Vailhé, LETTRES, vol.1, p.515

10 mar 1834 Rome, ALZON_VICOMTE
Informations générales
  • V1-515
  • 0+163|CLXIII
  • Vailhé, LETTRES, vol.1, p.515
Informations détaillées
  • 1 ALLEMANDS
    1 AMITIE
    1 ANGLICANISME
    1 BELGES
    1 CARDINAL
    1 CLERGE FRANCAIS
    1 CLERGE PAROISSIAL
    1 COLERE
    1 CONVERSATIONS
    1 COUVENT
    1 ECRITURE SAINTE
    1 EMPLOI DU TEMPS
    1 ENCYCLIQUE
    1 ENVIE
    1 INJURES
    1 ITALIENS
    1 LANGUE
    1 LIBERAUX
    1 LIVRES
    1 MALADIES
    1 MALADIES MENTALES
    1 POLITIQUE
    1 PREDICATION
    1 REPOS
    1 RETRAITE SPIRITUELLE
    1 ROYALISTES
    1 SANTE
    1 SOUCIS D'ARGENT
    1 THOMAS D'AQUIN
    1 TRAVAIL DE L'ETUDE
    1 VIE RELIGIEUSE
    2 BAINES, PETER-AUGUSTINE
    2 BERNIS, FAMILLE DE
    2 COUSTOU, PIERRE-FRANCOIS
    2 DREUX-BREZE, MADAME DE
    2 DREUX-BREZE, PIERRE-SIMON DE
    2 GABRIEL, JEAN-LOUIS
    2 HILARION, PERE
    2 LAMENNAIS, FELICITE DE
    2 MARTIN, JEAN-ETIENNE
    2 MICARA, LODOVICO
    2 NAPOLEON Ier
    2 OLIVIERI, MAURIZIO
    2 REBOUL, ELEUTHERE
    2 RODIER, CLEMENT
    2 RODIER, MADAME JEAN-ANTOINE
    2 RUBICHON, MAURICE
    2 TORLONIA, BANQUIERS
    2 VENTURA, GIOACCHINO
    2 WISEMAN, NICOLAS
    3 AGDE
    3 ANGLETERRE
    3 BATH
    3 BELGIQUE
    3 FRANCE
    3 NAPLES
    3 PEZENAS
    3 ROME
    3 ROME, COUVENT SAINT-EUSEBE
  • A SON PERE.
  • ALZON_VICOMTE
  • le 10 mars 1834.
  • 10 mar 1834
  • Rome,
  • Monsieur
    Monsieur le vicomte Henry d'Alzon,
    au château de Lavagnac,
    près Montagnac, département de l'Hérault.
    Par Antibes. France.
La lettre

Mon cher petit père.

J’ai reçu aujourd’hui votre lettre du 26 février. Je suis bien aise de voir que vos craintes sont calmées et que vous pensez que je puis rester à Rome sans inconvénient. J’ai assisté; aujourd’hui même à une assez bonne dispute entre l’abbé Gabriel et le P. Ventura. M. Gabriel prétend que Rome n’est pas faite pour les personnes qui veulent travailler; le P. Ventura pense tout le contraire. Il croit qu’on peut y faire plus de travail en moins de temps, parce que les organes ont, plus de liberté, mais qu’il ne faut pas employer trop de temps de suite à l’étude. Il veut que l’on travaille toute la matinée, mais que le soir on prenne une longue récréation. C’est sa manière de voir, et comme il s’en trouve bien, je la suivrai.

Le P. Ventura et l’abbé Gabriel sont au mieux. Je pense que M. Gabriel reviendra ici l’année prochaine. Au moins, en a-t-il une grande envie. Rome lui a fait un bien infini, et, s’il n’y reste pas, c’est qu’il est obligé de ramener le jeune Reboul, dont la santé ne peut supporter le climat. Son projet, en retournant en France, est d’aller passer quelques jours à Pézenas. Il ira vous voir ensuite, et puis ira s’établir à Agde, chez l’abbé Martin. Il voudrait pouvoir passer quelque temps dans la retraite, avant de se livrer à la prédication. Ses pensées ont beaucoup de sérieux.

Quand je revins de Naples, j’allai voir le cardinal Micara. Vous-ai-je écrit qu’il me fit des reproches de ce que je n’allais pas le voir assez souvent? Il me fit promettre d’aller plus souvent chez lui et me promit de venir me rendre mes visites. Vous pensez que je le priai de n’en rien faire. Un rhume qui ne lui a pas permis de sortir lui a fait oublier probablement sa promesse. Cependant il m’a assuré que, pourvu que je me conduisisse bien, il m’aimerait comme son fils. J’ai su que les ecclésiastiques français qui viennent à Rome étaient surveillés de près, mais que l’on était fort content de nous. L’abbé Gabriel en a reçu une preuve qu’il vint lui-même apprendre à ses amis, et moi je l’ai su par le curé de notre paroisse qui est un religieux de Sant-Andrea. Je vous donne tous ces petits détails, qui, je pense, vous feront plaisir.

