Vailhé, LETTRES, vol.1, p.612

10 jul 1834 Rome, ALZON_VICOMTE
Informations générales
  • V1-612
  • 0+193|CXCIII
  • Vailhé, LETTRES, vol.1, p.612
Informations détaillées
  • 1 ABSOLUTISME
    1 ADULTERE
    1 ANARCHISTES
    1 ANGLAIS
    1 BONTE MORALE
    1 CALOMNIE
    1 CARDINAL
    1 CATHOLIQUE
    1 COLERE
    1 CORRECTION DES TRAVAUX SCOLAIRES
    1 CULPABILITE
    1 DESOBEISSANCE
    1 DIEU
    1 DIPLOMATIE
    1 EGLISE
    1 ENCYCLIQUE
    1 EVEQUE
    1 FOI
    1 HABITUDES
    1 JOIE
    1 LANGUE
    1 LIVRES
    1 LOI DIVINE
    1 MAISONS DE CAMPAGNE
    1 MAL MORAL
    1 MALADIES
    1 MAUX PRESENTS
    1 MONARCHIE
    1 MORT
    1 OPPORTUNISME
    1 PAROLE DE DIEU
    1 PASSIONS
    1 PECHE
    1 PENSEE
    1 PERSECUTIONS
    1 PEUPLE
    1 PEUPLE DE DIEU
    1 PIETE
    1 POUVOIR
    1 PRISONNIER
    1 PROVIDENCE
    1 PUBLICATIONS
    1 PUNITIONS
    1 SAINT-ESPRIT
    1 SANTE
    1 SCHISME
    1 SEVERITE
    1 SOUFFRANCE
    1 SOUVERAIN JUGE
    1 SOUVERAIN PROFANE
    1 TRAVAIL DE L'ETUDE
    1 VOL
    2 ALZON, AUGUSTINE D'
    2 BAILLY, EMMANUEL
    2 BONNETTY, AUGUSTIN
    2 CABRIERES, ANATOLE DE
    2 GAGARINE, PAVEL-PAVLOVITCH
    2 GREGOIRE XVI
    2 LAMENNAIS, FELICITE DE
    2 LESCOEUR, LOUIS
    2 MAISTRE, JOSEPH DE
    2 NERON
    2 PACCA, BARTOLOMEO
    2 PIERRE, SAINT
    2 VENTURA, GIOACCHINO
    2 ZAMOISKI, ANDRE
    3 AUTRICHE
    3 EUROPE
    3 FRANCE
    3 LAVAGNAC
    3 NORD
    3 PARIS
    3 POLOGNE
    3 ROME
    3 RUSSIE
    3 SUISSE
  • A SON PERE (1).
  • ALZON_VICOMTE
  • le 10 juillet 1834.
  • 10 jul 1834
  • Rome,
  • Monsieur
    Monsieur le vicomte Henry d'Alzon,
    au château de Lavagnac, par Montagnac.
    Montagnac. Hérault.
    France, par Antibes.
La lettre

Je reçois à l’instant, mon cher petit père, trois lettres: l’une de vous, la seconde de Bonnetty, la troisième de M. de la M[ennais]. Je commence, comme de raison, par répondre à la vôtre. Je vous remercie du conseil que vous me donnez d’aller habiter quelque campagne. Je n’en profiterai pas encore, quoique la chose puisse se faire plus tard. Je me porte bien, et même très bien, car les petits maux de tête que j’ai le matin, de temps en temps, ont une cause que je puis faire cesser. Seulement, il m’est impossible de travailler à des choses trop sérieuses. Enfin, je profite de ce temps pour apprendre l’anglais et pour lire ou relire quelques ouvrages moins fatigants. Je me délecte pour la sept[ième] ou huitième fois dans les Soirées de Saint Pétersbourg, que j’admire davantage chaque fois que je les reprends. M. de Maistre a une vue de l’avenir qui transporte de joie. Il ne voyait peut-être pas bien tout le mouvement, mais il en avait le sentiment; il démêlait déjà la ligue qui allait se former parmi les catholiques. Cette ligue, qui semble aujourd’hui dissoute, me paraît prendre au contraire une extension bien puissante. L’abbé de la Mennais n’ayant plus d’école, chacun concourra librement à l’oeuvre de la Providence, sans esprit de parti, sans esprit de coterie: ce sera un grand bien.

