Vailhé, LETTRES, vol.1, p.476

1 jan 1834 Rome, ALZON_VICOMTE
Informations générales
  • V1-476
  • 0+153|CLIII
  • Vailhé, LETTRES, vol.1, p.476
Informations détaillées
  • 1 ADOLESCENTS
    1 AMITIE
    1 BELGES
    1 COUVENT
    1 DEPENSES
    1 DOMESTIQUES
    1 ERMITES
    1 GALLICANISME
    1 LANGUE
    1 LIBERTE
    1 LIVRES
    1 OPINION PUBLIQUE
    1 RESIDENCES
    1 SCHISME
    1 THEOLOGIENS
    1 TRAVAIL DE L'ETUDE
    1 ULTRAMONTANISME
    2 ALZON, MADAME HENRI D'
    2 BERNETTI, TOMMASO
    2 CRISPINE, SERVANTE
    2 DREUX-BREZE, PIERRE-SIMON DE
    2 DUDON, PAUL
    2 DURAND, PERE
    2 FELIX, PERE
    2 FRANCOIS, LAVAGNAC
    2 GABRIEL, JEAN-LOUIS
    2 GARIBALDI, ANTONIO
    2 GREGOIRE XVI
    2 LAMARCHE, VINCENT
    2 LAMBRUSCHINI, LUIGI
    2 LAMENNAIS, FELICITE DE
    2 LEBOUTEILLIER
    2 LUDOLF, DE
    2 MAC CARTHY, CHARLES
    2 MAZZETTI, JOSEPH-MARIE
    2 MICARA, LODOVICO
    2 MONTALEMBERT, CHARLES DE
    2 MONTPELLIER THEODORE-JOSEPH DE
    2 ODESCALCHI, CARLO
    2 OLIVIERI, MAURIZIO
    2 PACCA, BARTOLOMEO
    2 QUELEN, HYACINTHE DE
    2 REBOUL, ELEUTHERE
    2 RETZ, ALEXANDRE DE
    2 ROZAVEN, JEAN-LOUIS DE
    2 VENTURA, GIOACCHINO
    2 VERNIERES, JACQUES
    2 WELD, THOMAS
    3 MARSEILLE
    3 ROME
    3 ROME, COLLEGE DES NOBLES
  • A SON PERE (1).
  • ALZON_VICOMTE
  • le 1er janvier 1834.
  • 1 jan 1834
  • Rome,
  • France
    Monsieur
    Monsieur le Vicomte Henry d'Alzon,
    au château de Lavagnac,
    par Montagnac.
    Hérault
La lettre

Il y a déjà longtemps que je ne vous ai écrit, mon cher petit père. J’avais mes raisons. J’ai appris quelques nouvelles intéressantes, et l’espoir d’en apprendre d’autres de jour en jour me faisait retarder indéfiniment; mais je vois que chaque jour quelque retard m’empêche d’apprendre quelques détails que j’attends. Cela irait trop loin. A une autre fois pour ces détails. Tout ce que je puis vous dire, c’est que le Pape a dit à une personne, de qui je le tiens, qu’il était très content de l’abbé de la Mennais(2).

