Vailhé, LETTRES, vol.1, p.550

7 may 1834 Rome, MARTIN_AGDE
Informations générales
  • V1-550
  • 0+173|CLXXIII
  • Vailhé, LETTRES, vol.1, p.550
Informations détaillées
  • 1 ACTION DE DIEU
    1 ADOLESCENTS
    1 ADVERSAIRES
    1 ANARCHISTES
    1 APOSTOLAT
    1 ARMEE
    1 ATHEISME
    1 AUTORITE DE L'EGLISE
    1 BATEAU
    1 CAREME
    1 CATHOLICISME
    1 CHRISTIANISME
    1 CLERGE
    1 CLERGE FRANCAIS
    1 CORRUPTION
    1 CRAINTE
    1 DIEU
    1 EFFORT
    1 ERREUR
    1 ESPERANCE
    1 ETRE HUMAIN
    1 FAIBLESSES
    1 FATIGUE
    1 GOUVERNEMENT
    1 IMPULSION
    1 JUSTICE
    1 LIBERTE
    1 LOISIRS
    1 MAL MORAL
    1 ORDRE SURNATUREL
    1 PAGANISME
    1 PASSIONS
    1 PELERINAGES
    1 PEUPLE DE DIEU
    1 PHILOSOPHIE MODERNE
    1 POLITIQUE
    1 PRESSE REVOLUTIONNAIRE
    1 REPOS
    1 REVOLUTION
    1 SOLITUDE
    1 SPECTACLES
    1 THEOLOGIE
    1 TRAVAIL DE L'ETUDE
    1 VERITE
    1 VIOLENCE
    2 CHENAVARD, PAUL
    2 COUSIN, VICTOR
    2 GABRIEL, JEAN-LOUIS
    2 HUGO, VICTOR
    3 BABEL
    3 FRANCE
    3 ITALIE
  • A MONSIEUR L'ABBE MARTIN D'AGDE (1).
  • MARTIN_AGDE
  • le 7 mai 1834.
  • 7 may 1834
  • Rome,
La lettre

Vous aurez, je pense, joui de tout le plaisir de revoir M. Gabriel, quand cette lettre vous parviendra, et j’espère, mon cher abbé, que le retour d’un des pèlerins que vous accompagnâtes jusqu’au vaisseau ne vous fera pas entièrement oublier qu’il en est encore un sur la terre d’Italie. Quand M. Gabriel était ici, je lui laissais le plaisir de vous écrire ses pages d’émotion et je lui cédais le monopole de vos lettres. J’avais de vos nouvelles par ricochet, et la crainte de vous faire perdre votre temps m’empêchait de vous en demander directement; mais aujourd’hui que je ne sais pas d’autre moyen d’en avoir, il faut bien que vous vous décidiez à prendre la plume pour moi.

Depuis un mois que je suis seul, absolument seul, ma vie passablement monotone s’écoule tout doucement. Je sors peu, je travaille un peu, je m’amuse un peu, je m’ennuie un peu; je puis dire comme cet évêque de l’assemblée de 1682: « Je suis médiocre en tout. » Voyant fort peu de monde, je choisis ceux que je veux voir, excellent moyen pour ne pas perdre son temps. Je m’occupe de théologie à ma manière et je me propose d’avoir, sur les parties que j’étudie, une correspondance avec M. Gabriel. Je désire qu’il soit fidèle à ses promesses, comme je serai de mon côté, bien sûr, fidèle aux miennes.

Et vous, mon cher abbé, que faites-vous? On m’a dit que vous aviez eu du succès dans votre Carême. Je pense que c’est principalement parmi les jeunes gens. J’entends dire de tout côté qu’ils reviennent en foule, que le catholicisme est le but auquel iront toucher infailliblement une foule d’âmes, ardentes de vérité. Mais avez-vous remarqué la manière dont les journaux antireligieux constatent ce retour général vers la vérité? Il y a dans leur tactique quelque chose d’infernal et de bien redoutable. Ne pouvant pas se dissimuler le mouvement des esprits, ils l’acceptent, mais veulent s’en emparer pour le fausser. Le Constitutionnel, le Temps me paraissent surtout adopter cette tactique. J’ai grand peur que, s’ils ne réussissent complètement, ils ne paralysent au moins une partie des résultats qu’on pourrait se promettre.

