Vailhé, LETTRES, vol.1, p.472

dec 1833 [Rome, INCONNUS
Informations générales
  • V1-472
  • 0+152|CLII
  • Vailhé, LETTRES, vol.1, p.472
  • Brouillon autographe ACR, AB 28.
Informations détaillées
  • 1 AGRICULTEURS
    1 APATHIE SPIRITUELLE
    1 ASCESE
    1 AUTORITE PAPALE
    1 AUTORITE RELIGIEUSE
    1 BAS CLERGE
    1 BOURGEOISIE
    1 CONCILE OECUMENIQUE
    1 CORRUPTION
    1 CREATION
    1 DEMOCRATIE
    1 DESSEIN DE SALUT DE DIEU
    1 EGLISE
    1 EGLISE EPOUSE DU CHRIST
    1 ENSEIGNEMENT DE LA LITTERATURE
    1 EPISCOPAT
    1 EVANGILE DE JESUS-CHRIST
    1 GENEROSITE DE L'APOTRE
    1 GUERISON
    1 HAUT CLERGE
    1 HUMILITE
    1 INSTITUTS RELIGIEUX
    1 JESUS-CHRIST
    1 MANQUE DE FOI
    1 MAUX PRESENTS
    1 MINISTERE DES LAICS
    1 NOBLESSE
    1 PAPE
    1 PAUVRE
    1 PECHE
    1 PENSEE
    1 PERSECUTIONS
    1 PRETRE
    1 PROVIDENCE
    1 REFORME DE L'INTELLIGENCE
    1 REFORME DU CLERGE
    1 REGNE
    1 RENONCEMENT
    1 RENOUVELLEMENT
    1 REVOLTE
    1 REVOLUTION ADVERSAIRE
    1 REVOLUTION DE 1789
    1 SAINTETE
    1 SALUT DU GENRE HUMAIN
    1 SIMPLICITE
    1 TRIBU
    1 VIE DE SACRIFICE
    2 ANTOINE, SAINT
    2 BENOIT, SAINT
    2 ELIE, PROPHETE
    2 FRANCOIS DE PAULE, SAINT
    2 FRANCOIS D'ASSISE, SAINT
    2 GERBET, PHILIPPE-OLYMPE
    2 HUGO, VICTOR
    2 LAMENNAIS, FELICITE DE
    2 NAPOLEON Ier
    2 SAMUEL, PROPHETE
    2 SEURRE, JEUNE
    2 TERTULLIEN
    3 ISRAEL
    3 LYON
  • A UN AMI (1).
  • INCONNUS
  • ? décembre 1833].
  • dec 1833
  • [Rome,
La lettre

Je trouve, mon cher ami, qu’il est quelquefois avantageux de revenir sur le passé, afin de voir où l’on en est, de se faire part de ses observations, afin de juger si, suivant une voie commune dans le principe, on n’a pas fini par prendre un chemin différent. C’est pour cela que je vous écris aujourd’hui. Je ne vous donnerai aucun détail, je veux seulement régler mes comptes avec vous. Les événements vont si vite, ils apportent avec eux. tant de lumière qu’il faut ou fermer les yeux ou profiter des leçons qu’ils nous donnent.

Et d’abord, je veux savoir si vous jugez l’état présent de la société comme moi. Le premier fait qui me frappe est cet acharnement universel à saper tout genre de supériorité. Chacun dans sa sphère a quelqu’un au-dessus de lui, et c’est ce qui déplaît, révolte. Ce sentiment ne souffre pas d’exception. Dans la société politique, la vieille aristocratie, engloutie depuis longtemps dans l’abîme révolutionnaire, a fait place a l’aristocratie bourgeoise. Vainement celle-ci oppose-t-elle une digne de baïonnettes au flot démocratique; la digue tous les jours subit quelques crevasses: bientôt elle sera emportée. Voyez Lyon(2).

Vous savez ce qui se passe dans le monde littéraire, et comme V[ictor] Hugo voit se fondre en coterie bientôt imperceptible l’école sur laquelle il avait essayé de se poser, comme Napoléon sur sa colonne(3).

