Vailhé, LETTRES, vol.1, p.618

28 jul 1834 Rome, GINOUILHAC Abbé
Informations générales
  • V1-618
  • 0+195|CXCV
  • Vailhé, LETTRES, vol.1, p.618
Informations détaillées
  • 1 ACTION DE DIEU
    1 APOSTOLAT
    1 APOTRES
    1 ATHEISME
    1 BUT DE LA VIE
    1 CATHOLICISME
    1 CONNAISSANCE DE DIEU
    1 ENCYCLIQUE
    1 ENSEIGNEMENT
    1 ENSEIGNEMENT DE L'ELOQUENCE SACREE
    1 ERREUR
    1 ERREURS MENAISIENNES
    1 ETUDES ECCLESIASTIQUES
    1 EVEQUE
    1 FAIBLESSES
    1 GUERISON
    1 JESUS-CHRIST
    1 JUIFS
    1 LIVRES
    1 MACON
    1 MAL MORAL
    1 MALADES
    1 MALADIES
    1 MEDECIN
    1 MENSONGE
    1 PENSEE
    1 PHILOSOPHIE MODERNE
    1 PREDICATION
    1 PRETRE
    1 PROTESTANTISME ADVERSAIRE
    1 PROVIDENCE
    1 REMEDES
    1 RETRAITE SPIRITUELLE
    1 REVOLUTION
    1 SAINT-ESPRIT
    1 SCEPTICISME
    1 SEMINAIRES
    1 SOCIETE
    1 SOLITUDE
    1 SOUMISSION DE L'ESPRIT
    1 SUPERIEURS ECCLESIASTIQUES
    1 THEOLOGIE
    1 THEOLOGIENS
    1 TRAVAIL DE L'ETUDE
    1 VERITE
    1 VICAIRE
    1 VIE DE PRIERE
    2 BAUTAIN, LOUIS
    2 BERNARDIN DE SAINT-PIERRE, HENRI
    2 CONSTANT, BENJAMIN
    2 GABRIEL, JEAN-LOUIS
    2 ISAIE, PROPHETE
    2 LAMENNAIS, FELICITE DE
    2 PAUL, SAINT
    3 FRANCE
    3 MONTPELLIER
  • A MONSIEUR L'ABBE GINOUILHAC (1).
  • GINOUILHAC Abbé
  • le 28 juillet 1834.
  • 28 jul 1834
  • Rome,
La lettre

Mon cher Monsieur Ginouilhac

Je ne saurais vous dire le plaisir que m’a procuré votre lettre, qui m’est arrivée il y a quelques moments. Depuis plusieurs jours, je suis occupé et préoccupé de la même idée que vous.

Plus je réfléchis, plus il me semble que le meilleur est de laisser agir la Providence, de chercher à deviner à quoi elle nous destine, de nous y préparer de notre mieux et de lui confier ensuite le soin de nous mettre dans un position convenable pour agir.

Ainsi, que vous deviez être un homme d’action ou un homme de science, qu’importe? Ne pouvez-vous acquérir la science dans la retraite? Et, pour vous rendre propre à agir, n’est-ce pas la retraite qui convient aussi? Car, pour celui qui veut agir pour Dieu, la meilleure préparation, c’est la prière, et la prière veut la solitude. Puis donc que vous voulez bien savoir mon avis, il me semble que si vous n’avez pas de motif particulier de quitter la position où vous êtes, ce que vous avez de mieux à faire, c’est d’y rester, jusqu’à ce que la Providence, vous prenant par la main, vous en fasse sortir.

L’abbé Gabriel, lorsqu’il m’a fait parler, n’a as peut-être bien rendu ma pensée. Peut-être aussi l’ai-je modifiée. Enfin, il me semble que, lorsqu’on est placé quelque part par le choix de son supérieur, à moins d’avoir de fortes raisons, il faut y rester. Si vous les avez, c’est ce que j’ignore. Il me semble que si votre évêque approuve que vous vous retiriez pour quelques années pour mieux vous préparer, vous ne sauriez mieux faire; mais s’il ne l’approuve pas, il me semble encore que vous avez assez de bien à faire en vous appliquant à réformer votre Séminaire, car vous savez bien que vous n’êtes pas fait pour vicarier, et ce mot dit beaucoup de choses.

Pour mon compte, je faisais tout dernièrement quelques réflexions sur mon avenir particulier et je me demandais quel était mon but. Ce but me paraissait bien clair: la défense de la religion. Par quel moyen? La chose me paraissait plus difficile à expliquer. Ne me sentant aucune propension vers un point plutôt que vers un autre, j’en conclus que le meilleur était de travailler à acquérir une somme de connaissances telle que je pusse plus tard suivre la voie que la Providence me destinerait plus spécialement. Voilà donc d’abord la nécessité d’étudier l’ensemble de la religion, ce qui peut prendre plusieurs années, sans que je puisse dire que je perds mon temps.