Une seule chose me rassure, c’est la marche que prend le gouvernement. Prendre des mesures d’exception, faire des lois d’oppression, travailler au rétablissement des privilèges est, politiquement parlant, une fameuse absurdité à mes yeux, dont le fruit sera le renversement plus ou moins prompt de la digue qui veut barrer le passage au siècle. Mais ne pensez-vous [pas] que, sous un autre point de vue, le système de vexations, dans lequel on se jette à plein collier, hâtera le développement de ces idées de justice générale, qui sont, on n’en saurait douter, déposées en germe dans les jeunes intelligences? Or, l’idée de justice, qui d’abord se suffit quelque temps, ne peut cependant pas toujours aller seule. Il faut qu’elle s’appuie sur une idée d’ordre; et comme cette idée de justice est prise en dehors de ce qui existe, il faut que l’idée d’ordre soit prise aussi en dehors de ce qui subsiste. L’idée de l’ordre, le besoin général de sa manifestation nécessitant l’idée d’un pouvoir général comme lui, les jeunes gens se trouvent poussés, les uns sans s’en rendre bien compte, les autres avec connaissance de cause, à réclamer un pouvoir général, un ordre général, une justice générale, en dehors du pouvoir légal, de son ordre et de sa justice, si factices et si précaires. Je suis convaincu que l’esprit de la jeunesse a pris cette direction. Que les uns soient plus avancés et les autres plus reculés, c’est incontestable.

Si Dieu a donné à la jeunesse de cette époque une puissance étonnante de corruption, il lui a donné des passions fortes que viennent alimenter les troubles politiques. Cependant, je crois découvrir comment, avec la disposition incontestable des esprits, ces troubles mêmes peuvent les disposer à chercher un abri contre l’orage qui, tous les jours, devient plus menaçant.

Cet abri, je ne crois pas que la philosophie le donne; il ne peut se trouver que par des efforts mis en commun. Quand les vieilles armées formaient la tortue, elles serraient leurs rangs et leurs boucliers. La jeunesse aussi doit serrer ses rangs, et la philosophie (fait prodigieux, mais qui deviendra visible tous les jours), la philosophie les rompt. J’ai eu le bonheur de m’en convaincre par quelques conversations avec un jeune peintre, qui a connu toutes les sommités philosophiques de la France, sans qu’il m’en ait fait l’aveu formel(2). Ceux mêmes qui, il y a trois ans, se réunissaient sous les drapeaux de Cousin, plus tard sous ceux de Victor Hugo, forment une Babel véritable. Que quelques hommes fassent encore des efforts, à plusieurs reprises, pour reformer des lignes si souvent brisées, j’en suis convaincu; mais qu’ils aient un succès aussi court que ceux qui ont précédé, c’est ce dont je suis convaincu encore.

Je ne sais quelle impulsion inconnue va poussant les intelligences qui n’ont pas la foi et les force à traverser, au pas de courses, les terres de l’erreur. Une seule crainte arrête l’espérance que fait naître en moi un pareil spectacle: tous auront-ils la force de supporter les fatigues de cette marche précipitée? J’en vois beaucoup s’arrêter épuisés, et demander à la volupté un repos que la vérité leur offrait déjà.

Mais comme l’humanité sera toujours l’humanité, il faut tenir compte de ces faiblesses de tous les temps. Mais là où je ne voudrais pas voir cette faiblesse, c’est dans le clergé qui ne fait rien pour aider au retour, je me trompe, qui fait tout pour l’empêcher. Il faut bien convenir que sa position est difficile. Il est vrai qu’il se l’est faite telle,mais enfin je crois qu’il en peut sortir, s’il sait se montrer en la société comme le dépositaire de cette justice et de cet ordre surhumains, dont l’influence morale a été étouffée par les divisions politiques, mais qui retrouvera sa force quand les intelligences viendront se grouper autour et qui, en revanche, sera un levier immense pour renverser ce que des gouvernements décrépits s’efforcent de construire.

