Vailhé, LETTRES, vol.1, p.634

aug 1834 [Rome, INCONNUS
Informations générales
  • V1-634
  • 0+199|CXCIX
  • Vailhé, LETTRES, vol.1, p.634
Informations détaillées
  • 1 ATHEISME
    1 AUTORITE DE L'EGLISE
    1 CARDINAL
    1 CHAIRE
    1 CHOIX
    1 CHRISTIANISME
    1 CONNAISSANCE DE DIEU
    1 DOCTRINE CATHOLIQUE
    1 DOGME
    1 DOUCEUR
    1 EGLISE
    1 ENCYCLIQUE
    1 ENSEIGNEMENT DE LA PHILOSOPHIE
    1 ERREUR
    1 ESPECE HUMAINE
    1 ETRE HUMAIN
    1 FAUSSES DOCTRINES
    1 FOI
    1 ITALIENS
    1 JUIFS
    1 LIVRES
    1 MORALE
    1 PAGANISME
    1 PAPE
    1 PENSEE
    1 PHILOSOPHIE MODERNE
    1 PUBLICATIONS
    1 REVELATION
    1 SCEPTICISME
    1 SEMINAIRES
    1 SOUMISSION DE L'ESPRIT
    1 SYMBOLES DE LA FOI
    1 THEOLOGIE DE SAINT THOMAS D'AQUIN
    1 THEOLOGIENS
    1 THOMAS D'AQUIN
    1 VANITE
    1 VERITE
    2 FENELON
    2 GREGOIRE XVI
    2 LAMENNAIS, FELICITE DE
    2 LEON XII
    2 PIE VIII
    2 PIERRE, SAINT
    3 FRANCE
    3 ROME
  • A UN AMI (1).
  • INCONNUS
  • ? août 1834.]
  • aug 1834
  • [Rome,
La lettre

Le Pape venant de frapper d’un blâme un système de philosophie, que certaines personnes avaient jusqu’à présent cru favorable à la religion, il importe de savoir en quoi consiste ce blâme, quel système il atteint, et dans quel sens il faut le prendre. En commençant par déclarer que, s’il ne saisit pas le sens des paroles du Saint-Père il est prêt à se soumettre, celui qui fait ces observations croit pouvoir en toute sécurité procéder à l’examen des paroles de l’encyclique, non pour les juger, mais pour les comprendre.

Et d’abord, citons ces paroles: Caeterum lugendum valde est quonam prolabantur humanae rationis deliramenta, ubi quis novis rebus studeat, atque, contra Apostoli monitum, nitatur plus sapere quam oporteat sapere, sibique nimium praefidens veritatem quaerendam autumet(2) extra catholicam ecclesiam, in qua absque vel levissimo erroris coeno ipsa invenitur, quaeque idcirco columna ac firmamentum veritatis appellatur, et est. Probe autem intelligitis, venerabiles fratres, nos hic loqui etiam de fallaci illo haud ita pridem invecto philosophiae systemate plane improbando, quo ex projecta et effrenata novitatum cupiditate veritas, ubi certo consistit, non quaeritur, sanctisque, et Apostolicis traditionibus posthabitis, doctrinae aliae inanes, futiles incertaeque, nec ab Ecclesiae probatae adsciscuntur, quibus veritatem ipsam fulciri, ac sustineri vanissimi homines perperam arbitrantur.

Examinons d’abord à quel système s’appliquent ces paroles, et, en reconnaissant qu’elles s’appliquent au système de M. de la M[ennais], dans quel sens il faut les lui appliquer.

