Vailhé, LETTRES, vol.1, p.569

22 may 1834 Rome, ALZON_VICOMTE
Informations générales
  • V1-569
  • 0+179|CLXXIX
  • Vailhé, LETTRES, vol.1, p.569
Informations détaillées
  • 1 ANGES
    1 ANGLAIS
    1 APOTRES
    1 ARCHITECTURE SACREE
    1 BANQUEROUTE
    1 BASILIQUE
    1 BONHEUR
    1 CHOIX
    1 COLLEGES
    1 COMPTABILITE
    1 CONSENTEMENT
    1 CONVERSATIONS
    1 CORRUPTION
    1 DECADENCE
    1 EDIFICE DU CULTE
    1 EMOTIONS
    1 ETERNITE DE DIEU
    1 FETE-DIEU
    1 LANGUE
    1 LIVRES
    1 MAISONS DE CAMPAGNE
    1 MALADIES
    1 MARIAGE
    1 MEDECIN
    1 MOEURS ACTUELLES
    1 PARTIE D'EDIFICE DU CULTE
    1 PENSIONS
    1 PRESSE
    1 REMEDES
    1 RENONCEMENT
    1 REPOS
    1 RESIDENCES
    1 SANTE
    1 TRAVAIL DE L'ETUDE
    1 TRINITE
    1 VACANCES
    1 VOYAGES
    2 ALZON, AUGUSTINE D'
    2 ALZON, MADAME HENRI D'
    2 DREUX-BREZE, PIERRE-SIMON DE
    2 GABRIEL, JEAN-LOUIS
    2 GONTAUT, MADAME DE
    2 LA GOURNERIE, EUGENE DE
    2 LAMENNAIS, FELICITE DE
    2 LAURENTIE, PIERRE-SEBASTIEN
    2 MAC CARTHY, CHARLES
    2 NICOLAS, MONSIEUR
    2 ORLEANS, FERDINAND-PHILIPPE D'
    2 SIGALON, XAVIER
    3 AUTRICHE
    3 GENES
    3 NAPLES
    3 PAESTUM
    3 ROME
    3 ROME, BASILIQUE SAINT-PIERRE
    3 ROME, EGLISE DU GESU
    3 SICILE
  • A SON PERE.
  • ALZON_VICOMTE
  • le 22 mai 1834.
  • 22 may 1834
  • Rome,
  • Monsieur.
    Monsieur le vicomte Henri d'Alzon,
    au château de Lavagnac, par Montagnac.
    Hérault.
    France, par Antibes.
La lettre

Ce n’est que ce soir, mon cher petit père, que j’ai reçu votre lettre du 10 avril. Je ne puis y répondre sur-le-champ, puisque le courrier est parti; mais comme je vous ai écrit lundi dernier, j’aime mieux mettre un peu d’intervalle. Ce sera pour samedi, mais je commence toujours en attendant. Je vois avec plaisir que votre indisposition a passé. Cependant, ne croyez-vous pas que, puisqu’il y a de l’inflammation, il n’y aurait pas de mal à prendre quelques bains, sinon de rivière, au moins dans une baignoire, où vous pourriez mettre au degré que vous prescrirait le médecin? J’espère que, dans votre prochaine lettre, vous m’apprendrez que vous allez tout à fait mieux.

J’ai à peu près renoncé à mon voyage en Sicile. Je veux me bien porter et pour cela ne pas trop travailler pendant l’été, mais comme les mois de septembre et d’octobre sont ordinairement ceux où je suis le mieux disposé, j’en profiterai pour travailler et réparer le temps perdu; d’autant plus que l’abbé Mac-Carthy me presse beaucoup d’aller passer avec lui une partie des vacances dans une villa qui appartient à son collège et où il m’apprendra l’anglais, ce qui pour moi vaudra bien mieux que de courir la Sicile, qui serait, je crois, un voyage de pur agrément. J’ai à peu près dégagé ma parole avec l’abbé de Brézé. Je ne sais si La Gournerie voudra faire ce voyage. Le plaisir de passer quelque temps avec lui pourrait seul me décider à le faire, mais je ne pense pas qu’il veuille de cette partie. Du reste, il n’est pas encore arrivé. Il m’a écrit une lettre timbrée de Gênes, dans laquelle il me manifeste le désir d’assister aux cérémonies de la Fête-Dieu, mais il ne m’a pas dit quel jour il sera à Rome. Je l’attends d’un moment à l’autre.

Les chaleurs à Rome se font sentir cette année plus tôt qu’à l’ordinaire, mais je n’en souffre pas trop. Je m’arrange pour rester dans ma chambre jusqu’au soir, et alors il commence à faire frais. Je me pourvois de toutes les précautions et je puis vous assurer que je me porte bien et très bien. Je me suis mis à dormir pendant le jour, ce qui me permet de travailler davantage pendant les heures de fraîcheur, le matin et le soir.