J’ai pensé vous faire plaisir, mon cher petit père, en vous parlant aujourd’hui de ce que je puis appeler ma position morale à Rome. Jusqu’à présent je n’avais presque pas traité ce sujet. Je crois pourtant qu’il vous intéressera. D’abord, avec M. Gabriel je suis au mieux, pour deux raisons. La première, c’est que j’écoute ses conseils dans les choses sérieuses, sauf à consulter ensuite ou le P. Lamarche, mon confesseur, ou M. Vernière par lettre. La seconde raison, c’est que, malgré tous ses efforts, je ne me suis pas laissé mettre le grappin dessus. Il voulait que je fisse à Rome un séjour aussi court que lui, et je lui ai signifié que je resterais au moins deux ans. Il ne se souciait guère d’aller dans un couvent, et cependant en dernière analyse il avoua que nous avons pris le meilleur parti..Il voudrait que je sortisse souvent avec lui, mais je lui ai signifié que je voulais travailler, et, quoique je sois loin de vivre en ermite, je me suis mis à travailler autrement que lui, malgré ses beaux plans. J’ai toute ma liberté; il a sans doute la sienne, mais je ne veux pas passer par toutes ses idées, qui, entre nous, changent au moins une fois par semaine, excepté quand on les contrarie. Je lui témoigne la plus vive amitié et, au fond, je l’aime de tout mon coeur. Quant au pauvre Eleuthère, c’est un souffre-douleur. Il est vrai qu’il est bien impatientant. Imaginez-vous ce qu’il y a de plus gauche, de plus maladroit, de plus nigaud à l’extérieur, avec des moyens et de l’esprit. M. Gabriel le gronde toujours. Je fais ordinairement le rôle de médiateur, quoique la patience m’échappe quelquefois.

J’ai profité des lettres de recommandation que l’on m’a données, quand j’ai pensé qu’elles me seraient utiles. Je me suis dispensé d’aller porter celle pour le cardinal Bernetti et celle pour M. de Ludolf, parce que je n’en ai pas vu l’avantage. J’ai été voir une fois le P. Rozaven, mais je ne sais pas si je retournerai chez lui. Je suis, par M. de Brézé, au courant de tout ce que je puis savoir du P. Rozaven lui-même et je suis trop gêné avec cet homme, pour me mettre souvent en face de lui. Du reste, je me garde bien de manifester les pensées défavorables que j’ai sur le compte de Messieurs les Jésuites.

Puisque j’ai nommé M. de Brézé, je dois vous parler de lui. Je l’ai trouvé aussi aimable pour moi qu’il pouvait l’être, me comblant de prévenances et m’engageant beaucoup à aller loger avec lui; mais, je vous l’avoue, il m’a été impossible de vaincre ma répugnance. Plus tard, peut-être, aurai-je plus de courage. Mais le commerce de M. de Brézé lui-même me serait insupportable, si je n’étais pas libre de le planter là, quand je veux. Vous pensez bien que je ne me dispute jamais avec M. de Brézé sur les questions controversées. Je le laisse parler tant qu’il veut, et il parle longuement quand il s’y met. Je réponds par quelques phrases ambiguës, et tout est dit. Ce bon jeune homme est toujours le même, et de même qu’avant d’être à Rome il était gallican exclusif, il est maintenant ultramontain exclusif, avec la même étroitesse d’esprit qui l’empêchera de faire aucun bien en France, quand il y retournera. Sous prétexte qu’il m’aime de tout son coeur, il veut savoir tout ce que je fais, tout ce que je pense. Etre toujours avec lui me serait odieux, parce que si j’allais voir le P. Ventura ou tout autre de ce genre, je serais aussitôt anathème et à ses yeux et à ceux des Jésuites, car il ne manquerait pas de le rapporter. Il se trouve dans ce moment avec un jeune Belge, dont le caractère est charmant et qui m’a pris en belle amitié. Celui-là me ferait désirer d’être au Collège des Nobles, mais M. de Brézé m’en éloigne. Quant à ce que disait le P. Durand que les meilleures familles de Rome envoient leurs enfants dans ce Collège, cela peut être vrai, mais comme ce sont des morveux avec lesquels je n’aurais aucune relation, cela me touche fort peu.