Dans une lettre à M. de la M[ennaisi je lui demandais s’il ne pensait pas avoir eu tort d’attaquer les rois et non les peuples. Voici ce qu’il me répond:

Les rois sont seuls coupables du mal qu’ont fait les rois. Comment voulez-vous qu’on accuse les peuples, qu’on les rende responsables de leur propre oppression? N’est-il pas clair qu’ils n’ont aucune action commune et que, précisément, on ne veut pas qu’ils en aient? Où est, dans presque toute l’Europe, le peuple dont on pourrait dire: il a fait ceci ou cela? Les peuples n’agissent pas; ils souffrent et aspirent au terme de leurs souffrances. Il existe, sans doute, dans leur sein, beaucoup d’individus mauvais; mais ce genre de mal ne crée point de solidarité nationale. Ce serait une étrange excuse pour les tyrans que le défaut de sainteté en ceux qu’ils oppriment. Cette excuse serait également bonne jusqu’à la fin du monde. Aussi ne puis-je point voir dans la tyrannie une punition directe selon le sens le plus rigoureux du mot; elle est une suite du mal et l’indice des plus grands maux. Or, Dieu ne veut aucun mal et il les repousse tous.

J’attaque particulièrement l’abus du pouvoir sous la forme monarchique, parce que c’est, à la Suisse près, l’unique forme de pouvoir qui subsiste en Europe. S’il en existait d’autres qui violassent systématiquement et d’une manière permanente la loi de justice et de charité, je les attaquerais également, sans doute. Mais le pouvoir monarchique ne pourrait-il pas se modifier suffisamment pour être en harmonie avec la justice et les besoins présents de la société chrétienne? C’est une autre question… Au reste, l’avenir décidera. Toujours est-il qu’on ne peut aujourd’hui attaquer le mal que là où il est. J’ajouterai que, quand tous les droits sont violés, il y aurait de la barbarie à rechercher rigoureusement si ceux qu’on dépouille de ces droits, qu’on vole, qu’on emprisonne, qu’on tue arbitrairement, sont tous bien pieux, bien édifiants. Qu’est-ce que cela fait à la question, et en quoi leurs fautes devant Dieu diminueraient-elles le crime des autres? Une vieille et terrible habitude incline le jugement des hommes du côté de la puissance, et c’est elle cependant qui sera le plus sévèrement jugée par le Juge suprême, potentes potenter torquentur.

En me parlant de ses dispositions par rapport(2), il me dit:

Quant à moi, je suis fort tranquille, et, quoi qu’il arrive, je bénirai la Providence, qui disponit omnia suaviter et attingit a fine ad finem fortiter(3).

Je pense que vous comprenez qu’il est inutile de répandre imprudemment les détails que je vais vous donner et qui sont puisés aux sources les plus pures. La France n’a rien fait à Rome pour obtenir l’Encyclique. Ce sont des notes très fortes de l’Autriche et de la Russie qui en ont déterminé la publication. On commence à se repentir de l’avoir publiée et l’on a pris la résolution de ne plus rien faire. Dans une des dernières congrégations, le cardinal Pacca a parlé avec une grande force contre l’Encyclique, en disant qu’après tout M. de la M[ennais] ne disait rien contre la foi, et qu’il était bon de laisser les princes vider leurs querelles avec les peuples. On a fait au P. V[entura] une mauvaise affaire auprès du Pape, mais la calomnie était si absurde qu’il ne lui a pas été difficile de la réfuter.

Pour vous dire toute ma pensée sur l’Encyclique, je crois qu’elle fera plus de bien que de mal, surtout si M. de la M [ennais] consent à l’expliquer; car, d’après la lettre que je vous ai copiée, il est bien évident que l’abbé de la M[ennais] condamne tout ce qui y est condamné. Le Pape y pose des limites à l’anarchie, limite très sages et contre lesquelles la passion seule peut murmurer. Quant à son opportunité, j’ignore quel effet elle produira. Pour mon compte, j’aurais mieux aimé que l’on eût attendu un peu plus et que l’on eût, comme cela se pratique ordinairement, demandé des explications à l’auteur. Mais les Puissances du Nord étaient pressées; il a bien fallu que le Saint- Esprit se hâtât de donner sa réponse(4).

