Vailhé, LETTRES, vol.1, p.586

21 jun 1834 Rome, ALZON_AUGUSTINE
Informations générales
  • V1-586
  • 0+184|CLXXXIV
  • Vailhé, LETTRES, vol.1, p.586
Informations détaillées
  • 1 ALLEMANDS
    1 ANGLAIS
    1 ANIMAUX
    1 ARMEE
    1 CATHOLIQUE
    1 COLERE
    1 CONFESSEUR
    1 COURS
    1 COUVENT
    1 DIPLOMATIE
    1 DOMESTIQUES
    1 EGLISE
    1 ENSEIGNEMENT DE LA LITTERATURE
    1 ETATS PONTIFICAUX
    1 EVEQUE
    1 FRANCAIS
    1 HUMILITE
    1 IMPRESSION
    1 JOIE
    1 LANGUE
    1 LIVRES
    1 MALADIES
    1 MALADIES MENTALES
    1 MARIAGE
    1 MEDISANCE
    1 MOBILIER
    1 MONARCHIE
    1 MORT
    1 PARENTE
    1 PENSEE
    1 PEUPLES DU MONDE
    1 PHILOSOPHIE CHRETIENNE
    1 POLITIQUE
    1 PRESSE
    1 PROPRETE
    1 RELIGIEUSES
    1 REPAS
    1 REPOS
    1 RESIDENCES
    1 SEMAINE SAINTE
    1 SIMPLICITE
    1 SYMPTOMES
    1 THOMAS D'AQUIN
    1 TOMBEAU
    1 TRAVAIL DE L'ETUDE
    1 VOEUX SIMPLES
    2 BAADER, FRANCOIS-XAVIER DE
    2 CATHERINE DE SIENNE, SAINTE
    2 CRISPINE, SERVANTE
    2 DELAROCHE, PAUL
    2 FERDINAND II DES DEUX-SICILES
    2 FRANCOIS, LAVAGNAC
    2 GABRIEL, JEAN-LOUIS
    2 GREGOIRE XVI
    2 HUGUES DE SAINT-VICTOR
    2 LACORDAIRE, HENRI
    2 LAMARCHE, VINCENT
    2 LAMENNAIS, FELICITE DE
    2 MAC CARTHY, CHARLES
    2 MICARA, LODOVICO
    2 OLIVIERI, MAURIZIO
    2 PAOLI
    2 PEDRO I, EMPEREUR DU BRESIL
    2 PIERRE, SAINT
    2 PUYSEGUR, MADAME ANATOLE DE
    2 RIO, ALEXIS-FRANCOIS
    2 RIO, MADAME ALEXIS
    2 ROZAVEN, JEAN-LOUIS DE
    2 SAMBUCY, DE
    2 SCHLEGEL, FRIEDRICH VON
    2 SCHLEGEL, WILHELM VON
    2 VENTURA, GIOACCHINO
    3 ALLEMAGNE
    3 ANGLETERRE
    3 AUTRICHE
    3 CHESNAIE, LA
    3 DRESDE
    3 NAPLES
    3 ROME
    3 ROME, BASILIQUE SAINT-PIERRE
    3 VIENNE, AUTRICHE
  • A SA SOEUR AUGUSTINE (1).
  • ALZON_AUGUSTINE
  • le 21 juin 1834.
  • 21 jun 1834
  • Rome,
  • Mademoiselle
    Mademoiselle Augustine d'Alzon,
    au château de Lavagnac, par Montagnac.
    département de l'Hérault. France, par Antibes.
La lettre

Il fait par ce beau jour, ma chère amie, le plus beau temps du monde, pour avoir mal de tête. Il fait siroco, carissima sorella, e io non verrei vedere qui la tua bellissima figura in questo cattivissimo tempo con un sole ardente, un temps lourd s’il en fût jamais, ove non si puo fare altra cosa di dormire.Io non so veramente se fo bene di scriverti cosi italiano, quando sono cosi poco istruito nella grammatica, quando tu sei una donna cosi dotta nelle materie grammaticale, e di vero mi pare impossibile che sia altramento, quando hai avuto sei mesi il signor Paoli, qui, pour le dire en passant, t’a donné un moyen bien lent de me faire parvenir les Paroles d’un croyant. Paul Delaroche n’est pas encore arrivé et j’ignore quand il arrivera. Je t’assure que cela me vexe un peu, parce que je voudrais savoir quand je pourrai le faire lire à certaines personnes, dont je tiens à connaître le jugement. Pour en revenir au temps, il me semble que je ne puis rien faire de mieux que de t’écrire, puisque, outre mille bonnes raisons, il m’est impossible de travailler. Cependant, je ne serai pas bien long, parce que je vais être obligé de sortir pour aller faire une visite.

