Vailhé, LETTRES, vol.1, p.530

29 mar 1834 Rome, ALZON_VICOMTE
Informations générales
  • V1-530
  • 0+168|CLXVIII
  • Vailhé, LETTRES, vol.1, p.530
Informations détaillées
  • 1 AMITIE
    1 APOSTOLAT
    1 ASCESE
    1 BAVARDAGES
    1 CHAPELLE
    1 COUVENT
    1 DEGOUTS
    1 DIEU
    1 DOCTEURS DE L'EGLISE
    1 EDIFICE DU CULTE
    1 EGLISE
    1 ENVIE
    1 JEUDI SAINT
    1 LIBERTE
    1 LIVRES
    1 LOISIRS
    1 MAISONS DE CAMPAGNE
    1 MALADIES
    1 MUSIQUE RELIGIEUSE
    1 OFFICE DES TENEBRES
    1 OFFICE DIVIN
    1 PAIX
    1 PELERINAGES
    1 PRESSE
    1 RESIDENCES
    1 RETRAITE SPIRITUELLE
    1 SAINT-SACREMENT
    1 SALUT DU GENRE HUMAIN
    1 SAMEDI SAINT
    1 SCANDALE
    1 SEMAINE SAINTE
    1 SOINS AUX MALADES
    1 SOUCIS D'ARGENT
    1 SOUMISSION DE L'ESPRIT
    1 SPECTACLES
    1 TRAVAIL DE L'ETUDE
    1 VENERATION DE RELIQUES
    1 VOYAGES
    2 BERNIS, FAMILLE DE
    2 COMBALOT, THEODORE
    2 GABRIEL, JEAN-LOUIS
    2 GREGOIRE XVI
    2 JEREMIE
    2 LAMARCHE, VINCENT
    2 LAMENNAIS, FELICITE DE
    2 MEYNIER
    2 MONTALEMBERT, CHARLES DE
    2 REBOUL, ELEUTHERE
    2 TORLONIA, BANQUIERS
    3 FRANCE
    3 PARIS
    3 PEZENAS
    3 ROME
    3 ROME, BASILIQUE SAINT-PIERRE
    3 ROME, CHAPELLE SIXTINE
    3 ROME, COUVENT SANT'ANDREA DELLE FRATTE
  • A SON PERE.
  • ALZON_VICOMTE
  • Samedi-Saint [29 mars] 1834.
  • 29 mar 1834
  • Rome,
  • Monsieur
    Monsieur le vicomte Henry d'Alzon,
    au château de Lavagnac, par Montagnac.
    Hérault.
    Par Antibes
    France.
La lettre

Mon cher petit père,

J’ai reçu ce matin votre lettre du 17 mars. Je vous remercie beaucoup de cette longue lettre. J’aime beaucoup d’en recevoir de cette taille. Du reste, ne vous inquiétez pas sur mon compte. Je vais parfaitement, à l’exception d’un tout petit rhume de cerveau. Et encore est-ce un tribut payé au froid, qui règne ici depuis longtemps; car, vous ne vous faites pas une idée du temps que nous avons: une sécheresse épouvantable, un beau soleil et puis des nuits glaciales. Il est impossible de ne pas prendre mal. Cependant, comme je vous l’ai dit, j’en suis quitte à bon compte. Je connais des personnes qui en ont eu la fièvre.

J’ai reçu l’argent que vous m’avez envoyé par Torlonia: il prend 40 francs par 1000. La dernière fois, il ne prit que 31 fr. 16 sous, parce que sans doute il savait que les 20 francs avaient été remis. M. Gabriel vous donnera une voie moins chère. Vous savez sans doute qu’il va partir pour retourner en France. La santé du jeune Reboul ne lui permet pas de rester plus longtemps. Il sera à Pézenas le 2 ou le 3 de mai. C’est un grand regret pour lui de quitter Rome, mais il se propose d’y retourner. J’avais eu un moment envie d’aller au couvent de la Minerve, où j’aurais été très bien; le P. Lamarche m’y avait promis un appartement, mais les religieux du couvent de Sant-Andrea m’ont témoigné un tel désir de me garder que j’ai vu que je ferais bien de rester. Je suis connu et, je puis dire, aimé par ces braves gens qui, supposé que je fusse malade, auraient pour moi tous les soins possibles.

Permettez-moi de vous faire observer que la manière dont vous me parlez de Mont[alembert] n’est pas tout à fait selon ma manière de voir. Ce jeune homme s’est soumis une première fois. On lui fait un crime de son ouvrage. Je crois qu’il y a dit certaines choses trop fortes, mais je crois aussi que l’on a été à son égard un peu loin. Après tout, qu’a-t-on défini contre lui? Que lui a-t-on demandé? Rien, que je sache. Faut-il qu’il aille dire: « Je vous demande pardon de ce que vous m’avez appelé un impertinent? » On ne peut jamais considérer comme dogmatique un bref, qui n’est rendu public que par la volonté de celui qui le reçoit. Du reste, je laisse à l’abbé G[abriel] le plaisir de vous conter tout ce que lui a dit le Pape. Vous verrez qu’il faut savoir prendre les choses comme les entendent ceux qui les disent et ne pas aller au delà. Par exemple, je vois certains journaux parler de la condamnation de l’abbé de la M[ennais]. Rien de plus absurde que cette condamnation, qui n’a pas eu lieu et qui n’aura pas lieu(1); mais on se persuade que, pour montrer sa soumission au Saint-Père, il faut lui faire dire plu qu’il n’a dit.

