Vailhé, LETTRES, vol.1, p.519

13 mar 1834 Rome, LAMENNAIS
Informations générales
  • V1-519
  • 0+164|CLXIV
  • Vailhé, LETTRES, vol.1, p.519
Informations détaillées
  • 1 AMOUR DES AISES
    1 ANGOISSE
    1 ASCESE
    1 ATHEISME
    1 BLE
    1 CARDINAL
    1 CHRISTIANISME
    1 CLERGE FRANCAIS
    1 DEGOUTS
    1 DESESPOIR
    1 ENCYCLIQUE
    1 ENNEMIS DE LA RELIGION
    1 EPISCOPAT
    1 FOI
    1 GALLICANISME
    1 GOUVERNEMENT
    1 GUERISON
    1 JEUNESSE
    1 MAL MORAL
    1 MALADES
    1 MALADIES
    1 MAUX PRESENTS
    1 ORGUEIL
    1 PERSECUTIONS
    1 PEUPLE
    1 PROVIDENCE
    1 REMEDES
    1 SALUT DU GENRE HUMAIN
    1 SCHISME
    1 SOCIETE
    1 SUJETS DU ROYAUME
    1 SYMPTOMES
    1 TRIOMPHE
    1 TRISTESSE
    1 VERITE
    2 BOUTARD, CHARLES
    2 CHENAVARD, PAUL
    2 GREGOIRE XVI
    2 MAC CARTHY, CHARLES
    2 MICARA, LODOVICO
    2 OLIVIERI, MAURIZIO
    2 VENTURA, GIOACCHINO
    3 BELGIQUE
    3 FRANCE
  • A MONSIEUR L'ABBE FELICITE DE LA MENNAIS (1).
  • LAMENNAIS
  • le 13 mars 1834.
  • 13 mar 1834
  • Rome,
La lettre

Monsieur l’abbé,

Je crois vous faire plaisir en vous écrivant ce que le cardinal Micara, le P. Olivieri et le P. Ventura m’ont chargé de vous faire savoir. Je vois de temps en temps ces trois hommes qui me reçoivent avec la plus grande bonté.

Le P. Ventura, que j’allai voir au commencement de la semaine, pense que, dans ce moment, tout se prépare pour un mouvement régénérateur. Je lui avais témoigné quelques craintes, qui me font une peine extrême depuis quelque temps. Je lui avais fait observer que la jeunesse française était rongée d’une maladie, à laquelle les remèdes connus jusques à aujourd’hui ne peuvent rien; que le clergé se séparait de plus en plus de la société et perdait, par conséquent, toute son influence; que le peuple se réfugiait dans la vie des sens et que, le principe des associations une fois développé, il apprendrait à se suffire à lui-même; j’avais ajouté quelques autres observations du même genre, et c’est sur elles que je me fondais pour conclure que tout remède humain était impuissant pour guérir les maux de l’Eglise.

Le P. Ventura ne partagea pas du tout mon avis et voulut bien me donner des raisons qu’il me chargea de vous faire connaître. D’abord, me dit-il, il ne faut pas croire le mal aussi grand que vous vous le figurez. La foi a de profondes racines en France, mais elle subit dans ce moment une crise dont elle sortira plus forte. C’est le grain qui se corrompt pour produire l’épi. Si la foi ne subissait en ce moment une persécution, il serait à craindre que la France fût incapable d’accomplir la mission à laquelle elle est appelée. La religion a besoin d’un développement nouveau. Le germe de ce développement se trouve dans les paroles des rédacteurs de l’Avenir. Ces paroles ont été jetées sur un sol qui ne les laissera pas se dessécher, mais il faut qu’elles soient recouvertes de terre, qu’elles soient pressurées, afin qu’elles poussent pendant ce temps-là des racines; il faut que les hommes à qui est confié le soin de les répandre soient l’objet de persécutions, car les persécutions seront toujours favorables à la vérité. Que, par exemple, le gouvernement français prépare un schisme, supposé qu’il trouve des prêtres capables de le servir dans ses projets, qu’en résultera-t-il? Que la partie gangrenée du clergé fera corps à part, mais la partie encore saine n’en sera que plus forte. Tout ce qu’on fera contre elle ne tendra qu’à la fortifier, tandis que les prêtres assez lâches pour immoler à l’idole du gouvernement partageront inévitablement l’impopularité qui pèse sur tous les pouvoirs de nos jours; car, ajoutait toujours le P. Ventura, le clergé français compte trop de prêtres sincèrement attachés à la vérité pour qu’un schisme complet soit possible. D’autre part, les destinées de la France sont telles que si la roi se retirait de son sein, il faudrait presque désespérer de la religion. Ce qu’il faut donc conclure de ce que nous voyons, c’est que Dieu fait corrompre le grain de blé, mais que nous le verrons bientôt surgir de terre, et alors force sera aux plus incrédules de reconnaître l’oeuvre du ciel.

