Vailhé, LETTRES, vol.1, p.562

15 may 1834 Rome, ALZON_AUGUSTINE
Informations générales
  • V1-562
  • 0+177|CLXXVII
  • Vailhé, LETTRES, vol.1, p.562
Informations détaillées
  • 1 ADOLESCENTS
    1 BELGES
    1 BONHEUR
    1 CONVERSIONS
    1 CRAINTE
    1 DIEU
    1 DIRECTION SPIRITUELLE
    1 LIBERAUX
    1 LIVRES
    1 MARIAGE
    1 PENSEE
    1 PRESSE
    1 PRIERE DE DEMANDE
    1 PROVIDENCE
    1 REPOS
    1 SEMINAIRES
    1 SOUFFRANCE
    2 ALZON, MADAME HENRI D'
    2 BONNETTY, AUGUSTIN
    2 COUX, CHARLES DE
    2 GRAILLON, CHEVALIER
    2 GREGOIRE XVI
    2 LAMENNAIS, FELICITE DE
    2 PEURETTE, PIERRE
    2 SAINTE-BEUVE, CHARLES-AUGUSTIN
  • A SA SOEUR AUGUSTINE.
  • ALZON_AUGUSTINE
  • le 15 mai [1834].
  • 15 may 1834
  • Rome,
  • Mademoiselle
    Mademoiselle Augustine d'Alzon,
    rue de Grenelle. St-Germain, n° 50.
    Paris. France.
La lettre

J’ai été, ma chère amie, obligé de courir toute la matinée; je ne sais donc si j’aurai beaucoup de temps pour t’écrire et si ma lettre pourra partir aujourd’hui. Je vois bien, ma chère petite, que les choses finiront par s’arranger, et je te dirai même que je l »espère. Il me semble que c’est ce que tu as de mieux à faire que de suivre les conseils de ta mère et de la mienne, pour réparer un mot que tu m’as reproché. Je me suis permis de t’adresser la lettre du chevalier Graillon. Mets-toi dans l’esprit que nous ne savons pas ce qui peut nous arriver, mais que nous sommes sûrs que, lorsque nous sommes guidés par la Providence, nous découvrons toujours un grand bien derrière un mal ou un désagrément apparent. Ceci n’est point un paradoxe, mais une chose d’expérience. Il me semble que tu as trop demandé à Dieu de te guider dans ton choix, pour qu’il ne choisisse pas pour toi et qu’il ne fasse pas aller les choses pour ton mieux Je t’engage donc à faire tous tes efforts pour ne pas te cabrer la tête, mais à te laisser conduire par les conseils de maman. Je t’avoue que je lui ai écrit pour l’engager à accepter la responsabilité d’une décision qui te coûte tant. Cela me paraît tellement dans l’ordre que je ne saurais être d’une autre manière de voir.

Je te remercie de ton journal et je puis bien t’assurer que tu te lasseras de me l’envoyer avant que je me lasse de le recevoir. Ecris-moi, écris-moi souvent tout ce que tu penses, tout ce que tu sens, tout ce que tu souffres. Tu as besoin de ne pas garder pour toi seule ce que tu as sur le coeur. Tu as besoin de le communiquer. Souvent, cependant, on n’ose pas écrire ce que l’on dit(1); écris-moi tout. Je ne brûlerai point tes lettres, j’aime trop les avoir. Un jour, je pourrais bien te les montrer.

Toutes tes craintes, toutes tes appréhensions, je les éprouvai quand je fus sur le point d’entrer au Séminaire, et maintenant je suis content comme un roi. Je t’assure que tu te fais des monstres et [que], quand tu en seras , tu verras que tu avais été bien bonne de t’inquiéter pour rien. Du reste, je suis convaincu que je recevrai avant peu une jolie lettre. Mon Dieu, ne nous arrêtons pas là.