J’ai déjà fait quelques bonnes connaissances. Le cardinal Micara nous traite fort bien, M. Gabriel et moi. J’ai été voir l’abbé de Retz, qui m’a très bien reçu. Je n’ai pu encore savoir l’adresse de M. Le Bouteillier. M. de Brézé doit me présenter aux cardinaux Lambruschini et Odescalchi(3). D’autres personnes me présenteront au cardinal Weld(4). Je vous ai écrit, je crois, que j’avais vu le P. Ventura, qui m’avait bien reçu et qui m’avait procuré la connaissance du P. Mazzetti, un des premiers théologiens de Rome et qui veut bien me recevoir quelquefois pour me donner des leçons de théologie. L’abbé de la Mennais m’a envoyé deux lettres. L’une [est] pour Mac-Carthy, jeune Anglais, dont je suis enchanté: il m’a reçu en perfection, et c’est par lui que j’ai su que la dernière lettre de M. de la M[ennais] avait enchanté le Pape. Voilà donc les craintes de schisme évanouies. L’autre est pour le P. Olivieri(5) qui passe pour le premier théologien de Rome; j’irai le voir après-demain avec le P. Lamarche, que j’ai pris pour confesseur. Je prends des leçons d’allemand; j’en suis enchanté. J’ai affaire avec un bon jeune homme, qui m’a pris en affection et avec qui, outre le temps des leçons, je fais quelques courses, pendant lesquelles il me parle toujours allemand. C’est le meilleur moyen de l’apprendre bientôt. J’ai assez de livres, parce que je suis abonné à un Cabinet littéraire passable.

Faites, je vous prie, mes compliments à toute la maison, à Crispine en particulier; recommandez à François de mettre du camphre dans ma bibliothèque. Vous devriez le presser d’apprendre à écrire. Je veux vous faire une observation qui vous fera plaisir. Vous savez combien ma mère se plaignait des arbres verts, dont les branches sont coupées. Eh bien! ici, il y a beaucoup de pins, et tous ont le tronc dépouillé. Il est vrai que ce sont pour la plupart des pins parasols. Vous ne vous faites pas une idée de la beauté de l’effet que ces arbres produisent. Vous devriez en faire planter quelques-uns sur le causse. S’ils y font un aussi bel effet que sur les collines nues de Rome, vous en serez enchanté, j’en suis sûr. Je n’ai pas reçu la lettre du P. Félix. Elle est restée à la poste, à Marseille. Je n’ai pas trop envie de la faire retirer, parce que les prix de poste sont ici tellement exorbitants que ce serait une vraie dépense de la faire venir.

Adieu, mon cher petit père. Je vous embrasse bien tendrement.