Premièrement, je dois avouer que si avant ce paragraphe il ne s’était pas agi de l’auteur de l’Essai sur l’indifférence, il m’aurait été impossible de le reconnaître aux qualifications vagues qu’on lui applique. Quelle partie de ce blâme lui convient-elle? Sont-ce ces paroles: Ubi quis novis rebus studeat? Lui, au contraire, s’efforce de repousser tout système nouveau. Sont-ce celles-ci: Sibique, nimium praefidens veritatem quaerendam autumet extra catholicam ecclesiam? Mais je croyais que le but de l’auteur était de ramener au christianisme. Sont-ce celles-ci: Ex projecta et effrenata novitatum cupiditate veritas, ubi certo consistit, non quaeritur? Il est étonnant qu’on fasse ce reproche à celui qui n’a composé son livre que pour défendre la religion. Est-ce la qualification de « doctrines futiles, incertaines, vaines, nec ab Ecclesia approbatae? » Si les doctrines n’étaient pas approuvées, l’auteur l’était, car Léon XII, dans un Bref adressé à l’imprimeur de la traduction italienne de l’Essai, disait en parlant de M. de la M[ennais] et d’un autre apologiste de la religion: Quorum nomen summa laus est. Le même Léon XII lui offrait le chapeau rouge, que l’auteur refusait parce qu’il croyait de son devoir de demeurer en France(3). Pie VIII, à peine arrivé sur la chaire de Saint-Pierre, lui adressait le Bref le plus flatteur. Que l’abbé de la M[ennais] ait tiré vanité [de] pareils témoignages, c’est possible; mais c’était autant la faute des papes que la sienne.

Plus j’y réfléchis, plus il me semble que ce blâme s’applique à tous les systèmes de philosophie possibles, car tout système de philosophie étant une conception humaine est nécessairement une nouveauté; que tout système philosophique cherchant à prouver la vérité par d’autres preuves que des preuves tirées de l’autorité de l’Eglise, on cherche la vérité en dehors de l’Eglise catholique; que ce blâme, si on veut l’appliquer à un système de philosophie quelconque, s’applique à la philosophie tout entière, au sensualisme comme à l’aristotélisme, au cartésianisme comme au bautainianisme. Car, quel est le système qui, s’efforçant de prouver la vérité autrement que par des preuves théologiques, ne sera-pas accusé d’un désir effréné de nouveautés? Dans ce cas, il est vrai, on demandera à quoi bon faire perdre tant de temps dans les Séminaires à faire des cours de philosophie; mais ce n’est pas nous qui ferons la réponse.

Je dis, de plus, que, quand tous les systèmes philosophiques seraient blâmés par l’encyclique, le seul système du sens commun ne le serait pas, étant le seul qui fasse profession de ne rien enseigner de nouveau, mais seulement ce qui a été cru semper, ubique et ab omnibus. C’est donc le seul à l’abri du blâme d’un désir effréné de nouveautés, en sorte que l’encyclique, qui semble le condamner, le fortifie. Il faut cependant reconnaître que l’intention du Pape a été de blâmer ce système. Cherchons donc ce que dit M. de la M[ennais] qui soit blâmable, car l’encyclique nous dit qu’il y a quelque chose [digne] de blâme, sans dire quoi. Et cependant, le vague de la censure indique qu’il n’y a pas grand’chose à en dire, tandis que l’intention manifeste du Pape de ne pas ménager l’auteur fait penser que s’il y avait eu quelque chose à dire de plus fort, on l’aurait dit.

Je dis que l’intention bien manifeste du Pape était de ne pas ménager l’auteur. En effet, le Pape pouvait savoir que, depuis assez longtemps, l’auteur avouait être allé trop loin sur certaines parties de son système, qu’il se proposait de les réformer et de donner des explications dans un prochain ouvrage. En de pareilles circonstances, on agit ordinairement avec douceur envers les auteurs qui reviennent d’eux-mêmes. On n’a pas agi ainsi envers l’abbé de la Mennais, pour des raisons que je ne juge pas; mais toujours est-il qu’on ne l’a pas ménagé. La rapidité avec laquelle a été rédigée l’encyclique prouve qu’on était pressé d’en finir. On a mis moins de mois à examiner ce livre qu’on ne mit d’années à examiner celui de Fénelon(4). Cependant, il y a quelque différence pour l’importance du sujet. Ceci n’te rien à la force de la décision, mais il est bon d’avoir ces faits présents à l’esprit, pour juger de la portée des paroles de la sentence.

Je dis, de plus, que le blâme est bien faible, puisqu’il s’applique à tout système de philosophie quelconque, et que, dans la rigueur des termes, le système du sens commun est le dernier qui se présente à la pensée.

Examinons donc par ordre les propositions du système du sens commun, nous verrons ainsi ce qu’elles contiennent de blâmable.

