Vailhé, LETTRES, vol.1, p.511

1 mar 1834 Rome, ALZON_AUGUSTINE
Informations générales
  • V1-511
  • 0+162|CLXII
  • Vailhé, LETTRES, vol.1, p.511
Informations détaillées
  • 1 ACTION DE DIEU
    1 ALLEMANDS
    1 BESTIAUX
    1 CARDINAL
    1 CAREME
    1 CLERGE FRANCAIS
    1 CONGREGATION DE LA PROPAGANDE
    1 DISTINCTION
    1 ENTERREMENT
    1 FATIGUE
    1 LANGUE
    1 LIVRES
    1 MALADIES MENTALES
    1 NEUVAINES DE PRIERES ET DE PENITENCES
    1 PAQUES
    1 PARENTE
    1 PLANTES
    1 POLITIQUE
    1 PREDICATION
    1 PRETRE
    1 REPAS
    1 SAINTETE
    1 TRANSPORTS
    1 VOYAGES
    2 ALZON, JEAN-LOUIS D'
    2 ALZON, MADAME HENRI D'
    2 BERNIS, MADAME DE
    2 BONNETTY, AUGUSTIN
    2 CAPRANO, PIETRO
    2 COMBALOT, THEODORE
    2 DREUX-BREZE, PIERRE-SIMON DE
    2 GABRIEL, JEAN-LOUIS
    2 GREGOIRE XVI
    2 LAMENNAIS, FELICITE DE
    2 LEBOUTEILLIER
    2 MONTALEMBERT, CHARLES DE
    2 MONTPELLIER THEODORE-JOSEPH DE
    2 THOMASSY, JOSEPH-RAYMOND
    3 ALGER
    3 EUROPE
    3 MUNICH
    3 NAPLES
    3 ROME
  • A SA SOEUR AUGUSTINE.
  • ALZON_AUGUSTINE
  • le 1er mars 1834.
  • 1 mar 1834
  • Rome,
  • Mademoiselle
    Mademoiselle Augustine d'Alzon,
    rue de Grenelle. St-Germain, n° 50.
    Paris. France.
La lettre

Ma chère amie,

J’ai reçu ta lettre du 15 février, il y a un quart d’heure. Je t’écris sur-le-champ, pour te rassurer sur tes craintes à l’occasion des lettres perdues. Il est fort possible que je n’aie pas écrit de Naples à maman; je ne me le rappelle positivement pas. J’étais à courir du matin au soir et je n’avais pas beaucoup de temps à moi.

Quant à la lettre pour l’abbé de la M[ennais], la personne a pris une autre voie. Je lui ai bien écrit de mon côté, mais plus tard, et je ne pense pas que la lettre soit perdue; du moins, ne pourrais-tu pas me l’apprendre dans ta lettre d’aujourd’hui(1).

Cela posé, pour parler plus sérieusement, il faut que je te gronde. Où as-tu pris que tu m’assommais? Est-ce pour ne pas m’assommer que tu laisses en blanc la moitié de la septième page de ta lettre et que tu vas écrire, de façon à me crever les yeux, sur un coin de la huitième? Je te préviens que je me fâcherai sérieusement, si j’entends encore de pareilles choses. Je ne t’écrirai pas du tout, ou je t’écrirai en allemand: Hoeren Sie, meine liebe Schwester? ce qui veut dire: « Entendez-vous, ma chère soeur? » Mais si je me fâche tout de bon, tu peux bien penser que je ne t’enverrai pas la traduction en regard.

Je ne suis pas non plus content que tu ne prennes pas un peu plus de bon sens sur tes affaires et que tu ne voies pas les choses avec plus de sang-froid. Si j’étais à ta place, je ferais des neuvaines pour demander des idées un peu plus humaines, quoique après tout je conçoive ton embarras. Je me trouve fort heureux de ne pas me trouver dans un cas pareil, quoique encore ma position fût différente de la tienne. Je suis un peu de ton avis: je crois que tu finiras par devenir folle. La peur que tu en as me le prouve et, de plus, la ressemblance frappante que j’ai toujours trouvée entre ton nez, ta bouche, tes oreilles et ton menton, avec le nez, la bouche, les oreilles et le menton de M. de Lestang me donne des frayeurs épouvantables. Je t’engagerai à consulter quelque physionomiste pour faire une exacte comparaison entre vos deux figures.

Je sens vraiment tout le bonheur qu’il y a à servir des épinards à M. de la Mennais et je te remercie de tes oraisons jaculatoires. Je trouve que M. de la Mennais est bien heureux d’avoir plu à(2) M. Thomassy, et d’avoir pu causer longtemps avec lui.

J’ai reçu dernièrement une lettre de Montalembert. Il est à Munich, où il paraît s’ennuyer passablement. Le Bref du Pape l’a abîmé. Il y a de quoi. S’entendre déclarer l’auteur d’un ouvrage impertinent est bien cruel. Pour moi, je mène ici la vie la plus politique du monde. Tout le monde me reçoit à merveille, mais je garde mon quant à moi.