Je ne puis que te souhaiter cette aimable continuité de gaieté et, pour l’entretenir, je veux te donner une idée de la propreté des Romains. Un individu faisait dans une maison ce que fit un Monsieur à la porte de M. de Sambucy. Un domestique, passant par là, lui fit des reproches, et l’autre, sans se déranger: Ma chè! Questo non è dunque un palazzo? Un palais, pour les Italiens, est un endroit où l’on peut faire toutes sortes de choses, sans se gêner.

Tu me signifies que tu n’es pas disposée à t’attendrir. Ni moi non plus. Nous sommes deux. Il faut bien te dire que, pour me consoler de ton absence, le ciel m’a procuré une parenté qui a bien son mérite. Le P. Lamarche, mon confesseur, a pour filles spirituelles tout un couvent de Dominicaines, qui sont évidemment mes soeurs. Or, ces bonnes Soeurs ne m’oublient pas, car toutes les fois que leur nombre s’augmente elles font à leur Révérend Père cadeau de bonbons, gâteaux, sirops et autres drôleries, dont la paternité de mon bon P. Lamarche me donne une large part. Tu juges si je suis attaché du fond de mes entrailles au couvent de Sainte-Catherine de Sienne, où se préparent ces choses admirables. Cosa stupenda, comme disait un bon évêque, qui était venu passer à Rome la Semaine Sainte. [Il] n’avait rapporté d’autre impression que celle d’une certaine liqueur bue par lui chez le maître d’hôtel du pape. Moi aussi, je dis cosa stupenda, quand je vois le bon P. Lamarche ouvrir le tiroir de sa commode et me le montrer garni de choses fort estimables.

Tu me demandes si le P. Rozaven est chargé de l’examen des propositions de M. de la Mennais. Cela est faux, si toutes les personnes que j’ai consultées ne se sont pas trompées; car j’en ai questionné des deux partis, et entre autres le P. Olivieri, qui, par sa charge, devrait le savoir. Rome ne se prononcera pas. Le roi de Naples lui donnera bien assez d’occupation. Ce petit gros homme veut s’emparer des Etats romains, et il ne se gênera pas, dit-on, pour emprunter les troupes dont don Pedro(2) ne sait plus que faire. Les ambassadeurs ne sont pas trop bien disposés en faveur du Pape, et l’Autriche n’est disposée qu’à se rendre maîtresse de Rome. Si l’abbé de la Mennais, au lieu de parler de la conduite des rois envers les peuples, avait parlé de la conduite des rois envers l’Eglise, ses descriptions auraient été peut-être trop faibles. Bien des gens cependant se croient obligés de baiser la main qui enfonce la poignée. dans le sein de la religion. Ainsi soit-il!

Samedi (= 21 juin).

Quand tu recevras ma lettre, je te prie de dire à François de bien nettoyer mes livres. C’est une chose que je te recommande, et pour laquelle j’espère que tu mettras un peu plus de diligence que pour m’envoyer Les Paroles d’un croyant; sans quoi, je me fâcherai. Donne-moi des nouvelles de M. Gabriel. Fais-lui peur de la colère du P. Ventura, qui est assez piqué que, depuis trois mois qu’il l’a quitté, il ne lui ait pas écrit un mot. C’est, en effet, assez singulier. J’ai tâché de le justifier de mon mieux, mais je n’ai pas réussi.

As-tu entendu parler du livre de Lacordaire? Il fait ici assez mauvais effet, au moins parmi les personnes que je vois(3). On trouve qu’il y a dans le moment que l’auteur a choisi pour publier son livre un grand manque de délicatesse. Et, en effet, je ne vois pas autre chose. Il faut dire que cela nuit au caractère de l’auteur, qui se trouve avoir changé une douzaine de fois d’opinion, ce qui rend ses paroles assez légères. Le cardinal Micara était assez curieux à entendre,sur ce chapitre. Il entre, toutes les fois qu’il parle de ce livre, dans une colère assez comique. Il prétend que cet ouvrage ne touche en rien à la question, attendu que tout ce qu’il dit lui avoir été révélé sur le tombeau de saint Pierre ne pouvait avoir trait à la question, pour laquelle il était venu le consulter. En effet, il était venu le consulter sur la politique, et saint Pierre lui aurait répondu philosophie.

Les chaleurs commencent à se faire sentir. J’ai procuré, dans la maison où je vais manger, un appartement à M. Rio. Connais-tu M. Rio? Si tu ne le connais pas, va dans mon cabinet et tu trouveras, près des tablettes où sont les oeuvres de M. de la Mennais, deux volumes brochés en rose, et, sur le dos, écrit: Rio, Essai sur l’histoire de l’esprit humain dans l’antiquité. Il faut te dire que ce M. Rio est allé en Angleterre et, quoiqu’il n’eût pas grand’chose de chez lui, il a épousé une jeune Anglaise, excellente catholique comme lui, ayant 250 000 francs, cadette et, par conséquent, avec un frère très riche et qui est fou pardessus le marché. La demoiselle, qui n’est pas folle, quoiqu’elle puisse le devenir, est d’une bonne maison et s’appelle Miss Jones. Je mange pour quelques jours avec eux.

