Vailhé, LETTRES, vol.1, p.630

7 aug 1834 Rome, GINOUILHAC Abbé
Informations générales
  • V1-630
  • 0+198|CXCVIII
  • Vailhé, LETTRES, vol.1, p.630
Informations détaillées
  • 1 APATHIE SPIRITUELLE
    1 AUGUSTIN
    1 BESTIAUX
    1 CHAIRE
    1 CHRISTIANISME
    1 CONNAISSANCE
    1 DIEU
    1 DIEU LE PERE
    1 DOGME
    1 DOUCEUR
    1 DOUTE
    1 DROITS DE DIEU
    1 ERREUR
    1 EVANGILE DE JESUS-CHRIST
    1 FATIGUE
    1 GENEROSITE
    1 HUMILITE
    1 IGNORANCE
    1 IMPULSION
    1 JESUS-CHRIST
    1 JUSTICE
    1 LIBERTE
    1 LOI DIVINE
    1 MAL MORAL
    1 ORGUEIL
    1 PAGANISME
    1 PAROLE DE DIEU
    1 PAUVRE
    1 PENSEE
    1 PERFECTION
    1 PHILOSOPHIE MODERNE
    1 PREDICATION
    1 PRETRE
    1 PROTESTANTISME ADVERSAIRE
    1 PROVIDENCE
    1 RECONNAISSANCE
    1 REMEDES
    1 SACERDOCE
    1 SAGESSE DE DIEU
    1 SALUT DU GENRE HUMAIN
    1 SOUFFRANCE
    1 TITRES DE JESUS-CHRIST
    1 TRIOMPHE
    1 VERITE
    1 VERTU DE FORCE
    1 VOLONTE DE DIEU
    2 CARRIERE, ABBE
    2 DEMOSTHENE
    2 DIOCLETIEN
    2 FENELON
    2 GABRIEL, JEAN-LOUIS
    2 JOSEPH II, EMPEREUR
    2 PAUL, SAINT
    2 SAMSON, BIBLE
  • A MONSIEUR L'ABBE GINOUILHAC (1).
  • GINOUILHAC Abbé
  • le 7 août 1834.
  • 7 aug 1834
  • Rome,
La lettre

Voilà plusieurs jours mon cher M. Ginouilhac, que gît sur ma table une réponse à votre dernière lettre. Je n’ai pas voulu la faire partir parce qu’elle ne me paraissait pas exprimer assez nettement ma pensée sur ce dont vous me parlez(2). Lorsque je reçus votre lettre, j’étais je vous l’avoue, extrêmement frappé de la nullité de tout homme qui veut agir. Depuis plusieurs jours, je me pénétrais de cette terrible vérité, exprimée si énergiquement par M. Carrière, que le prêtre est entre les mains de Dieu, comme la mâchoire d’âne entre les mains de Samson -rien de plus,- et que, pour être élevé à la dignité de mâchoire d’âne, il faut vouloir fortement n’être que mâchoire; sans quoi, l’on ne sera pas même cela. Vous pouvez juger combien vos paroles ont été comprises et combien elles ont eu pour moi une évidence qu’elles n’auraient peut-être pas eue dans un autre moment.

En somme, il me semble que ce qu’il y a de mieux, c’est de se jeter sans réserve entre les mains de la Providence. S’il est permis et même nécessaire de rechercher les vues générales qu’elle a sur nous, je crois qu’il faut, pour les détails, lui laisser une liberté entière de nous mener, de nous pousser comme bon lui semble, en cherchant à lever tous les obstacles que la nature peut mettre à ses desseins. Je crois qu’à moins d’une impulsion particulière irrésistible, nous devons nous laisser guider par ses douces impulsions. N’est-ce pas d’elle qu’il est écrit qu’elle arrive à ses fins avec force et douceur? Pour vous dire toute ma pensée, mais uniquement entre nous, je suis convaincu par ma propre expérience que, lorsqu’après s’être dévoué à la cause de Dieu, on veut agir de soi-même, on a trop à souffrir pour ne pas savoir préférer l’attente, quelque longue qu’elle puisse être, d’une manifestation positive de la volonté d’en haut. Telles sont les réflexions que je vous soumets en toute humilité. Après cela, je vous ferai observer que nous sommes trop éloignés pour entrer dans plus de détails.

J’ignore comment M. Gabriel vous a traduit ma pensée. J’étais convaincu, il y a quelque temps, que Dieu voulait sauver le monde en répandant une abondance de lumières qui éclaireraient les plus obstinés. Mais d’abord, sont-ce les lumières qui manquent? Et, d’un autre côté, le soleil fût-il vingt fois plus brillant, celui qui se met un bandeau devant les yeux y verra-t-il plus clair? D’autre part, en relisant ces jours derniers l’Evangile, j’ai remarqué que Jésus-Christ ne parle pas une seule fois de science. Il remercie son père d’avoir caché les mystères aux savants et de les avoir révélés aux petits. Il donne pour dernière, pour suprême preuve de sa mission, la prédication de l’Evangile faite aux pauvres, pauperes evanqelizantur(3). Les premières paroles de cette prédication si nouvelle pour le monde sont celles-ci: Beati pauperes spiritu(4). Lorsque les pharisiens lui reprochent de fréquenter les publicains, eux qui étaient les plus ignorants dans la religion, il répond, avec cette terrible ironie qui glace le sang dans les veines de quiconque a senti les bouffées de l’orgueil: Non veni vocare justos sed peccatores(5), allusion amère aux pharisiens, qui croyaient être justes, parce qu’ils croyaient posséder la règle de la justice, la science de la loi. En tous ces discours, je ne vois rien qui ait rapport à la science; tout, au contraire, y contribue à l’humilier. Saint Paul dit une seule fois, si je ne me trompe: Sapientiam Dei loquimur inter perfectos(6): ce texte nous annonce sans doute une plus grande manifestation de la sagesse divine, mais pour les parfaits. Ce n’est pas le fait du siècle présent.