Vous voyez donc que, quoique à mille lieues de vous dans la science ecclésiastique, je faisais un raisonnement analogue; et ce que je dis pour moi, je puis le dire pour vous, toujours en observant la distance qui nous sépare.

Vous savez aussi bien que moi ce qu’est la théologie suivie sur les bancs. Ce n’est pas là, du reste, aujourd’hui, qu’il faut la chercher. Après s’être fortifié par l’étude des maîtres de la science, il vaut bien mieux, ce me semble, aller chercher les questions débattues dans les ouvrages de controverse, parce qu’alors on semble fait une idée d’une lutte réelle et on s’exerce aux combats futurs, à la vue des combats véritables. Vous pouvez cependant, ce me semble, achever votre cercle d’études théologiques. Cela vous donnera deux ans pour réfléchir et, pendant ce temps, que de choses semble passeront!

La réfutation de B[enjamin] Constant peut vous être utile, mais permettez-moi de vous faire observer qu’elle est inutile pour le public. Quel effet cet ouvrage a-t-il produit? C’était le dernier cri d’une philosophie expirante. Un libraire disait, à propos des ouvrages composés contre les Paroles d’un croyant: « Les réfutations ne semble lisent plus en France. » C’était de la brochure de Bautain qu’il refusait de semble charger(2). Ce que l’on disait de ces réfutations-là, on peut le dire à plus forte raison de toutes les autres.

Que réfute-t-on aujourd’hui? Une erreur. Mais quelle erreur est adoptée entière par les hommes du jour? Et, pour citer un exemple que vous ne récuserez pas, quel homme a adopté absolument tout ce qui semble trouvait dans les Paroles d’un croyant? Les uns sont allés au delà, les autres sont restés en deçà, personne ou presque personne n’a pensé tout ce qu’a écrit M. de la M[ennais]. Il en est de même pour toutes les erreurs. Quand donc vous vous présentez au siècle et que vous lui dites: « J’entends vous prouver que telle proposition est fausse », le siècle entier vous répond par ses cent mille bouches: « Nous ne connaissons pas cette erreur. »

Celui qui aujourd’hui attaquerait un système particulier ressemblerait, passez-moi la comparaison, un médecin qui, voyant un malade couvert de lèpre, entreprendrait de guérir un petit bouton que cet homme aurait au doigt. Il n’est que trop vrai: ce que le Prophète disait des Juifs doit semble dire de toute la catholicité: a planta pedis usque ad verticem non est in eo sanitas(3). Ce n’est donc pas par des réfutations qu’il faut guérir le malade, mais par des remèdes internes qui renouvellent le sang, qui lui rendent l’esprit de vie. La société n’a pas besoin qu’on lui montre l’erreur. Un grand sentiment de malaise lui indique assez, je crois, qu’elle est de toute part enveloppée de mensonges. Ce qu’elle a besoin qu’on lui montre, c’est la vérité; et, convenez-en, nous pouvons bien dire aussi: Parvuli petierunt panem, et non erat qui frangeret eis(4).

En réfléchissant sur le caractère du prêtre de nos jours, il m’a semblé qu’un des grands obstacles au succès des prédications chrétiennes, c’est que l’homme s’y montre trop, l’esprit de Dieu pas assez. Le prêtre qui instruit doit parler tanquam potestatem habens(5), et l’on a un peu trop imité les Pharisiens et les Scribes. On a disserté; dès lors, l’homme s’est montré. On a pu faire une belle pièce d’éloquence; une forte dissertation philosophique, on n’a pas fait une prédication chrétienne. Or, il est impossible que l’homme ne semble montre pas dans les réfutations. Voyez si jamais, dans les discours de Jésus-Christ ou des apôtres ou dans les Epîtres, ce genre est adopté. Saint Paul, dans son Epître aux Hébreux, s’occupe bien moins de combattre les Juifs que de les instruire par leurs propres croyances. Et c’est, je crois, ce que l’on doit surtout faire aujourd’hui.

Je vais vous citer un exemple de ce que je veux dire, mais en vous prévenant de n’en prendre que le bon côté. Le XVIIIe siècle avait jeté au monde le dernier mot de la Réforme, et ce mot était athéisme. Quand il fut prononcé, la France qui l’avait adopté la première fut bouleversée. La Révolution éclata. Mais voyez comme, au moment même où le mal est à son apogée, il semble détruit lui-même. La vérité, qui paraissait étouffée, semble ranime; l’erreur, au contraire, entre dans les voies du scepticisme, où elle s’enfoncera jusqu’à ce qu’elle y tombe d’épuisement et d’inanition.