A-t-on voulu blâmer le discrédit jeté sur la raison humaine, qu’on déclare faillible, quoique susceptible d’acquérir la vérité? Je ne le pense pas, car alors il faudrait blâmer ces paroles de saint Thomas, qui se trouvent dans la première question de sa Somme théologique: Ad ea.. quae de Deo ratione humana investigari possunt necessarium fuit hominem instrui revelatione divina, quia veritas de Deo per rationem investigata a paucis et per longum tempus et cum admixtione multorum errorum homini proveniret. M. de la M[ennais] n’a rien dit de plus fort contre les prétentions de la raison.

Est-ce cette proposition que l’humilité, fondement de la morale, l’est aussi de toute saine philosophie, t. II, ch. XIII?

Est-ce cette proposition que ce que tous les hommes reconnaissent être vrai est vrai? Mais si on la condamne il faut effacer cette preuve de l’existence de Dieu tirée du témoignage universel; car s’il est possible que tout le genre humain croie une erreur, la preuve ne signifie plus rien, l’existence de Dieu pouvant très bien être cette erreur.

Est-ce la proposition qu’on arrive, logiquement parlant, à la connaissance de Dieu, avant de connaître l’Eglise? Mais c’est la marche de tous les théologiens qui, supposant qu’ils combattent un sceptique, le forcent à croire à l’être, ensuite à Dieu, ensuite à une révélation, ensuite à l’Eglise. Dans la doctrine du sens commun on connaît Dieu avant de connaître l’Eglise, qui plus tard confirme sans doute par une foi divine la croyance au dogme; mais ce n’est pas de la foi divine qu’il s’agit ici.

Examinons l’acte [de] foi: « Mon Dieu, je crois ce qu’enseigne l’Eglise, parce que c’est vous qui le lui avez révélé. » Cet acte même suppose la foi à Dieu, avant la foi à l’Eglise, car on ne croit à l’Eglise que parce que Dieu a révélé à son Eglise. Donc ou la croyance à Dieu est antérieure, logiquement parlant, à la croyance à l’Eglise; ou, si c’est l’Eglise qui enseigne la croyance en Dieu, c’est par des preuves qui ne reposent que sur son autorité, l’autorité de l’Eglise n’étant rien pour celui qui ne croit pas en Dieu. La puissance de l’Eglise se prouve, au contraire, en établissant que Dieu lui a parlé et l’a chargée d’enseigner. Les discours des Actes des apôtres soit aux Juifs, soit aux païens, ne sont pas dans un autre sens. Donc il faut, avec des gens qui nient Dieu, se fonder sur d’autres preuves que l’autorité de l’Eglise…(5)

Notes et post-scriptum
1. Nous ignorons à qui fut envoyée cette le lettre dont nous ne possédons plus qu'un brouillon, sans adresse ni date quelconque. Il est même possible que ce ne soit point une véritable lettre, mais une ébauche du système de La Mennais et une interprétation philosophico-dogmatique de l'Encyclique, qui devaient guider l'abbé d'Alzon dans les réponses qu'il fit à cette époque à sa famille et à ses amis. C'est pour ce motif que ce texte est imprimé en caractères ordinaires et non comme les autres brouillons.
2. C'est le mot que porte le texte original et qu'écrit l'abbé d'Alzon, au lieu de *autumetur* qu'il aurait fallu et qu'on transcrit d'ordinaire.
3. On se demande encore de nos jours si réellement le pape Léon XII a offert le chapeau de cardinal à La Mennais.
4. Il convient de noter qu'il y a deux parties dans l'encyclique *Singulari vos*, ce qui concerne le livre des *Paroles d'un Croyant* et la conduite de La Mennais, d'une part, ce qui concerne le nouveau système philosophique, d'autre part. La philosophie du sens commun, telle que l'entendait La Mennais, avait été étudiée à Rome, depuis au moins l'année 1831. Si jusqu'en juin 1834 on n'en avait rien blâmé officiellement, c'était sans doute pour ménager son auteur; si on le fit dans cette seconde Encyclique, alors que le sujet ne semblait guère le comporter, c'est que tout ménagement paraissait désormais inutile et qu'on voulut ainsi donner quelque satisfaction à tous ceux, amis et ennemis de l'abbé Féli, qui avaient critiqué publiquement les exagérations de son système.
5. La fin manque.