Vailhé, LETTRES, vol.1, p.541

12 apr 1834 Rome, ALZON_VICOMTE
Informations générales
  • V1-541
  • 0+170|CLXX
  • Vailhé, LETTRES, vol.1, p.541
Informations détaillées
  • 1 AGRICULTEURS
    1 APATHIE SPIRITUELLE
    1 AUTORITE DE L'EGLISE
    1 BENEDICTION
    1 CARDINAL
    1 CHOIX
    1 CONVERSION SPIRITUELLE
    1 DIEU
    1 DIMANCHE DES RAMEAUX
    1 DOMESTIQUES
    1 ESPERANCE
    1 ETRANGER
    1 GUERISON
    1 JEUDI SAINT
    1 LAVEMENT DES PIEDS
    1 LOISIRS
    1 MALADIES
    1 MATIERES DE L'ENSEIGNEMENT ECCLESIASTIQUE
    1 MORT
    1 MUSIQUE RELIGIEUSE
    1 PAPE
    1 PAQUES
    1 PAYS
    1 PRESSE
    1 REVOLTE
    1 SANTE
    1 SCANDALE
    1 SECRETAIRERIE D'ETAT
    1 SEMAINE SAINTE
    1 SPECTACLES
    1 SUCCESSIONS
    1 TRAVAIL DE L'ETUDE
    1 VERITE
    1 VOYAGES
    2 ALZON, AUGUSTINE D'
    2 ALZON, BRUNO D'
    2 ALZON, MADAME HENRI D'
    2 BERNETTI, TOMMASO
    2 FRANCOIS, LAVAGNAC
    2 GABRIEL, JEAN-LOUIS
    2 GREGOIRE XVI
    2 LAMBRUSCHINI, LUIGI
    2 LEBOUTEILLIER
    2 MARTIN, JEAN-ETIENNE
    2 POLIGNAC, JULES-AUGUSTE DE
    2 RODIER, CLEMENT
    2 RODIER, MADAME JEAN-ANTOINE
    3 BORDEAUX
    3 CUBA
    3 FRANCE
    3 GASCOGNE
    3 LAVAGNAC
    3 MONTPELLIER
    3 NAPLES
    3 PARIS
    3 PEZENAS
    3 PROVENCE
    3 ROME
    3 ROME, BASILIQUE SAINT-PIERRE
    3 ROME, CHAPELLE SIXTINE
  • A SON PERE.
  • ALZON_VICOMTE
  • le 12 avril 1834.
  • 12 apr 1834
  • Rome,
  • Monsieur
    Monsieur le Vicomte Henry d'Alzon,
    au château de Lavagnac,
    par Montagnac. Hérault.
    Par Antibes. France.
La lettre

Je commençais, mon, cher petit père, à être inquiet à cause de votre silence. Il y a aujourd’hui près de trois semaines que je n’avais reçu de vos nouvelles. Il y avait dix-sept jours que je n’avait rien reçu de Paris. Aujourd’hui, l’on m’a porté une lettre de vous et une de ma mère, qui me donne une partie des détails que vous me donnez de votre côté. Ainsi, vous voilà avec l’embarras du choix, car je ne pense pas que vous puissiez raisonnablement espérer quelque chose de mieux. Je vous prie de m’apprendre quels sont vos projets, car vous pensez bien qu’éloigné comme je le suis de vous tous dans une pareille circonstance, il me tarde de savoir ce qui se décidera. Augustine a inséré quelques lignes dans la lettre de sa mère. Elle paraît fort troublée; je le conçois sans peine.

Il est probable d’après cela que M. Gabriel ne vous trouvera pas à Lavagnac, quand il arrivera. Il pense arriver à Pézenas le 2 mai et aller vous voir le 5. Il veut passer deux ou trois jours avec vous, ensuite aller s’établir avec l’abbé Martin. Peut-être ne sera-t-il pas fâché que vous lui proposiez de passer quelque temps avec vous. Je crois que sa société ne vous serait pas désagréable. Vous ne seriez pas obligé de le garder, parce qu’il veut étudier, et dans vos conversations il pourrait vous donner les détails les plus intéressants. Supposé que vos projets soient ajournés et que ma mère revienne à Lavagnac, Augustine, j’en suis sûr, sera enchantée d’entendre toutes les descriptions de son voyage.

Je laisse à l’abbé Gabriel le soin de vous raconter en détail les cérémonies de la Semaine Sainte: il les a beaucoup mieux vues que moi, parce que la foule immense qui se pressait dans des espaces très étroits ôtait tout le charme du spectacle. Par exemple, le Dimanche des Rameaux, je faillis être étouffé. Pendant plus d’une demi-heure, je fus à ne pouvoir exactement bouger ni pieds ni pattes; pendant plusieurs minutes, je ne touchai pas la terre. Le Mercredi-Saint, j’allai entendre le Miserere, à la Chapelle Sixtine, mais je n’eus pas ce courage les deux autres jours. C’est trop scandaleux. Le Jeudi- Saint, je ne pus voir le lavement des pieds que de loin, mais ce fut ma faute. Le jour de Pâques, je fus témoin de la plus belle des cérémonies: la bénédiction donnée du haut du balcon de Saint-Pierre. La place contenait bien quatre-vingt mille personnes. Nous étions pendant la Semaine Sainte vingt-quatre mille étrangers qui tous ont voulu voir la cérémonie, une foule de paysans de la campagne de Rome, sans compter les habitants de la ville qui, ce jour-là, consentent à sortir de leur apathie ordinaire, pour venir recevoir la bénédiction du Souverain Pontife. C’était un beau coup d’oeil que de voir cette foule immense, remplie d’hommes de tous les pays, et ces hommes tomber à genoux lorsque le Pape se leva de dessus son trône pour bénir la ville et le monde.