Passons à l’église. Que voyons-nous? Voyez cette lutte du haut et du bas clergé. Après avoir secoué le pouvoir du Pape, les évêques veulent faire peser un joug intolérable sur les prêtres, car si avant la Révolution le pouvoir épiscopal était évidemment trop restreint, on ne saurait nier qu’aujourd’hui il ne prenne des développements excessifs, je dirais presque dangereux. La destruction des tribunaux ecclésiastiques a laissé dans leurs mains un pouvoir arbitraire et qu’ils exercent parfois d’une manière bien dangereuse. Si les évêques s’arrogent des prétentions exagérées, il ne faut pas croire que les simples prêtres courbent la tête sans murmurer sous le bâton pastoral métamorphosé en sceptre: j’en ai entendu de très réguliers s’exprimer à cet égard d’une manière à pénétrer l’âme d’effroi. Sans doute, leurs plaintes avaient du vrai, mais on peut aisément penser que l’excès de l’autorité amenant nécessairement une réaction déplorable, il faudra une intervention particulière de la Providence pour empêcher tôt ou- tard dans l’Eglise une funeste collision.

Ce n’a pas été, selon moi, sans une permission particulière de la Providence que l’abbé de la Mennais a été prêtre et rien que prêtre. S’il eût été moins, on l’eût ménagé davantage; mais la persécution qui, aujourd’hui surtout, a un don vivificateur, n’eût pas autant fait fructifier les semences vitales qu’il a jetées sur la société. S’il eût été plus, le corps épiscopal se tût peut-être arrêté devant lui, mais le corps sacerdotal l’eût encore plus mal accueilli. Or, après l’état actuel des choses, il me semble que, si la réforme doit sortir de quelque part, ce n’est pas d’en haut que nous la verrons descendre.

A toutes les époques, Dieu a suscité à son Eglise des hommes chargés de guérir ses plaies, au moment ou leur intensité et leur nombre pouvaient ébranler la foi des chrétiens, mais presque toujours nous voyons le mouvement régénérateur partir d’en bas. Cependant, comme le dit Gerbet, la création est un plan incliné, où les êtres supérieurs s’abaissent vers les êtres inférieurs. Il y a donc un problème à résoudre, problème auquel se rattache la conduite de ceux qui, selon leur faiblesse, veulent aider l’oeuvre de la Providence pour le salut de l’humanité. Or, ce qui, au premier aspect, paraît une contradiction, s’harmonise parfaitement avec ce que nous connaissons de l’ordre établi de Dieu dans la direction des choses, ici-bas. Que, pour opérer une régénération, il faille qu’un être supérieur s’abaisse vers ce qui est au-dessous de lui, rien de plus évident; et que cet être doive subir les suites naturelles des désordres qu’il veut détruire chez ceux à qui il s’adresse, rien de plus évident encore. Ainsi Jésus-Christ qui s’est fait péché, quand la lèpre du péché rongeait toute la terre. Ainsi saint Antoine, saint Benoît, saint François d’Assise, saint François de Paule, tous fondateurs d’Ordres, c’est-à-dire réparateurs du clergé, à une époque où le clergé descendait au-dessous des simples fidèles, et tous par cette même raison dépourvus de l’onction sacerdotale.

Que si nous voyons des hommes opérer dans l’Eglise des réformes analogues, et cependant membres du clergé qu’ils renouvelaient; que si nous trouvons des exceptions à ces faits généraux, je crois pouvoir assurer qu’elles [sont] rares. Il ne faudrait pas, en effet, m’opposer les réformes opérées par les lois ecclésiastiques promulguées par des Papes ou des Conciles. Il est bien évident que des lois pareilles ne peuvent être rendues que par ceux qui ont autorité. Mais il faut observer deux lois: celle par laquelle l’autorité conserve et celle par laquelle elle renouvelle. Pour conserver, il faut qu’elle parle d’en haut; pour réparer, il faut qu’elle s’abaisse vers ce qui est corrompu, qu’elle s’oublie pour ainsi dire, comme Jésus-Christ s’est oublié. Telle est la loi du sacrifice. Posons donc nos principes: quiconque veut opérer une régénération doit avoir le caractère ou de l’autorité ou de la sainteté.