Il y a des choses qui percent de douleur un coeur chrétien et qui, si elles n’excusent pas l’irritation de l’abbé de la M[ennais], l’expliquent en un sens. Le bref aux évêques de Pologne fut soumis à la revision du prince Gagarin(5). La parole de Dieu revue, corrigée et censurée par l’ambassadeur adultère d’un prince schismatique! L’Eglise est descendue bien bas. Je vous avoue que ces choses-là, surtout quand j’en considère le résultat dans la malheureuse Pologne, font sur moi un effet terrible, et je regrette le temps où Néron faisait des flambeaux vivants du corps des chrétiens. Saint Pierre au moins ne faisait pas contresigner ses épîtres par le préfet du prétoire.

Adieu, mon cher petit père. Quand même vous iriez à Paris, je pense que vous retournerez à Lavagnac au printemps de l’année prochaine, et j’espère bien aller vous y trouver vers cette époque, ou au plus tard vers les premiers jours du mois de juillet. Quel temps encore d’ici là!

Notes et post-scriptum
1. Voir *Notes et Documents*, t. Ier, p. 435 sq.
3. Cet extrait provient de la lettre que, le 28 juin, La Mennais adressait à l'abbé d'Alzon et qu'on trouvera à l'Appendice.
5. Dans ce passage qui vise le Bref du 9 juin 1832, on relèvera sans peine quelque exagération. Le document pontifical ne semble pas avoir été soumis à la censure de Gagarin, mais il fut en quelque sorte imposé au Pape par une note que lui remit ce diplomate. Peu après, Grégoire XVI, reconnaissant qu'on l'avait trompé, le déclara sans ambage à l'envoyé de la malheureuse Pologne: "J'ai été trompé sur votre compte, dit-il à Zamoyski... Les menaces m'ont ébranlé. J'ai frémi des persécutions qui allaient fondre sur vous. J'ai cédé à une véritable sommation." Sur cette affaire, voir Lescoeur, *L'Eglise catholique en Pologne*, p. 49-69.
Cette déclaration du Pape n'excuse pas toutefois le langage acéré que se permet ici et ailleurs le jeune étudiant. On ne s'explique même ces vivacités qu'en tenant compte de la crise intérieure qu'il subit durant près de six mois, après la condamnation de La Mennais. Elle était avant tout le fait d'une jeunesse inexpérimentée; d'un tempérament ardent, soucieux uniquement des intérêts de l'Eglise et que toute intervention politique suffisait à émouvoir; du milieu mennaisien qu'il fréquentait de préférence et qui nous paraît avoir, quelquefois, manqué de réserve dans ses jugements; de l'ignorance où le laissait Le Mennais sur ses vraies intentions, non moins que de la crainte d'une apostasie, après l'arrêt porté contre l'aventureux philosophe. Il y eut des hauts et des bas dans cette crise, comme dans tous les états de conscience analogues, des regrets et aussi des retours sur ces regrets qui cessèrent enfin avec l'effusion des grâces du sacerdoce. Les pages qui suivent en fourniront plusieurs témoignages significatifs. On ne naît pas saint, comme poète, et l'on ne le devient pas du premier coup ni sans effort. Même une âme privilégiée, comme l'abbé d'Alzon, qui conduirait tant d'âmes à la perfection, devrait acquérir la sainteté à ses dépens. Mgr de Cabrières l'a fort bien mis en relief, dans son panégyrique du P. d'Alzon, prononcé en 1910 en présence du P. Emmanuel Bailly; sa conclusion sera aussi la nôtre.
"Préservé par la grâce, dit l'éminent évêque, des tentations auxquelles succombent tant de jeunes gens, l'abbé d'Alzon ne devait pas échapper à la loi commune, qui veut que l'expérience s'achète par la lutte contre soi-même. Pour surmonter les impressions dangereuses que pouvait lui causer, jusque dans le monde où l'engageait sa vocation, sa position de famille et de fortune, il lui fallait un sauvegarde qui protégeât sa vie entière et la maintînt dans l'humble sentiment de sa propre faiblesse. Avoir approché de si près un prêtre illustre, avoir été initié à ses chagrins, à ses déceptions, à ses colères et enfin à ses révoltes, quelle meilleure garantie contre l'aveuglement de la vanité, quelle leçon plus efficace pour la conduite de toute une vie! Ces années ont marqué Emmanuel d'Alzon d'une empreinte ineffaçable; et précisément parce qu'il avait vu chanceler et tomber celui déceptions champions de l'Eglise qui paraissait le mieux affermi, il a appris à trembler pour lui-même et à chercher son appui là seulement où la vérité ne peut ni se voiler ni défaillir... Rome lui était nécessaire, et c'est à Rome qu'il devait apprendre au prix de beaucoup d'anxiétés, de tourments et de sacrifices, quelle est la valeur et quel est le fruit de l'obéissance." *(Centenaire du Révérend Père d'Alzon*. Nîmes, 1910, p. 27.)2. La pensée n'a pas été achevée par oubli.
