excellent, c’est qu’il ne se fâche jamais: il est, au contraire, enchanté des observations qu’on lui fait, sauf à n’en tenir nul compte. Le bon abbé Gabriel s’époumonne pour lui apprendre à tenir sa cuiller et son couteau. Peine perdue. Le bon enfant est toujours aussi gauche, et, pour moi, me divertit beaucoup, quoiqu’il me vexe bien aussi quelquefois.

J’ai reçu, en même temps que la tienne, une lettre de mon père qui en contenait trois de l’abbé(1), une pour moi [et] deux de recommandations. Elles étaient datées du 8 octobre et ne sont arrivées à Lavagnac que vers le 8 décembre. Deux mois en route, ce n’est pas trop. Si tu as l’occasion de le voir encore, remercie-le de ma part et dis-lui que, si je ne l’ai pas fait moi-même dans la lettre que ma mère lui remit de ma part, c’est que je n’avais pas encore reçu les siennes(2). Je t’avoue que, tous les jours, de plus en plus, je me persuade qu’il perd une belle occasion. Je mettrai dans cette lettre une autre pour M. Combalot. Tu pourras la lire; par là je m’éviterai la peine de répéter deux fois la même chose.

Le P. Ventura, qu’on disait exilé, est revenu ici. Je l’ai vu. Cet homme plaît beaucoup à M. Gabriel. J’aurais voulu le voir plus souvent; mais il m’a fait observer qu’on [le croyait] partisan exagéré de M. de la Mennais et qu’on pourrait lui faire une mauvaise affaire, si on le savait en relations fréquentes avec des prêtres français., Il m’a adressé à un des meilleurs théologiens de Rome, le P. Mazzetti, qui m’a accueilli avec une bonté parfaite. Il veut bien que j’aille le voir dans la semaine pour causer avec lui théologie. Le P. Mazzetti jouit d’une fort grande réputation et est membre de plusieurs Congrégations(3).

Je suis trois cours de théologie au Collège Romain, mais je ne vois pas une grande différence entre ces cours et ceux de Montpellier. Les professeurs peuvent être meilleurs, et encore ne valent-ils pas M. Ginouilhac. Quant à la forme, c’est toujours la même. Et cependant, si l’on veut faire aujourd’hui quelque bien, il faut absolument suivre une voie toute nouvelle. J’ai causé hier pendant deux heures avec un jeune rationaliste allemand. Prétendre convertir ces gens-là par les arguments qu’on apportait, il y a deux cents ans, à leurs pères, c’est folie et peine perdue.Or, en France, les esprits s’avancent à grands pas vers les dernières limites du protestantisme. Mais j’allais te parler philosophie et j’oubliais que c’est la chose que tu détestes le plus au monde. Parlons d’autre chose.

Nous avons enfin trouvé une excellente pension pour nos repas. C’est un Monsieur d’Avignon qui entreprend de former un établissement pour loger des prêtres français. Tout lui fait espérer du succès. Il a malheureusement songé trop tard cette année-ci à chercher un logement et il n’en peut trouver. Cela ne m’étonne pas. M. de Brézé ne peut rencontrer depuis quinze jours un appartement pour son frère. Bref, ce Monsieur donne à manger aux prêtres, et comme tout ce qui est nouveau est beau, il nous sert fort proprement -chose rare dans ce pays,- nous donne de l’excellent bouillon, trois plats et un dessert copieux, pour trois pauls(4) par tête, ce qui revient à trente-trois sous pour chacun de nous. Il nous donna hier d’un fromage, qui vaut les meilleures crèmes que j’aie mangées. Voilà des détails.

Je te prie de faire mes compliments à M. Paoli. Il y a, à Rome, un singulier usage, c’est de faire des neuvaines chantées devant toutes les madones qui fourmillent ici. Des paysans de Calabre arrivent avec leurs cornemuses, et, du matin au soir, soufflent dans leur peau d’agneau. C’est un tapage inconcevable. Dès 5 heures du matin, nous sommes réveillés par ces discordants accords. J’avais tâché de retenir l’air, mais comme je dormais à moitié lorsque j’étais frappé par l’aigreur des hautbois, je ne m’en souviens pas trop.