Mais je vous le dis franchement, des prêtres pourront séparément concourir à cette oeuvre divine, le clergé en corps, jamais. Il s’est laissé imposer tant d’entraves, il s’en est fait lui-même un si grand nombre, que je crois impossible qu’il puisse les rompre lui-même. Les prêtres donc, qui ne portent pas le joug et qui marchent le front haut, doivent moins travailler à former des apôtres parmi leurs confrères que parmi les simples catholiques. Autrefois, le clergé affranchit la société païenne; aujourd’hui, c’est à une société catholique à affranchir le clergé qui se paganise. C’est, sans doute, un rude châtiment porté contre le clergé de France, mais l’arrêt est rendu, et il s’exécutera.

Oui, je crois que les catholiques peuvent beaucoup, surtout en faisant ressortir de plus en plus le vrai remède de la société. Un caractère particulier de la maladie de l’époque, c’est que les gens savent bien qu’ils sont malades, mais ignorent la cause de leur mal. Ils ignorent également le remède quoiqu’ils soient disposés, à l’accepter quand il leur sera offert. Du reste, et je pense que vous serez de mon avis, on a présenté la religion comme principe de liberté, et, malgré l’opposition assez générale, les paroles prononcées pour développer ce point de vue ont eu un grand retentissement. Mais ce point de vue n’est que secondaire. C’était une position qu’il fallait conquérir pour foudroyer de là l’ennemi. Elle est acquise pour ceux qui ont voulu aller franchement à l’attaque.

Mais où il fant aller aujourd’hui, c’est à établir l’ordre au nom de la liberté. Je puis me tromper, mais il me semble que l’opinion a fait, un pas. On comprend plus clairement qu’on ne peut pas vouloir la liberté pour elle seule. La liberté n’est qu’un moyen pour atteindre un but, auquel les esprits ont voulu aller deux-mêmes, sans se laisser leurrer par les gouvernements qui les avaient jusque-là conduits dans des voies si fausses. Or, ce but étant l’ordre, il est contre nature qu’une partie, qui s’est séparée du tout, aille d’elle-même se remettre à sa place. Il faut que le pouvoir qui avait établi l’ensemble répare les dégats de l’anarchie et de la violence. Ce pouvoir étant de son essence intellectuel, et le pouvoir catholique étant le seul qui soit, visible aujourd’hui, c’est vers ce pouvoir, vers cette autorité que les intelligences doivent être librement dirigées, afin d’être par lui remises à leur place. C’est pour cela que la question religieuse me paraît devoir se présenter aujourd’hui sous sa forme sociale (3)…

Notes et post-scriptum
1. D'après le brouillon. Cette lettre était destinée à un ami commun de l'abbé d'Alzon et de l'abbé Gabriel, le célèbre abbé Martin, d'Agde, ainsi que nous l'apprend une autre lettre du 23 octobre 1834; elle ne fut, du reste, ni envoyée ni achevée. (Voir des extraits dans *Notes et Documents*, t. Ier, p. 511-513.)1. D'après le brouillon. Cette lettre était destinée à un ami commun de l'abbé d'Alzon et de l'abbé Gabriel, le célèbre abbé Martin, d'Agde, ainsi que nous l'apprend une autre lettre du 23 octobre 1834; elle ne fut, du reste, ni envoyée ni achevée. (Voir des extraits dans *Notes et Documents*, t. Ier, p. 511-513.)
2. Il s'agit de Chenavard.
3. La fin manque. Nous savons par la lettre du 28 octobre 1834 au même abbé que celle du 7 mai fut gardée en portefeuille.