Vous avez donc vu M. Gabriel. Il vous a parlé tant qu’il a pu, et j’en suis bien aise. Il vous a dit mille petites choses qui ne peuvent pas s’écrire; il a répondu à mille questions qu’on ne fait pas, quand il faut vingt jours pour en avoir la réponse. Il a parlé tout à son aise. Tant mieux, car il aime cela. Il prétendait que je n’avais pas d’enthousiasme. Je prétendais qu’il admirait sur parole, ce qui est un peu vrai. Je, vais. vous en citer un seul exemple. Je crois vous avoir écrit la première impression que fit sur moi la façade de Saint-Pierre. Le lendemain, j’allai visiter seul l’intérieur que j’admirai, mais non pas sans réserves. Je parcourais cette immense basilique depuis une demi-heure, quand j’aperçois l’abbé Gabriel, la bouche blanche encore de la poussière du premier pavé qu’il avait baisé, la larme à l’oeil, poussant des exclamations muettes, soupirant, admirant, étouffant. Les quatre piliers du dôme écrasaient la terre, selon lui. Tout était sublime, miraculeux, prodigieux. Je n’allais pas à ses talons pour l’admiration. Je hasardai une humble critique. La réponse fut: « Vous avez le coeur fait de m… de poisson. » L’expression était énergique, sinon mielleuse. Par malheur, au bout de quinze jours, Sigalon vint se promener avec nous et nous dit qu’on ne devait admirer que le dôme, à Saint-Pierre. Dès ce moment, l’église n’a plus rien valu. En vain, malgré des défauts que je reconnais, j’ai Voulu la défendre; notre homme ne voyait plus que le dôme. Un jour même que le temps avait été fort sombre, il crut découvrir un mystère nouveau, c’est que la lanterne était obscure, ce qui voulait dire que le dôme se perdait dans l’infini. Les apôtres et les anges sont peints dans l’intérieur du dôme et se voient très bien, mais le Père Eternel, caché dans la nuit de la lanterne, exprimait l’impénétrabilité, l’immensité, l’incompréhensibilité de la Trinité. Pour cela, une page et demie de notes. Vous saurez que les pages de notes sont le thermomètre de l’admiration de ce cher homme. Deux pages sont le nec plus ultra. Il fallait que je fusse témoin de la découverte. Malheureusement, quand nous allâmes à Saint-Pierre le soleil était splendide et le Père Eternel se voyait aussi bien que les apôtres. Malheureusement encore, en allant à l’église du Gésu qu’il ne put souffrir, je lui fis observer que la lanterne du dôme était, réellement nocturne. Il n’en est pas moins parti avec la persuasion que Saint-Pierre est dans le dôme et que le chef-d’oeuvre du dôme c’est la lanterne.

Je pourrais multiplier les exemples, vous parler des colonnes de Poestum, déclarées du goût le plus pur par tous les connaisseurs. Or, ces colonnes sont plus larges à la base qu’au sommet et ont leurs chapiteaux en champignons renversés. Nous en avions vu quelques-unes de ce genre à Naples, et M. Gabriel les déclarait de l’époque de la décadence. Ce brave homme ne savait plus comment s’y prendre pour concilier sa seconde architecture jugée à l’avance avec les colonnes de Poestum qu’il soutenait être les plus belles du monde, avant de les avoir vues. Je vous dis ceci pour vous avertir de vous tenir en garde contre ses descriptions.

J’ai reçu une lettre d’Augustine. Je pense, en effet, qu’elle se décidera. Quand j’appris que l’affaire était rompue, je lui écrivis une lettre un peu verte et j’engageai ma mère à prendre quelque chose sur elle. C’est, je crois, ce qu’elle doit faire, non pour forcer un consentement, mais pour décider un oui qu’Augustine n’aura jamais le courage de prononcer seule. Ce n’est pas sans une grande émotion que je vois s’approcher pour cette pauvre enfant le moment de prononcer un si terrible engagement. Je crois que ce sera pour son bonheur.

Nous n’avons pas encore reçu le livre de M. de la Mennais. Je ne puis rien en dire encore. Il paraît cependant qu’il y en a plusieurs exemplaires dans Rome. On avait d’abord prétendu qu’on ne le laisserait pas passer à la poste. Il semble qu’on ait aujourd’hui changé de sentiment. Je ne sais ce qui résultera de tout ceci. Je vous remercie des extraits du Moniteur. Je ne vois pas ce journal; je suis bien aise de la manière de voir de Laurentie: c’est un fort brave homme.

J’ai vu ce matin dans les journaux l’histoire de Mme de Gontaut; elle est bien extraordinaire. Une affaire qui, dit-on, est plus probable, c’est le mariage de Poulot avec une fille de Nicolas. J’ai l’autre jour, entendu un détail bien singulier sur l’état de l’Autriche..La corruption des moeurs y est à son comble. L’abbé de Brézé me disait qu’un seigneur autrichien ayant fait banqueroute, on avait trouvé dans ses comptes des pensions pour quatre-vingt- huit anciennes maîtresses, sans compter celles qui n’étaient pas pensionnées. C’est joli, j’espère.

Adieu, cher petit père. Je vous donnerai dans quelques jours des détails sur l’effet qu’aura produit le livre de l’abbé de la M[ennais] dans ce pays-ci. Je vous embrasse de tout mon coeur.

Emmanuel.
Notes et post-scriptum