J’ai fait une emplette curieuse. A Rome, il est censé qu’il ne fait jamais froid, et l’on voit des personnes qui, par goût, portent toujours des pantalons de toile. Cependant, je ne suis pas tout à fait de leur avis. C’est pour cela que j’ai pris le parti de me chauffer. Comme il ne fait jamais froid ici, on n’a pas de cheminée. Qu’ai-je fait? M. Gabriel et moi, nous avons acheté à un prêtre maronite des pelisses turques, toutes neuves. La sienne est un peu plus grande que la mienne, mais je suis fort content de celle que j’ai. Enveloppé dans cette pelisse, je suis à merveille et j’ai, de plus, le mérite d’avoir l’air original.

T’ai-je écrit que M. Gabriel avait été voir Horace Vernet, qui est maintenant toujours habillé en Bédouin? Il s’est fait arranger une chambre turque, a une pipe de Turc, une barbe de Turc, croise les jambes comme un Turc; il se croit Turc et [est] l’homme le plus heureux de sa turquerie(5). Je n’allai pas chez lui, parce que M. Gabriel y fut conduit à une heure où j’avais un cours. Son introducteur fut un prêtre grec maronite, non pas celui qui nous a vendu les pelisses, le plus bel homme de Rome, dit-on, avec une barbe superbe, quoiqu’il n’ait pas trente ans. Il nous a pris en grande affection et, comme il loge dans le même couvent, nous le voyons tous les jours.

J’ai vu M. de Brézé, qui est enfin arrivé. Il m’a fait mille prévenances, plus que je n’en attendais de lui, après la manière un peu froide dont nous nous étions quittés; m’a dit qu’il avait eu des torts envers moi, mais qu’il fallait tout oublier: il a été aussi bien que possible(6). Il m’a présenté chez l’abbé de Retz(7) qui n’est pas le cardinal de Retz ni au temporel ni au spirituel. Connais-tu Jay… de la Treille? C’est son portrait tout fait. Il y a plus d’un an qu’il n’a vu M. Le Bouteillier. Cependant, il m’a promis de demander son adresse qu’il n’avait plus. Tu me donnes une fort bonne idée en me proposant d’écrire à Henry. Je vais le faire à l’instant même.

Adieu. Embrasse maman et Marie pour moi, et prie les de m’écrire.

Emmanuel.

Puisque je prends le parti de mettre toutes ces lettres sous enveloppe, je puis te dire encore quelques mots. D’abord, je te souhaite une bonne année. Ne trouves-tu pas charmant de se la souhaiter de 300 lieues? Tu te chargeras de la souhaiter pour moi à maman et d’embrasser aussi Marie de ma part.

Je te charge de dire pour moi mille choses à M. Bonnetty et à M. de Torcy. Adieu. J’ai peur que le courrier parte sans cette lettre.

E.D'ALZON
Notes et post-scriptum
1. La Mennais. Voir cette lettre à l'Appendice.2. Cette lettre à La Mennais, qui était revenu à Paris le 1er novembre 1833, est perdue.
3. Le P. Mazzeti, Carme chaussé, était un ami personnel de "La Mennais, qui l'avait connu à Rome, lors de ses deux séjours dans la Ville Eternelle. D'après les *Notizie per l'anno 1834*, parues à Rome le 3 juin 1834, le P. Mazzeti était alors consulteur des Congrégations du Saint-Office, de la Propagande, des Rites, de la Discipline régulière, des indulgences et reliques, ainsi que de la Congr. pour la correction des livres de l'Eglise orientale.
4. Le paul était une monnaie d'argent des anciens Etats romains, qui valait ordinairement o fr. 52.
5. Horace Vernet était alors directeur de l'Ecole française des Beaux Arts, à la villa Médicis.
6. C'est le frère de l'abbé de Dreux-Brézé, qui, lui, logeait au Collège des nobles.
7. L'abbé de Retz, né en 1783, était auditeur de Rote depuis le 16 mai 1825.