Le P. Olivieri me chargeait de vous dire, de son côté, que tout à ses yeux se préparait pour le triomphe des doctrines développées par vous. En effet, il est étonnant de voir les cardinaux qui vous ont été le plus contraires approuver de tout leur coeur ce qui se passe en Belgique. Le P. Olivieri me donnait bien l’explication de cette contradiction; mais je pense que vous la savez déjà, je n’en parle donc pas. Il était très persuadé que votre silence est en ce moment avantageux à la religion. L’effet produit par l’Avenir a été celui d’un tremblement de terre qui renverse quelques masures bâties avec les débris d’un ancien temple. Pour que le temple se relève, il faut du calme, il faut que les ouvriers en creusent les fondements dans le silence: tel est le travail qui se fait aujourd’hui. *Le malheur de l’abbé de la Mennais, disait-il, a été de voir trop loin. Ceux qui ont la vue courte l’ont trouvé bien impertinent de découvrir ce qu’ils n’apercevaient pas. Il faut donc laisser faire le temps, et le temps fera justice de tous ces myopes. »

Le cardinal Micara, qui a pour vous un vif attachement, croit que vous ferez bien, sans doute, de ne pas revenir sur les questions déjà traitées par vous, mais que la religion étant attaquée sur tant de points, vous pourriez tourner votre plan de défense d’un autre côté. Je lui demandai quel était le champ de bataille que vous pourriez, selon lui, vous choisir. « Je ne veux pas, dit-il, décider cette question. L’abbé de la Mennais peut la décider beaucoup mieux que personne, parce qu’étant en face de l’ennemi, il est beaucoup plus à même que moi de voir comment il faut agir. Mais, qu’avant tout il agisse pour deux raisons: la première, c’est qu’il ne faut pas qu’on pense que le Pape a décidé la moindre chose par l’encyclique -il a exposé les principes de la foi, voilà tout,- l’abbé de la Mennais en gardant le silence donnerait à entendre qu’il a été censuré, lorsque réellement il ne l’était pas; la seconde raison c’est que, dans un moment où la religion est attaquée de toute part, tout chrétien doit être soldat, à plus forte raison ceux qui ont reçu de la Providence des talents extraordinaires. » Dans une autre circonstance, le cardinal Micara me disait que la religion aujourd’hui était exposée à toutes les persécutions qu’elle a eu à subir successivement dans les temps passés, mais qu’il fallait ajouter encore la persécution des faux frères, et que celle-là partait des évêques qui ont fait un pacte avec les pouvoirs séculiers.

Pour moi, Monsieur l’abbé, s’il m’était permis d’ajouter mes humbles observations à celles de ces trois hommes si remarquables, je vous parlerais de l’angoisse que j’éprouve à la vue de ce qui se passe sous mes yeux. Cette décomposition des institutions passées, dont on veut lier les destinées avec ce qui est éternel, jette mon âme dans une grande tristesse(2). L’avenir se présente à moi bien effrayant, surtout quand je regarde, à côté de tant de maux qui se font tous les jours, la perte successive de la foi et la maladie si extraordinaire qui ronge la plus belle partie de la jeunesse. Cette impossibilité de croire, ce dégoût de toutes choses, cet ennui de vivre, ce désespoir de trouver le bonheur, cet orgueil de la raison à côté de l’abrutissement de la pensée, forment, ce me semble, un mal compliqué, dont la guérison me paraît un problème bien important au triomphe de la vérité.

Les différents symptômes de ce mal jusques à aujourd’hui inconnu, je les observe chez un jeune homme que vous avez connu, je crois; c’est un jeune homme nommé Chenavard. Je le vois quelquefois et je ne puis m’empêcher de le plaindre vivement…(3).

Notes et post-scriptum
1. D'après le brouillon conservé par l'auteur, mais incomplet. La lettre adressée à La Mennais portait, du reste, la date du 15 mars, ainsi que nous l'apprend la réponse de ce dernier, du 29 mars, et, en deux jours, l'abbé d'Alzon eut le temps de modifier sa première pensée. Cependant, il est indubitable que le fond ne subit aucun changement, car La Mennais répondait aux réflexions émises sur son compte par le cardinal Micara et le P. Ventura, telles que nous les lisons dans notre brouillon.
Nous devons noter pourtant qu'un passage de cette lettre manquant dans le brouillon est cité par M. l'abbé Boutard, *Lammenais*, t. II, p. 399, et qu'il y est fait allusion dans la réponse de La Mennais. Le voici: "M[ac]-C[arthy] m'a communiqué le projet que certaines personnes avaient eu de vous faire venir à Rome. Je puis vous assurer que c'était un piège, et j'ai de fortes raisons de croire que ceux qui voulaient le tendre habitent le *Gésu*." (Voir à ce sujet notre Avant-propos.)1. D'après le brouillon conservé par l'auteur, mais incomplet. La lettre adressée à La Mennais portait, du reste, la date du 15 mars, ainsi que nous l'apprend la réponse de ce dernier, du 29 mars, et, en deux jours, l'abbé d'Alzon eut le temps de modifier sa première pensée. Cependant, il est indubitable que le fond ne subit aucun changement, car La Mennais répondait aux réflexions émises sur son compte par le cardinal Micara et le P. Ventura, telles que nous les lisons dans notre brouillon.
Nous devons noter pourtant qu'un passage de cette lettre manquant dans le brouillon est cité par M. l'abbé Boutard, *Lammenais*, t. II, p. 399, et qu'il y est fait allusion dans la réponse de La Mennais. Le voici: "M[ac]-C[arthy] m'a communiqué le projet que certaines personnes avaient eu de vous faire venir à Rome. Je puis vous assurer que c'était un piège, et j'ai de fortes raisons de croire que ceux qui voulaient le tendre habitent le *Gésu*." (Voir à ce sujet notre Avant-propos.)
2. Il s'agit de la monarchie absolue, dont l'abbé d'Alzon séparait à bon droit le sort de celui de la religion.
3. La fin manque.