Vailhé, LETTRES, vol.1, p.495

31 jan 1834 Naples, ALZON_VICOMTE
Informations générales
  • V1-495
  • 0+158|CLVIII
  • Vailhé, LETTRES, vol.1, p.495
Informations détaillées
  • 1 CLOITRE
    1 CONFESSEUR
    1 CULTURES
    1 EDIFICE DU CULTE
    1 ENFANTS
    1 MEDECIN
    1 MONASTERE
    1 MORT
    1 PROPRIETES FONCIERES
    1 REMEDES
    1 REPAS
    1 REPOS
    1 RIRE
    1 SANTE
    1 SEMINAIRES
    1 TRANSPORTS
    1 TRISTESSE
    1 VIE RELIGIEUSE
    1 VOL
    1 VOYAGES
    2 DIEZ, GIACOMO
    2 ESQUIROL, DOCTEUR
    2 GABRIEL, JEAN-LOUIS
    2 GARRONI, BENEDICTIN
    2 LAMARCHE, VINCENT
    2 MOLLEVILLE, HENRY DE
    2 SABATIER, ABBE
    2 VIRGILE
    3 ACHERON, RIVIERE
    3 AVERNE, LAC
    3 CIPRANO
    3 GARRIGUES
    3 HERAULT, RIVIERE
    3 HERCULANUM
    3 LEZ, RIVIERE
    3 MISENE, CAP
    3 MONT CASSIN
    3 MONTAGNE D'AGDE
    3 NAPLES
    3 PIC SAINT-LOUP
    3 POMPEI
    3 ROME
    3 SAINT-MARTIN DE LONDRES
    3 SAN GERMANO
    3 SIBYLLE, GROTTE
    3 STYX, RIVIERE
  • A SON PERE (1).
  • ALZON_VICOMTE
  • le 31 janvier 1834.
  • 31 jan 1834
  • Naples,
  • Monsieur
    Monsieur le Vicomte Henry d'Alzon,
    au château de Lavagnac, par Montagnac.
    département de l'Hérault.
    France, par Antibes.
La lettre

Je suis resté quelques jours sans vous écrire, mon cher petit père, parce que depuis mon arrivée à Naples je n’ai fait que courir. C’est vous dire que le but de M. Gabriel a été complètement atteint et que je me porte très bien. A vous parler franchement, les injonctions de M. Esquirol, ainsi que les exhortations du P. Lamarche ne m’ont pas beaucoup effrayé. J’y ai vu un petit manège de l’abbé Gabriel, qui avait envie de me prendre à Naples et qui a fait agir de Molleville auprès de M. Esquirol, pour lui suggérer le remède qu’il désirait me donner. Vous comprenez qu’après le médecin le confesseur n’avait qu’à confirmer. Je ne puis pas dire que j’aie perdu mon temps, j’ai fait les courses les plus intéressantes.

Nous partîmes de Rome en voiture, et, la seconde journée, nous nous arrêtâmes à San-Germano. Le matin, nous avions déjeuné dans un village appelé Ciprano. Nous voulûmes en voir l’église. En entrant, j’aperçus un enfant de deux ans, vêtu de blanc, couché sur un drap qu’on avait étendu par terre. Je m’approchai; cet enfant était mort. L’usage d’exposer les morts n’a rien de rebutant, lorsqu’ils ne sont pas plus défigurés que l’enfant que j’avais sous les yeux, mais il est sujet, ce me semble, à bien des inconvénients. Le pays est délicieux. Près de Rome l’aridité de la campagne, les ruines d’aqueducs et d’autres édifices jettent l’âme dans la tristesse; mais lorsqu’on entre dans le pays des montagnes, l’aspect est tout différent. Leurs sommets souvent couverts de neige, tandis que les vallons sont remplis d’arbres, offrent un spectacle qui nous charmait, même au mois de janvier.

Je vous disais que, la seconde journée, nous nous arrêtâmes à San-Germano. Ce village est au pied de la montagne, de laquelle l’abbaye du Mont-Cassin dominait autrefois ses immenses propriétés. Il nous fallut plus d’une heure de marche pour grimper jusqu’au sommet. A mesure que nous montions, le soleil qui allait se coucher nous voilait peu à peu la plaine la plus riche que j’aie vue. Deux rivières l’arrosaient. Les arbres qui dans ce pays supportent les vignes lui ôtaient de la monotonie qu’offrent les plaines en général. Le Mont- Cassin est aride. Ses rochers sont comme ceux de Saint-Martin de Londres et cependant ils n’ont pas cette teinte grisâtre qui fatigue tant lorsqu’on s’avance du côté du Pic Saint-Loup(2).