3. Cet extrait provient de la lettre que, le 28 juin, La Mennais adressait à l'abbé d'Alzon et qu'on trouvera à l'Appendice.
4. Ces paroles qui surprirent quelque peu sa famille, et avec raison, furent expliquées et en partie désavouées par Emmanuel dans sa longue lettre du 16 août à sa soeur Augustine.
5. Dans ce passage qui vise le Bref du 9 juin 1832, on relèvera sans peine quelque exagération. Le document pontifical ne semble pas avoir été soumis à la censure de Gagarin, mais il fut en quelque sorte imposé au Pape par une note que lui remit ce diplomate. Peu après, Grégoire XVI, reconnaissant qu'on l'avait trompé, le déclara sans ambage à l'envoyé de la malheureuse Pologne: "J'ai été trompé sur votre compte, dit-il à Zamoyski... Les menaces m'ont ébranlé. J'ai frémi des persécutions qui allaient fondre sur vous. J'ai cédé à une véritable sommation." Sur cette affaire, voir Lescoeur, *L'Eglise catholique en Pologne*, p. 49-69.
Cette déclaration du Pape n'excuse pas toutefois le langage acéré que se permet ici et ailleurs le jeune étudiant. On ne s'explique même ces vivacités qu'en tenant compte de la crise intérieure qu'il subit durant près de six mois, après la condamnation de La Mennais. Elle était avant tout le fait d'une jeunesse inexpérimentée; d'un tempérament ardent, soucieux uniquement des intérêts de l'Eglise et que toute intervention politique suffisait à émouvoir; du milieu mennaisien qu'il fréquentait de préférence et qui nous paraît avoir, quelquefois, manqué de réserve dans ses jugements; de l'ignorance où le laissait Le Mennais sur ses vraies intentions, non moins que de la crainte d'une apostasie, après l'arrêt porté contre l'aventureux philosophe. Il y eut des hauts et des bas dans cette crise, comme dans tous les états de conscience analogues, des regrets et aussi des retours sur ces regrets qui cessèrent enfin avec l'effusion des grâces du sacerdoce. Les pages qui suivent en fourniront plusieurs témoignages significatifs. On ne naît pas saint, comme poète, et l'on ne le devient pas du premier coup ni sans effort. Même une âme privilégiée, comme l'abbé d'Alzon, qui conduirait tant d'âmes à la perfection, devrait acquérir la sainteté à ses dépens. Mgr de Cabrières l'a fort bien mis en relief, dans son panégyrique du P. d'Alzon, prononcé en 1910 en présence du P. Emmanuel Bailly; sa conclusion sera aussi la nôtre.
"Préservé par la grâce, dit l'éminent évêque, des tentations auxquelles succombent tant de jeunes gens, l'abbé d'Alzon ne devait pas échapper à la loi commune, qui veut que l'expérience s'achète par la lutte contre soi-même. Pour surmonter les impressions dangereuses que pouvait lui causer, jusque dans le monde où l'engageait sa vocation, sa position de famille et de fortune, il lui fallait un sauvegarde qui protégeât sa vie entière et la maintînt dans l'humble sentiment de sa propre faiblesse. Avoir approché de si près un prêtre illustre, avoir été initié à ses chagrins, à ses déceptions, à ses colères et enfin à ses révoltes, quelle meilleure garantie contre l'aveuglement de la vanité, quelle leçon plus efficace pour la conduite de toute une vie! Ces années ont marqué Emmanuel d'Alzon d'une empreinte ineffaçable; et précisément parce qu'il avait vu chanceler et tomber celui déceptions champions de l'Eglise qui paraissait le mieux affermi, il a appris à trembler pour lui-même et à chercher son appui là seulement où la vérité ne peut ni se voiler ni défaillir... Rome lui était nécessaire, et c'est à Rome qu'il devait apprendre au prix de beaucoup d'anxiétés, de tourments et de sacrifices, quelle est la valeur et quel est le fruit de l'obéissance." *(Centenaire du Révérend Père d'Alzon*. Nîmes, 1910, p. 27.)