Rio est un catholique ardent, qui rêve dans sa simplicité primitive une association d’hommes mariés, qui feraient des voeux d’humilité, composeraient un journal bien savant, dans lequel on ne signerait pas par humilité, et où chacun prônerait son voisin tout en déclarant que lui-même n’est rien. Rio a lu Hugues de Saint-Victor, auteur du XIe siècle; il connaît saint Thomas et autres gens de ce calibre; il connaît l’allemand, et à ce sujet il faut que je te conte une histoire, qu’il raconte lui-même, ce qui lui fait honneur.

Il avait passé un hiver auprès de Baader, dont tu as vu le nom dans la Revue européenne; il avait rempli ses cahiers de toutes les pensées du grand Tudesque. De l’Allemagne il passa à La Chênaie et n’eut rien de plus empressé que d’étaler sa marchandise. Il espérait faire fortune. A peine avait-il commencé, que l’abbé de la Mennais part d’un éclat de rire qui scandalise fort Rio. « Pourriez-vous m’expliquer ce que cela veut dire? » lui demande l’abbé de la M[ennais], et Rio de suer sang et eau pour jeter un peu de clarté sur le galimatias de son maître. A la fin, il s’aperçoit qu’il ne comprenait pas du tout ce qu’il avait cru cependant être sûr de bien comprendre.

Un jeune Anglais avait été se former à l’école de Guillaume Schlegel et en revint la tête lardée de ces formules faites pour éblouir. En voici une. On parlait danse devant lui. « Pour moi, dit-il en soupirant, j’aime par dessus tout les ballets. -Pourquoi? lui demanda-t-on.- C’est que le ballet est la réalisation de la combinaison de la forme et de l’harmonie élevées à leur plus haute puissance. » Puisque je t’ai parlé de Schlegel, il faut que je te donne quelques détails. Ce jeune Anglais, dont je t’ai parlé [et] qui n’est pas M. Mac-Carthy (je t’en préviens pour t’éviter un jugement téméraire), ce jeune Anglais, prêt à partir pour Vienne, demandait à Guillaume Schlegel des lettres pour son frère Frédéric, qui s’était fait catholique. « Je vous les donnerai, lui dit celui-ci, mais je vous préviens que c’est l’homme le plus désagréable que je connaisse. » Au même instant, on lui apporte une lettre; il l’ouvre, la lit et sort en disant: « Mon frère est mort. » Cette lettre lui en apportait la nouvelle. Il ne faut pas croire que ce que disait Guillaume fût vrai. Son frère était un excellent catholique et mourut d’une manière extraordinaire. Il était à Dresde et y faisait un cours de philosophie. Il préparait sa dixième leçon et en était, en l’écrivant, au mot aber=mais, quand il se sentit indisposé. Il se jette sur son lit; une heure après, il était mort.On a imprimé les leçons qu’on a de lui jusqu’au dernier mot; le reste de la page est en blanc. On y a représenté un globe, et de ce globe un ange qui s’élève vers le ciel, tenant à la main des chaînes brisées. Cette idée m’a paru charmante.

Je m’occupe toujours d’allemand, quoique quelquefois cette étude m’ennuie. Figure-toi que chaque auteur demande une étude particulière. Chaque écrivain se fait un jargon qu’il faut deviner. Ne trouves-tu pas ce genre bien absurde? Je trouve que les Français feraient bien d’exiger que tous les ouvrages remarquables fussent écrits dans leur langue; s’ils le voulaient bien, ils en viendraient à bout. Mais c’est ce qui n’aura positivement pas lieu. Au contraire, ils se passionnent pour l’étude des langues étrangères, ce qui dispense les autres peuples d’apprendre la leur. J’ai été sur le point de me mettre à ne jamais parler italien, afin de forcer les gens à me parler français. Comment se porte ta chienne? Je te prie de dire pour moi quelque chose à Crispine; je suis sûr que cela lui fera plaisir.

Adieu, chère amie. Je t’embrasse de tout mon coeur: Je te prie de former ta jeune cadette au style épistolaire, en l’engageant à m’écrire de temps en temps.

Emmanuel.
Notes et post-scriptum
1. Voir *Notes et Documents*, t. Ier, p. 376. Tout en portant la date du 21 juin, la lettre fut en réalité commencée le vendredi 20 juin.
3. Ce sont les *Considérations philosophiques sur le système de M. de Lamennais*, qui parurent en mai 1834.1. Voir *Notes et Documents*, t. Ier, p. 376. Tout en portant la date du 21 juin, la lettre fut en réalité commencée le vendredi 20 juin.
2.Ce don Pedro, dont il est souvent question dans les lettres de l'abbé d'Alzon, après avoir été empereur du Brésil, avait chassé son frère don Miguel du trône du Portugal.
3. Ce sont les *Considérations philosophiques sur le système de M. de Lamennais*, qui parurent en mai 1834.