L’abbé Gabriel avait des lettres de recommandation pour le Père abbé et pour un autre religieux, ce qui n’empêcha pas que d’abord on nous reçut fort mal. Mais j’avais heureusement une lettre pour un jeune religieux, le P. Garroni, qui était absent, il est vrai, lorsque nous arrivâmes: il vint une heure après et nous fûmes alors aussi bien que possible. Nous eûmes un très bon souper, de bons lits; rien ne nous manqua de ce côté. Après notre souper, auquel assista le P. Garroni et pendant lequel il fit le sien qui consiste en pain et en lait froid, nous allâmes visiter ce que l’on appelle le Paradis. Ce sont des galeries élevées sur les trois cloîtres, par lesquels on entre au mont Cassin. La lune était superbe. Vous ne pouvez vous faire une idée de la beauté de cette vue. En face, un escalier qui prend toute la largeur d’une cour fort vaste et qui s’élève jusqu’au premier étage; à droite et à gauche, des galeries qui vont se joindre à une troisième, sous laquelle il faut passer pour arriver à l’escalier et qui ferme la cour dans laquelle il se trouve. Sur ces galeries sont, comme je vous l’ai dit, des terrasses. Ce sont les séparations de l’immense édifice, d’autant plus prodigieux qu’il est sur une montagne d’accès difficile. La façade est exposée au couchant; la partie du Nord est occupée par un Séminaire; le corps de logis au Midi est pour les religieux: il n’a que deux étages, un corridor à chaque étage, et pourrait cependant loger plus de cent religieux. Je ne parle ni de l’appartement de l’abbé, ni de l’infirmerie, ni de l’hôtellerie, ni du noviciat, ni de la bibliothèque, ni de la salle des archives; je n’en finirais pas. L’église qui sépare le Séminaire du monastère proprement dit est de la plus grande richesse. Pour vous en donner une idée, dans une chapelle particulière, on a plaqué toutes les murailles en marbre blanc, puis on l’a incrusté d’autres marbres de diverses couleurs, en sorte que le marbre blanc paraît à peine pour la dixième ou douzième partie. La bibliothèque est d’un intérêt qu’accroît la complaisance du religieux chargé de la tenir en bon état.

Nous quittâmes tous le Mont-Cassin avec une peine véritable et avec un grand désir de pouvoir y retourner, ce qui malheureusement est difficile à effectuer. Pour nous empêcher de nous ennuyer, on eut soin de nous prévenir qu’en partant de San-Germano nous étions exposés à rencontrer des voleurs, qui, deux jours auparavant, avaient dévalisé une dame et assommé un homme. Nous en fûmes quittes pour la peur. Comme notre projet est de retourner par un autre chemin, nous nous inquiétons peu de ce qui arrivera sur cette route. En général, les routes sont beaucoup plus sûres depuis quelques années. Le vol commis sur l’abbé Sabatier fut la suite de son imprudence.

L’espace me manque pour vous parler de Pompéi, d’Herculanum et d’un voyage fort intéressant dans l’endroit où Virgile a placé son enfer et son élysée. Nous avons vu le Styx, l’Averne, la grotte de la Sibylle et le cap Misène. Voici un événement qui nous fit rire et qui est assez comique en effet. Arrivés au bord de l’Achéron (Acherontis palus), que les ombres ne passaient qu’après avoir payé le tribut à Charon, on nous proposa de le traverser et d’y manger des huîtres excellentes qu’on y engraisse. Mais, comme nous avions mal pris nos mesures, nous nous trouvâmes dans la position des âmes sans obole, et il nous fallut renoncer à manger des huîtres et à traverser le marais.

Voilà une lettre pleine de détails. Cependant, j’ai une foule de choses à vous conter. A une autre fois, mon cher petit père. J’espère avant huit jours être en route pour Rome, et cette fois, si ma tête ne veut pas se faire au climat, je prendrai le parti de m’en retourner. Je n’ai point envie de perdre mon temps, et je ne resterai à Rome qu’autant que je verrai la possibilité de le bien employer.

Adieu, cher petit père. Je vous embrasse bien tendrement.

Emmanuel.
Notes et post-scriptum
1. Voir des extraits dans *Notes et Documents*, t. Ier, p. 358 sq.2. Saint-Martin de Londres est un chef-lieu de canton, sur la rive gauche de l'Hérault, dans la région dite des Garrigues. Le Pic Saint Loup, qu'il ne faut pas confondre avec la montagne d'Agde portant le même nom, domine au Nord le bassin du Lez, du haut de ses 633 mètres d'altitude.