J’ai déjà vu un fragment de l’ouvrage de M. de la M[ennais]. Je suis fort embarrassé, parce que j’ai peur qu’on ne me le laisse pas arriver. Prie M. Bonnetty de voir s’il n’y aurait pas moyen de me l’envoyer par occasion. Ecoute. Voici ce que tu feras: tu verras s’il n’y a personne qui vienne ici, et s’il y a quelqu’un à qui tu puisses le remettre, tu le prieras d’en couper les feuilles. Les livres ouverts ne sont pas arrêtés. On prétend que le Saint- Père n’est pas content, mais la personne de qui je tiens ce fait est sujette à caution.

Que je te conte une naïveté d’un Belge. J’ai rencontré ce matin au Cabinet littéraire un certain M. Pierre Peurette, qui a trois pieds tout justement, comme dit une chanson faite sur lui dans le temps. Il a appris par coeur des phrases qu’il répète avec conviction. Il s’est persuadé qu’il était le fondateur du journal l’Union(2). Or, un fondateur de journal est un personnage important. Le susdit M. Pierre Peurette m’honore de sa bienveillance. Donc, tandis que je lisais dans la Quotidienne(3) des fragments de l’abbé de la M[ennais], il s’approche de moi et me dit: « Les journaux libéraux sont stupéfaits des Paroles d’un croyant. » Stupéfaits! me suis-je dit. Voyons ce qu’ils font, quand ils sont stupéfaits; et voilà que je les feuillette d’un bout à l’autre et je n’ai rien trouvé. Alors je me suis tourné vers M. Pierre Peurette, fondateur de l’Union, et je lui ai dit: « Les journaux libéraux ne disent rien de cet ouvrage. -Et c’est cela même; ils sont stupéfaits. » Tu sauras à présent ce que c’est qu’être stupéfait, et si tu n’es pas contente je ne sais qu’y faire.

Quand tu m’écriras, je te prie de me parler du mariage de M de Coux. Il y a des personnes qui s’intéressent à ce mariage. Tu me diras aussi si Sainte- Beuve est devenu catholique. Enfin, à moins que tu ne sois préoccupée par d’autres pensées, tu me donneras ton opinion sur l’état des jeunes gens qu’on nous présente comme si favorable à la religion. Pour moi, je ne sais que penser. Je voudrais bien écrire à l’abbé de la M[ennais] sur une idée qui m’était venue, mais je crois que peut-être il ne me comprendrait pas. Quand je parle ainsi, tu comprends ce que je veux dire(4).

Je vais en train de poste et je ne sais si tu pourras me lire. J’ai peur [de] manquer le courrier et cependant je voudrais être exact à te répondre. Je comprends très bien que mes lettres peuvent te faire quelque bien, ma bonne petite soeur. Je t’assure que je pense bien souvent à ta position et que je sens tout ce qu’elle a de cruel, avec une tête comme je la connais à une jeune personne de ma connaissance. Je te prie encore une fois de songer que le meilleur moyen pour juger sainement les choses, c’est de prendre le plus de calme possible.

Adieu. Adieu, chère amie. Ecris-moi tout, absolument tout ce qui te passe par la tête et tout ce qui te passe sur le coeur. Je suis persuadé que, lorsque tu l’auras écrit, tu trouveras au fond de toi-même tout ce que je te pourrai dire. Je désire que ce que je te pourrai dire puisse te donner un peu de repos. Adieu. Je t’embrasse de tout mon coeur.

Emmanuel.
Notes et post-scriptum
1. Le texte porte: "On n'ose pas dire ce que l'on écrit."
2. Journal de Bruxelles, qui avait adopté les idées de l'*Avenir* et qui se sépara de l'abbé de la Mennais à l'occasion des *Paroles d'un croyant*.
3. Journal légitimiste français, très souvent mentionné dans nos lettres.
4. L'abbé d'Alzon écrivit aussitôt à La Mennais une lettre aujourd'hui perdue.