Cependant, et je ne sais si je vous ai jamais soumis cette idée, Dieu, qui a voulu que la religion fût démontrée par toutes les preuves et épreuves, qui l’a fait triompher des bourreaux de Dioclétien et des ordonnances de Joseph II, qui l’a fait grandir au milieu de l’ignorance, ne la fera-t-il pas triompher aux yeux des savants, en permettant que ses dogmes soient preuves par des démonstrations palpables, même pour les plus obstinés, ita ut sint inexcusabiles?(7) Mais cette preuve de la science sera-t-elle générale, sociale, si je puis parler ainsi? Je ne le pense pas, ou du moins j’ai dans ce moment de grands doutes là-dessus.

Remarquez que la science par sa nature n’est pas à la portée de tous, qu’elle n’est même pas à la portée du petit nombre; que si vous voulez la faire descendre dans les masses, il faut y légitimer le droit de discussion, car la science sans ce droit n’est rien. Mais alors, vous voilà dans le protestantisme. Vous n’êtes plus qu’un philosophe qui venez proposer des utopies; vous n’êtes plus un prêtre parlant sicut potestatem habens(8). Or, je ne puis trop regretter que ce caractère du sacerdoce chrétien se perde dans bien des chaires. Les orateurs qui s’en dépouillent ne s’aperçoivent pas que la conséquence naturelle est qu’ils ressemblent aux scribes et aux pharisiens. Ceci soit dit sans offenser personne.

Je ne vois, ce me semble, que deux remèdes à ce mal. Le premier est celui que vous-même m’indiquez dans votre lettre: l’humilité. Le prêtre doit avant tout oublier que c’est l’homme qui parle. Si, dans l’éloquence païenne, Démosthène s’éleva à un si haut degré, ce fut, selon la remarque de Fénelon, parce qu’il faisait oublier à ses auditeurs qu’il parlait, et la manière dont il parlait, pour ne les occuper que du fond même du sujet. Ce qui donna à Démosthène un si grand avantage, c’est qu’il comprit que les opinions sont des hommes en particulier, mais que la vérité étant de tous les hommes, il faut la leur présenter sans rien qui puisse faire soupçonner une propriété personnelle. Voilà où doit tendre celui qui aspire à défendre la vérité. Il doit avant tout ne pas lui donner ce masque d’individualité qu’elle revêt si souvent. On se persuade qu’elle a besoin d’ornements et nous l’ornons. Ces ornements sont nécessairement beaux, parce qu’ils sont notre ouvrage, et nous ne savons pas que sa sublime nudité est ce qui est le plus fait pour captiver le respect des hommes. Nous la trouvons muette, nous voulons la faire parler et nous lui prêtons des discours essentiellement sublimes: ce sont les enfantements de notre cervelle, et nous ne pensons pas que ce canorum quoddam et facundum silentium, que saint Augustin admire tant en elle, est, selon son observation, ce qui devrait le plus séduire les oreilles des hommes. Il résulte de là que la parole de Dieu, dans la bouche de ses ministres, n’est plus qu’une parole humaine. Faut-il s’étonner qu’elle en ait le vide retentissement?

Mais il me semble que si, en prenant la plume pour m’écrire, vous vous laissez entraîner par elle, je ne laisse pas mal divaguer la mienne et que, si je vais de ce train-là, je ne suis pas près d’avoir fini. Je vous laisse donc faire vous-même l’énumération de tous les points sur lesquels il faut aujourd’hui faire l’application de l’humilité. Je me hâte de vous soumettre quelques observations sur ce que je crois être le second remède aux maux présents.

Peu de choses m’ont autant frappé, en considérant l’état des erreurs, que le mépris, j’ose à peine le dire, où était tombée la personne de Jésus-Christ, soit que vous le considériez comme pain eucharistique, soit que vous le considériez comme Fils de Dieu ou comme participant à notre nature. Jamais, je crois, il n’a subi plus d’outrages de tous les genres; et si ces outrages diminuent, c’est par fatigue, par lassitude; c’est comme on se fatigue de cracher au visage des gens. Cependant, il est écrit: Sede a dextris meis, donec ponam(9), etc. Il est écrit encore: Postula a me et dabo tibi haereditatem gentium…(10)

Notes et post-scriptum
1. D'après le brouillon inachevé. Voir des extraits dans *Notes et Documents*, t. Ier, p. 539-541.1. D'après le brouillon inachevé. Voir des extraits dans *Notes et Documents*, t. Ier, p. 539-541.
2. Allusion au brouillon de lettre du 28 juillet, que nous avons reproduit.
10. La suite manque. Le texte emprunté au psaume II, 8, est cité de mémoire.3. *Matth.* XI, 5, et *Luc*. VII, 22.
4. *Luc.* VI, 20.
5. *Matth.* IX, 13, et *Marc.* II, 17.
6. *I Cor.* II, 6.
7. *Rom.* I, 20.
8. *Matth.* VII, 29.
9. *Ps.* CIX, 1.
10. La suite manque. Le texte emprunté au psaume II, 8, est cité de mémoire.