Je suis allé voir le P. Olivieri, qui me reçoit aussi avec beaucoup de bonté. Il pense que je dois étudier l’hébreu. Je profiterai de son conseil, mais ce sera quand je saurai bien l’allemand, parce que les Allemands ont fait les travaux les plus remarquables sur la Bible. Le P. Olivieri est un homme énorme et qui ressemble beaucoup à M. Coustou, moins sa mine renfrognée. Les Italiens dorment toujours après leur dîner, et le P. Olivieri, comme les autres. J’arrivai chez lui comme il finissait sa sieste. On lui porta son café; il m’offrit d’en prendre avec lui et il me fit voir sa bibliothèque. Je ne me gêne pas avec lui, parce que, quand il est occupé, il me le dit sans façon.

Le P. Ventura est une tête fort drôle. Il a causé ce soir deux heures avec noue sur les moyens d’avoir un chiffre, pour tromper les gens qui ouvrent ses lettres, ce qui ne lui est pas agréable. Il a bien quelques idées un peu exagérées, mais ses intentions me paraissent très pures. L’ouvrage qu’il fait imprimer ne subira, je pense, aucune modification. Je vous expliquerai un jour quelle manigance politique a entraîné l’encyclique, mais vous ne voulez pas assez voir que Rome ne peut condamner l’abbé de la Mennais, parce que ses principes sont dans saint Thomas. Ce sont seulement quelques exagérations, qui peuvent être désapprouvées mais qui n’entraîneront jamais une censure. Aujourd’hui, la plupart des cardinaux louent tant qu’ils peuvent la position des Belges; cependant, en Belgique rien ne s’est fait que d’après les principes de l’abbé de la M[ennais]. Mais, comme me le disait un homme qui voit bien les choses, les cardinaux ne sont pas tous des génies et ne savent pas toujours ce qu’ils veulent, mais ils jugent les choses par les résultats. Ils voient que les Belges sont heureux et ils approuvent leurs principes.

Quoique je sorte peu, je tâche de ne faire que de bonnes visites. Ainsi, avant-hier, je suis allé voir M. Rubichon, qui vient de publier un livre. C’est bien le plus grand original que la terre ait porté. L’autre jour, il eut une dispute horrible avec le P. Ventura. Je n’y assistai pas, mais l’abbé Gabriel qui y était me conta des choses fort curieuses. Dans son ouvrage il dit des injures à tout le monde: il appelle les libéraux des gueux, Napoléon une bête et les royalistes des imbéciles. Son principe des subsistances qu’il met à toute sauce nous divertit beaucoup. Il en est tellement plein qu’on ne peut le voir deux minutes sans qu’il en parle. On l’entend crier dans la rue des sottises à ses adversaires: « Ce sont des imbéciles, des bêtes, etc. » Les religieux de notre couvent, qui le voient quelquefois passer, l’avaient pris pour un fou. Quand nous entrâmes chez lui, il lisait. « Messieurs, nous dit-il, je lisais mon ouvrage pour la première fois. » Il l’a composé en courant et n’a pas pris seulement la peine de le lire, avant de l’envoyer à l’imprimeur.

Je suis allé voir aujourd’hui un évêque anglais. C’est Mgr Banes, évêque de Bath(1). Cet homme a un zèle prodigieux. Il a fait des choses admirables en faveur de la religion. Il nous disait que le mouvement vers la religion était très remarquable en Angleterre. Il fait faire des abjurations tous les jours. La liberté tuera l’Eglise anglicane.

J’irai, un de ces jours, retirer mon argent chez Torlonia. Je ne suis pas pressé, parce que M. Gabriel a plus d’argent qu’il ne lui en faut, à cause de l’avancement de son départ. Je pense que d’ici à plusieurs mois je n’aurai rien à vous demander.

Dans ma lettre à Clément(2) j’ai touché quoique en passant la corde sensible, et je ne suis pas étonné qu’il soit un peu embarrassé pour me répondre. Je pense qu’il ne vous la lira pas tout entière, si vous la lui demandez. Si vous écrivez à ma tante Rodier, engagez-la à me donner des nouvelles du P. Hilarion. Je lui enverrai un ouvrage d’un prélat anglais, Mgr Wiseman, sur la stérilité des missions protestantes. Je crois cet ouvrage propre à opérer un grand bien. J’ai vu plusieurs fois les Bernis: ils sont tous très bien. L’abbé de Brézé m’a fait connaître sa mère, qui m’a invité à dîner. Elle est venue pour l’ordination de l’abbé de Brézé.

Adieu, cher petit père. Je vous embrasse de tout mon coeur.

Emmanuel.
Notes et post-scriptum
1. De 1685 à 1840, il y eut quatre vicariats apostoliques en Angleterre: ceux de Londres, du Centre, de l'Ouest, et de l'Est. Mgr Banes ancien religieux Bénédictin venu à Rome pour des difficultés avec son Ordre, était vicaire apostolique de l'ouest, avec résidence à Bath, dans le diocèse actuel de Clifton.
2. Clément Rodier, son cousin.