Vous avez parfaitement raison de ne pas vous inquiéter sur ma santé: elle est, grâces à Dieu, très bonne, quoique aujourd’hui j’aie un peu mal de tête. Mais c’est un inconvénient de ce terrible siroco ou vent de mer. Toutes les fois qu’il souffle, il est peu de personnes qui n’aient des douleurs de tête. J’ai tout lieu d’espérer que, vu les ménagements que je me propose de prendre, l’été me sera fort peu de chose. Il est vrai que je n’en puis pas encore parler, puisque nous n’avons pas eu à proprement parler de chaleurs. Au contraire, le temps est très froid et il n’y a pas longtemps encore que les montagnes des environs de Rome étaient couvertes de neige. Avez-vous ressenti de vos côtés les mêmes effets des gelées blanches, signalés par les journaux dans la Gascogne et surtout dans les environs de Bordeaux? J’a vu enfin que la Provence avait eu à souffrir des froids intempestifs. Je crains bien que Montpellier, placé entre ces deux pays, n’ait eu à souffrir.

Vous savez sans doute par les journaux que le cardinal Bernetti cède la place de secrétaire d’Etat au cardinal Lambruschini. C’est une affaire de parti. Les uns disent que le cardinal Lambruschini est un prodige en tout, d’autres que c’est un second Polignac.

La mort de mon oncle le chevalier(1) a dû vous affliger, mais non pas vous surprendre. Après le long intervalle qui s’était écoulé depuis que l’on n’avait eu de ses nouvelles, on devait bien s’attendre à un malheur. Les grâces que Dieu lui accorda dans son dernier séjour en France me font espérer qu’il lui en aura accordé après, pour couronner l’oeuvre de sa conversion par une mort chrétienne. je désire que ma tante Rodier retire de ce qu’il a laissé à Cuba le plus possible. Quand bien même les frais de succession seraient considérables, il me semble qu’il en restera toujours assez pour arrondir Le Truc(2).

J’ai, de mon côté, une mort à vous apprendre, celle de M. Le Bouteillier. Au moins, il y a quelques jours, il était à l’agonie. J’ai acquis la certitude qu’il était à Rome, en apprenant qu’il était sur le point d’expirer. Il menait depuis longtemps à Rome une vie fort retirée. Quoique j’eusse demandé à plusieurs personnes son adresse, je n’ai pu la découvrir.

J’ai été obligé d’interrompre ma lettre, parce que j’avais trop mal de tête pour continuer. J’ai été prendre une tasse de café et faire un tour de promenade, je suis guéri. Je voudrais que vous pussiez être quitte de vos migraines à si bon marché.

Quoi que dise M. Gabriel, je voudrais bien pouvoir passer à Rome tout le temps dont j’aurai besoin pour étudier la théologie(3). Ma conviction intime est sans doute qu’on ne doit pas présenter la religion sous le point de vue qu’elle avait au moyen âge, et même il y a deux cents ans; mais je crois qu’il est essentiel de la bien connaître dans les autorités anciennes, afin de ne pas la dénaturer en croyant lui donner les développements que le besoin des intelligences réclame. Le but de la religion, dans un siècle où chacun se fait son système, n’est pas de resserrer l’humanité dans des bornes plus étroites que celles que pose la foi; au contraire, ce me semble, elle doit dire: « Voilà ce qui est essentiel, ce qui est de dogme, ce que votre raison doit accepter sous peine d’être hors de l’Eglise; pour le reste, croyez ce que vous voudrez. » Cette méthode, contre laquelle il n’y a absolument rien à dire, favoriserait à une foule d’intelligences le retour à la vérité; car il en est un grand nombre qui se révoltent contre elle uniquement parce qu’avec les points de foi on veut leur imposer en même temps les questions discutées. Pour ces questions, on ne peut les imposer par l’autorité. Si l’on avait su les faire entrer dans les esprits par des raisons de convenance, on eût, je crois, évité bien des discussions. Mon idée serait donc d’étudier longtemps encore ce qui est de foi. Si quinze mois ne me suffisent pas, j’irai vous voir l’année prochaine, sauf à retourner ensuite.

Adieu, cher petit père. Donnez-moi de vos nouvelles un peu plus souvent. Adieu. J’oubliais de vous dire que l’abbé Gabriel vous remettra quatre vues de Naples et du Vésuve, mais que vous ferez bien de ne les faire dérouler que par celui qui les encadrera. Ce sont des gouaches qui s’useraient dans le frottement. Faites battre mes livres par François. Adieu pour la troisième fois.

Notes et post-scriptum
1. Bruno d'Alzon, frère aîné du père d'Emmanuel, victime, selon toute probabilité, de mort violente dans l'île de Cuba, où il s'était établi.
2. Clément Rodier, cousin d'Emmanuel, fit le voyage de Cuba pour liquider la succession de l'oncle Bruno, mais il ne fut guère heureux dans ses démarches.
3. Le manuscrit porte: "tout le temps que j'aurai besoin d'étudier la théologie."