La plaie particulière de l’Eglise doit, ce me semble, nous faire connaître de quel point doivent se lever ceux qui pourront aider sa guérison. Ces maux me paraissent multipliés d’une manière désespérante. Cependant, les plus saillants me semblent être un manque absolu de foi et, partant, une absence de conviction: dans les hommes, une grande défiance de la foi et de la conviction du clergé, défiance fondée jusqu’à un certain point; dans le clergé, il faut le dire, un abattement, une langueur qui fait frémir. Quelques-uns ont pris le parti de faire de leur état une question d’intérêt; d’autres, désespérant d’eux-mêmes et du ciel, croisent les bras et s’assoient, comme Héli à la porte du temple (sic), attendant d’un moment à l’autre qu’on leur annonce la défaite d’Israël et la prise de l’arche. Respectons-les: ils sont vieux, et leurs yeux se sont obscurcis.

Quel sera le nouveau Samuel qui délivrera l’Eglise, et de quelle tribu sortira-t-il? Pour moi, je suis persuadé que les choses en sont venues à un point qu’un seul homme ne suffira pas pour accomplir l’oeuvre de Dieu. Un homme seul a peut-être commencé le mouvement, mais plusieurs le doivent continuer. Le principe en est jeté, et c’est une fermentation, et les simples fidèles y doivent participer autant que les prêtres. Ce sera une oeuvre de conviction, et aujourd’hui, il n’en faut pas douter, la conviction se trouve autant chez les chrétiens que chez les prêtres. Ce sera encore une oeuvre d’intelligence, et les prêtres, sous ce rapport, le céderont aux laïques ou du moins ne l’emporteront pas sur eux. Le sacerdoce n’a donc plus rien qu’une seule chose qui puisse lui être propre, le dévouement. Par là encore il peut reprendre une influence immense sur la société; mais pour cela il faut qu’il ne se fasse pas illusion sur sa position véritable. Il ne faut pas qu’il espère séduire le peuple par un appareil extérieur. Je crois que l’époque des pompes épiscopales est passée, au moins en dehors des églises. Il est temps et grand temps de revenir à ce que les hommes du siècle demandent pour dernière preuve de la vérité, plus de conséquence entre la conduite et les principes. On ne veut pas qu’un pontife, du fond d’une voiture à quatre chevaux, crie en courant la poste à de pauvres paysans transis de froid: Beati pauperes spiritu, car si ces braves gens savent leur Evangile, ils pourront douter que Monseigneur prenne la route du royaume des cieux.

Donc, pour me résumer, de la part du clergé, il faut du dévouement, et comme malheureusement il ne se manifeste que sur quelques points rares des sommités ecclésiastiques, c’est au jeune clergé qu’il faut s’adresser en lui montrant surtout que l’esprit de sacrifice est le fond de son caractère, ou plutôt son caractère même. Il faut que les simples catholiques comprennent leur mission et qu’à eux aussi est confiée une partie importante de la vigne. Il faut enfin que des hommes se dévouent à être victimes. Ce sera vous, ce sera moi, ce seront ceux à qui le Seigneur en donnera la force, parce que la parole de Tertullien est toujours [vraie]: Sanguis martyrum semen christianorum; et si aujourd’hui on ne tue plus le corps, il est une autre manière de donner la mort, non moins dure pour celui qui la reçoit, mais aussi non moins féconde pour l’Eglise de Jésus-Christ.

Pour moi, je suis toujours dans une admiration mêlée d’effroi, quand je contemple ce qui nous est réservé. Il me semble voir des combats, dans lesquels tout coeur généreux sera nécessairement broyé. Dans ces luttes tout ce qui est personnel, humain, se trouve anéanti; et sur ces ruines il me semble voir passer [le] char de Dieu, dont les roues écrasent tout ce qui s’élevait contre sa puissance. Gloire à lui!..

Notes et post-scriptum
1. Nous ignorons à qui fut adressée cette lettre dont nous n'avons plus que le brouillon, à un prêtre ou à un séminariste vraisemblablement. Nous ignorons, de même, sa vraie date.
2. Allusion à l'insurrection des ouvriers de Lyon, du 21 novembre au 3 décembre 1831.
3.La statue de Napoléon, oeuvre de Seurre dit le Jeune, fut érigée sur la colonne Vendôme, en 1833.