Emmanuel.
Notes et post-scriptum
1. Voir des extraits dans *Notes et Documents*, t. Ier, p. 347-349.
2. Cette personne était Mac-Carthy, comme Emmanuel le dit un peu plus loin. D'après une lettre de l'archevêché de Westminster, en date du 5 mai 1886, Mac-Carthy, après avoir reçu seulement les ordres mineurs, abandonna l'état ecclésiastique pour la diplomatie, devint gouverneur de l'île Maurice et d'autres colonies anglaises. Il était déjà mort depuis quelque temps en 1886.
Après de nombreuses et vives instances, et après avoir vu rejeter par l'internonce et l'archevêque de Paris les projets d'adhésion à l'encyclique qu'il avait rédigés le 1er et le 6 décembre 1833, La Mennais avait fini, le 11 décembre, par envoyer au cardinal Pacca la déclaration suivante qui devait être transmise au Pape: *Ego infra scriptus, in ipsa verborum forma quae in Brevi summi pontificis Gregorii XVI, dato die 5 octobr. an. 1833 continetur, doctrinam encyclicis ejusdem pontificis litteris traditam, me unice et absolute sequi confirmo, nihilque ab illa alienum me aut scripturum esse, aut probaturum*.
*Lutetiae Parisiorum, die 11 decembr. an. 1833*.
Grégoire XVI fut ravi de cette soumission et il adressa, le 28 décembre 1833, à La Mennais le Bref très élogieux *Quod de tua*, qui, dans la pensée du Souverain Pontife, aurait dû terminer cette malheureuse affaire. Voir ces pièces dans Dudon, *Op. cit.*, p. 410-421. Mais La Mennais n'avait donné qu'une adhésion apparente; il avait signé par lassitude, n'ayant déjà plus la foi en la divinité de l'Eglise ni en l'infaillibilité du Pape, et ayant cessé, dès lors, toute fonction sacerdotale, comme nous l'apprend sa lettre à Montalembert, du 1er janvier 1834. Voir l'Avant-propos, p. LXXVI. C'est précisément ce jour-là qu'Emmanuel s'adressait à son père, et le jeune homme ne pouvait évidemment connaître l'état d'esprit de celui qu'il continuait à appeler son maître.
3. Né à Rome, en 1785, de la famille de ce nom et créé cardinal par Pie VII, le 10 mars 1823, Odescalchi donna sa démission de toutes ses charges et honneurs ecclésiastiques en 1838 pour entrer dans la Compagnie de Jésus et mourut à Modène, le 17 août 1841. (Voir Bérengier, *Vita del cardinale Carlo Odescalchi*, Venise. 1880.2. Cette personne était Mac-Carthy, comme Emmanuel le dit un peu plus loin. D'après une lettre de l'archevêché de Westminster, en date du 5 mai 1886, Mac- Carthy, après avoir reçu seulement les ordres mineurs, abandonna l'état ecclésiastique pour la diplomatie, devint gouverneur de l'île Maurice et d'autres colonies anglaises. Il était déjà mort depuis quelque temps en 1886.
Après de nombreuses et vives instances, et après avoir vu rejeter par l'internonce et l'archevêque de Paris les projets d'adhésion à l'encyclique qu'il avait rédigés le 1er et le 6 décembre 1833, La Mennais avait fini, le 11 décembre, par envoyer au cardinal Pacca la déclaration suivante qui devait être transmise au Pape: *Ego infra scriptus, in ipsa verborum forma quae in Brevi summi pontificis Gregorii XVI, dato die 5 octobr. an. 1833 continetur, doctrinam encyclicis ejusdem pontificis litteris traditam, me unice et absolute sequi confirmo, nihilque ab illa alienum me aut scripturum esse, aut probaturum*.
*Lutetiae Parisiorum, die 11 decembr. an. 1833*.
Grégoire XVI fut ravi de cette soumission et il adressa, le 28 décembre 1833, à La Mennais le Bref très élogieux *Quod de tua*, qui, dans la pensée du Souverain Pontife, aurait dû terminer cette malheureuse affaire. Voir ces pièces dans Dudon, *Op. cit.*, p. 410-421. Mais La Mennais n'avait donné qu'une adhésion apparente; il avait signé par lassitude, n'ayant déjà plus la foi en la divinité de l'Eglise ni en l'infaillibilité du Pape, et ayant cessé, dès lors, toute fonction sacerdotale, comme nous l'apprend sa lettre à Montalembert, du 1er janvier 1834. Voir l'Avant-propos, p. LXXVI. C'est précisément ce jour-là qu'Emmanuel s'adressait à son père, et le jeune homme ne pouvait évidemment connaître l'état d'esprit de celui qu'il continuait à appeler son maître.
3. Né à Rome, en 1785, de la famille de ce nom et créé cardinal par Pie VII, le 10 mars 1823, Odescalchi donna sa démission de toutes ses charges et honneurs ecclésiastiques en 1838 pour entrer dans la Compagnie de Jésus et mourut à Modène, le 17 août 1841. (Voir Bérengier, *Vita del cardinale Carlo Odescalchi*, Venise. 1880.
4. Né à Londres, le 22 janvier 1773, devenu prêtre après la mort de sa femme, créé cardinal le 15 mars 1830 et mort à Rome le 10 avril 1837.
5. Le P. Olivieri, Dominicain, comme le P. Lamarche, était alors commissaire du Saint-Office; il fut, peu après, nommé par le Pape général de son Ordre.