On avait attaqué les vérités. Toutes les vérités étaient donc à reconstruire aux yeux des hommes; et le premier qui tente ce travail, c’est Bernardin de Saint-Pierre. Ne vous scandalisez pas, je vais m’expliquer. La première vérité est, si je ne me trompe, l’idée de la Providence; car ne pouvant connaître Dieu en lui-même, nous ne le connaissons d’abord que par sa conduite envers nous, c’est-à-dire par sa Providence. Bernardin de Saint-Pierre s’empare de cette idée et la présente au monde, non pas en lui donnant pour escorte tous les arguments dont on aurait pu écraser les athées, mais en faisant connaître Dieu par une partie de ses oeuvres.

Plus tard vint l’abbé de la Mennais qui, exagérant la faiblesse de la raison, ne l’expulsait pas moins du trône qu’elle occupait. Je suis donc convaincu que, peu à peu l’ouvrage semble fera en suivant cette voie, non pas en réfutant, mais en établissant. Qu’il y ait des exagérations dans les premiers essais en ce genre, c’est naturel et il faut qu’il en soit ainsi. Lorsqu’un maçon élève une colonne, il laisse au fût quelques saillies qui l’empêchent d’être endommagée; plus tard, il les regratte et l’ouvrage est parfait.

Et puisque je vous ai cité M. de la Mennais, je crois vous faire plaisir en vous disant que la désapprobation de son système est venue fort à propos. Lui-même avait compris ce qu’il y avait de trop outré et semble disposait à donner des explications dans son premier ouvrage de philosophie.

Quant aux Paroles d’un croyant et à l’Encyclique qui condamne cet ouvrage, je n’ai rien à en dire. Je savais d’avance ce qu’il y avait à condamner. L’Encyclique m’a donc trouvé parfaitement soumis. J’y ai même vu un dessein de la Providence qui m’a consolé de bien des petitesses, que l’on aperçoit nécessairement, lorsque l’on est placé trop près des objets. J’ai cru y reconnaître une action de Dieu tellement au-dessus de toute portée humaine que je n’ai plus fait attention au reste.

Le Saint-Esprit, dans l’Encyclique, a devancé, si je puis le dire, le temps et la marche de la révolution. Il a vu jusqu’où devaient aller battre les flots de l’esprit humain, poussés par les vents qui soufflent aujourd’hui. Il a vu sur quel point s’amoncelaient les vagues de cet océan de toutes les opinions, et il a arrêté ce flux immense qui menaçait de renverser tout ce qui ressemblait à l’ordre et au pouvoir. Il a prononcé une seconde fois: Huc usque venies(6), et ces paroles, à mon gré, auront un double effet: le premier, d’apprendre aux catholiques à semble défier d’un faux mouvement; le second, de purger le mouvement régénérateur de toute force illégitime pour ne lui laisser que sa force réelle, celle de la vérité.

J’ignore quelle sera la conduite de M. de la M[ennais]. J’espère qu’il reconnaîtra sa position et qu’il n’hésitera pas un moment sur le parti à prendre…(7)

Notes et post-scriptum
1. Alors professeur de dogme au Grand Séminaire de Montpellier, auteur en 1852 d'une *Histoire du dogme catholique pendant les trois premiers siècles* qui a gardé encore sa valeur, évêque de Grenoble et archevêque de Lyon. Nous publions cette lettre d'après un brouillon. Nous avons un autre brouillon, daté également du 28 juillet et reproduisant, à peu de chose près, la début et la fin de notre texte. Cette lettre, du reste, ne fut pas envoyée à son destinataire, ainsi que nous l'apprend une autre lettre datée du 7 août. Voir des extraits dans *Notes et Documents*, t. Ier, p. 434 sq., 567-570.
2. Bautain avait publié la *Réponse d'un chrétien aux paroles d'un croyant*.1. Alors professeur de dogme au Grand Séminaire de Montpellier, auteur en 1852 d'une *Histoire du dogme catholique pendant les trois premiers siècles* qui a gardé encore sa valeur, évêque de Grenoble et archevêque de Lyon. Nous publions cette lettre d'après un brouillon. Nous avons un autre brouillon, daté également du 28 juillet et reproduisant, à peu de chose près, la début et la fin de notre texte. Cette lettre, du reste, ne fut pas envoyée à son destinataire, ainsi que nous l'apprend une autre lettre datée du 7 août. Voir des extraits dans *Notes et Documents*, t. Ier, p. 434 sq., 567-570.
2. Bautain avait publié la *Réponse d'un chrétien aux paroles d'un croyant*.
7. La suite manque.3. *Is*. I. 6.
4. *Lament*. IV, 4.
5. *Matth*. VII, 29.
6. *Job*. XXXVIII, 11.