Je vais te faire part d’une observation que j’ai faite; tu en feras ce que tu voudras. Lorsque je vois les Jésuites, je suis frappé de leur sainteté particulière, mais en même temps je suis révolté de leur manière de ne vouloir de bien que ce qui est fait par eux, de leur acharnement contre ce qui leur fait ombrage, de leur obstination à ne pas voir où gît le mal dans les circonstances actuelles, enfin de leur impossibilité à faire le bien. Lorsque je vois les autres, je suis effrayé de leur hardiesse. Ils me paraissent ressembler à ces postillons qui, à une descente rapide, craignant que le poids de la voiture ne fasse abattre leurs chevaux, les lancent au grand galop afin de les diriger, au risque de se casser le cou. Je te fais ces observations entre nous, parce qu’en dernière analyse je suis convaincu que, s’ils sont prudents, la victoire est pour eux, à moins que Dieu (ce que je crois tous les jours davantage) ne rejette les uns à droite, les autres à gauche, et ne veuille faire la besogne à lui seul, afin de bien montrer qu’il est le maître.

Que quelque chose d’extraordinaire se prépare, c’est ce qu’il est aisé de voir, sans toutes les prophéties qu’on répand par les rues. Rome est sur un volcan et l’Europe n’est pas sur un lit de roses. Le malheur est que l’on ne voit pas cela et que la religion a besoin de s’élever au-dessus de tous les intérêts particuliers. J’ai des détails qui me percent le coeur, parce qu’ils sont authentiques; aussi, je passe quelquefois de mauvais moments.

M. Combalot m’a fait payer cinquante sous pour me charger d’une affaire, dans laquelle je ne veux pas me compromettre. Il veut que j’aille voir le cardinal chargé de la Propagande, afin d’obtenir un certificat pour un prêtre renvoyé d’Alger. Je t’avoue que cela m’ennuie beaucoup et que je sonderai le terrain, avant de me mêler là-dedans. Il est malheureux que l’ensemble des prêtres français soit mal vu à Rome; il est plus malheureux que l’on ait raison de se défier d’eux, et je ne veux pas me compromettre dans une mauvaise affaire.

Il y a des exceptions, et lorsque les prêtres le méritent, ils sont parfaitement traités. M. Gabriel, par exemple, a été reçu à merveille par plusieurs cardinaux dont il a eu besoin. T’ai-je écrit qu’il prêchait ici? mais il n’a que six sermons à donner; ce n’est pas long. Cependant, sa poitrine est encore fatiguée. Il part quinze jours après Pâques, mais il veut revenir l’hiver prochain. Quant à moi, j’affronte l’été. Mon voyage de Naples m’a fait le plus grand bien, et j’en profite pour travailler. Quand viendront les chaleurs, je prendrai mes précautions de façon à n’avoir pas à trop souffrir. Je me ménagerai, tu peux en être sûre.

J’ai vu deux fois les Bernis. Mme de Bernis m’a chargé de faire mille amitiés à maman: elle a été très bonne pour moi. Je n’ai pas trouvé encore l’adresse de M. Le Bouteillier je m’en passe. Je vis assez retiré. L’abbé de Brézé et l’abbé de Montpellier me comblent de politesses. Je les leur rends. L’abbé de Brézé veut me conduire aujourd’hui chez sa mère. Je ne pouvais pas lui refuser; aussi j’irai ce soir à 5 heures. Le Carême est fort doux à Rome; aussi, ne suis-je pas fatigué. Voilà mille petites nouvelles qui remplissent ma lettre sans que je sache trop comment.

Adieu chère amie. Persuade-toi bien que je suis plus assommé de tes lettres courtes que de tes lettres longues. Fais mes compliments à Bonnetty. Depuis huit jours, il fait le plus beau temps du monde. On enterre dans ce moment le cardinal Caprano: depuis quatre ans, il n’avait plus sa tête. J’ai cependant entendu dire que c’était le meilleur du Conseil du Pape(3). Voilà comment sont les opinions. Sa soeur vend du jambon, à trente pas de son palais, et lui, dans le temps, avait vendu du fromage frais. Son mérite le fit parvenir au cardinalat. Dieu ait son âme!

Adieu. Je t’embrasse totis viribus

Emmanuel.

Comme il est midi et que j’ai une faim terrible, je te quitte pour aller dîner, sans relire ma lettre.

E.D'ALZON
Notes et post-scriptum
1. De fait, La Mennais répondit le 5 mars à cette lettre d'Emmanuel, datée du 15 février.
2. Le manuscrit porte: avec.
3. Le cardinal Caprano, né à Rome en 1759 et préfet de la Congrégation de l'Index, mourut à Rome le 25 février 1834 et fut enterré dans l'église de Saint-Ignace.