J’ai reçu avant-hier une lettre de M. de la M[ennais]. Il me disait:

Je ne me plains pas de la position qu’on m’a faite et je n’en suis nullement affecté; au contraire, j’y trouve ce que à mes yeux surpasse tout autre bien: paix, loisir et liberté. Ce n’est pas que le travail et le combat m’effrayent. Je redescendrais dans l’arène sans hésiter un seul moment, si j’y voyais des avantages et l’espérance de faire quelque bien. Mais ma plus intime conviction est qu’on n’en peut désormais opérer aucun par cette voie, qu’en tout ce qui concerne la religion il faut laisser à Dieu le soin d’accomplir son oeuvre, que cette oeuvre immense nécessite beaucoup de choses que nous ignorons, des changements difficiles à calculer, de profondes modifications dans ce qui existe et ne saurait continuer d’exister sous les mêmes formes. Le monde se prépare pour ces grands changements, d’où sortiront l’état futur et le salut de la race humaine(2).

Je ne sais, mais je crois qu’il a tort et raison: tort, parce que je crois que l’axiome « Aide-toi, le ciel t’aidera » est vrai dans tous les temps; raison, parce que lui doit se taire et laisser faire. C’est l’opinion de bien des gens, ici. Le malheur du génie est de voir à l’avance et d’avoir affaire avec des gens qui n’y voient pas plus loin que leur nez. Les idées vont se poser, se calmer et germer, car les principes qu’il a jetés ne peuvent périr. Ce sera un bonheur pour les défenseurs de ces principes que M. de la M[ennais] se taise. Les exagérations de son journal Lui ont fait trop de tort. Il doit donc laisser faire, mais le temps, je crois, sera pour lui un aide puissant. On ne pourra jamais condamner des principes, qui ont été pendant des siècles enseignés dans l’Eglise catholique par ses premiers docteurs. J’ai vu avec plaisir que l’abbé de la M[ennais] va se retirer à la campagne pour préparer son grand ouvrage ou, pour mieux dire, afin de le terminer. Le calme de la retraite lui fera, je n’en doute pas, grand bien.

Vous êtes surpris, je suis sûr, que doux pages d’une lettre datée de Rome, le Samedi-Saint, ne renferment pas un mot de la Semaine Sainte. Voici pourquoi. C’est que ce que j’en ai vu au commencement m’a dégoûté de voir la fin. J’allai, le Mercredi Saint, aux Ténèbres de la Chapelle Sixtine. Sans être musicien, je puis dire que les Jérémies et le Miserere furent admirables, mais c’est un vrai scandale. J’étais à côté de gens qui parlaient beaucoup, et, quoique le Saint Sacrement ne fût pas dans la chapelle, je fus vexé au suprême degré de me trouver au milieu de gens qui considéraient cet office comme un spectacle. Je n’y suis plus retourné. Le Jeudi-Saint, j’ai parcouru quelques églises qui sont superbes. Demain, j’irai à Saint-Pierre, parce qu’on peut se bien placer et n’avoir pas trop de bruit. La Semaine Sainte à Rome est la plus belle chose que l’on puisse voir, quand on est résolu de la passer en amateur, et dans ce cas je ne sais pas trop ce qu’on peut y voir, car sans la foi les cérémonies ne sont qu’une comédie.

Je vois très souvent les Bernis et j’ai lieu de penser qu’ils seront contents de moi, parce que je leur ai rendu quelques petits services à propos de reliques, qu’ils n’auraient pu obtenir parce qu’ils s’y étaient pris trop tard. Je vous serai fort obligé de faire battre les livres de ma bibliothèque. Voici le printemps et il faut empêcher les vers de s’y mettre. J’ai reçu ces jours derniers la visite d’un pèlerin, qui m’a été recommandé par l’abbé Combalot. Ce jeune homme a fait le voyage de Paris à Rome à pied. Il a fait des vers qui ne sont pas mal; mais j’en suis assez embarrassé. Il voudrait une place de précepteur et je ne sais s’il pourra la trouver.

Adieu, mon cher petit père. Ecrivez-moi de longues lettres et écrivez-moi souvent. Je vous embrasse de tout mon coeur.

Emmanuel.
Notes et post-scriptum
2. Extrait de la lettre du 5 mars. Voir à l'Appendice.1. Il n'est pas douteux que, pour Rome, l'affaire de La Mennais était close et qu'il n'aurait pas été condamné par une nouvelle encyclique, s'il n'avait pas publié *Les paroles d'un croyant*. L'appréciation de l'abbé d'Alzon sur la conduite de Rome à l'égard de Montalembert est plus sujette à caution, car le jeune comte n'avait guère mesuré ses expressions dans ses lettres sur les mesures prises par le Pape contre La Mennais et ses disciples, et Grégoire XVI avait entre les mains la copie de ces documents.
2. Extrait de la lettre du 5 mars. Voir à l'Appendice.