Vailhé, LETTRES, vol.1, p.639

16 aug 1834 Rome, ALZON_VICOMTE
Informations générales
  • V1-639
  • 0+200|CC
  • Vailhé, LETTRES, vol.1, p.639
Informations détaillées
  • 1 CORPS
    1 DIEU
    1 DIVINITE DE JESUS-CHRIST
    1 DOGME
    1 EGLISE
    1 ENCYCLIQUE
    1 ENSEIGNEMENT
    1 ERREUR
    1 ETRE HUMAIN
    1 HUMILITE
    1 INCARNATION DE JESUS-CHRIST
    1 LIBERTE
    1 MORALE
    1 MORT
    1 PAPE
    1 PENSEE
    1 PHILOSOPHIE MODERNE
    1 REVELATION
    1 SAGESSE DE DIEU
    1 SALUT DU GENRE HUMAIN
    1 SAUVEUR
    1 SOUMISSION DE L'ESPRIT
    1 THEOLOGIENS
    1 TRADITION
    1 VERITE
    1 VERTU D'OBEISSANCE
    2 GREGOIRE XVI
    2 LAMENNAIS, FELICITE DE
  • A SON PERE (1).
  • ALZON_VICOMTE
  • le 16 août 1834.
  • 16 aug 1834
  • Rome,
La lettre

L’encyclique ayant frappé, mon cher petit père, un système que je tiens pour ainsi dire de vous et qui m’était venu par conséquent par tradition, je crois qu’il sera utile, au moins pour moi, que nous examinions ensemble ce que le blâme du Pape atteint dans ce système et ce qu’il laisse à la liberté de chacun. Et d’abord, il me paraît bon de rappeler les paroles de Grégoire XVI.

Coeterum valde lugendum est, quoniam prolabantur humanae rationis deliramenta, ubi quis novis rebus studeat, atque, contra Apostoli monitum, « plus sapere quam oporteat sapere », sibique nimium praefidens veritatem quaerendam autumet (barbarisme, il faut « autumetur » extra catholicam Ecclesiam, in qua absque vel levissimo erroris coeno ipsa invenitur, quaeque idcirco « columna ac firmamentum veritatis » appellatur, et est. Probe autem intelligitis, venerabiles fratres, Nos hic loqui etiam de fallaci illo haud ita pridem invecto philosophiae systemate plane improbando, quo ex projecta et effrenata novitatum cupiditate veritas, ubi certo consistit, non quaeritur, sanctisque et Apostolicis traditionibus posthabitis, doctrinae aliae inanes, futiles incertaeque, nec ab Ecclesia probatae adsciscuntur, quibus veritatem ipsam fulciri ac sustineri vanissimi homines perperam arbitrantur.

D’abord, je dois vous faire observer que plusieurs théologiens des plus distingués pensent que ceci n’est que l’opinion personnelle. du Pape, d’autres que le système de M. de la M[ennais] n’étant pas désigné, on peut appliquer ce blâme aux systèmes de philosophie qui paraissent tous les jours. Mais, quoi qu’il en soit, comme je sais que l’intention du pape était de frapper M. de la M[ennais], je crois plus prudent de me soumettre. Seulement, je veux savoir en quoi je dois me soumettre, pour ne pas aller faire un acte d’obéissance en pure perte.

J’avoue que les premières paroles me paraissent ne guère s’appliquer à M. de la M[ennais]: humanae rationis deliramenta. N’est-ce pas M. de la M[ennais] qui a le plus crié contre les excès de la raison? Si donc il a péché de ce côté-là, on aurait pu penser que c’était par excès de précaution.

Ubi quis novis rebus studeat. Le système du sens commun n’a-t-il pas pour but d’empêcher toutes les nouveautés? N’est-ce pas lui qui a dit que l’humilité, fondement de la morale, l’était aussi de la vraie philosophie?

Veritatem quaerendam autumetur extra catholicam Ecclesiam. Voilà, je crois, où il faut s’arrêter. M. de la M[ennais] n’a pas assez fait attention à ce fait, et sous ce rapport il me semble qu’il y a, en effet, beaucoup à corriger dans son système. Mais voyons où se trouve l’erreur. M. de la M[ennais] dit: « Cela est vrai que tous les hommes déclarent vrai. Or, la généralité des hommes croit l’ensemble des dogmes religieux. Donc les dogmes religieux sont vrais. » C’est ce raisonnement que frappe l’encyclique. Car, pour que les dogmes de la religion soient vrais, il n’est pas nécessaire que l’ensemble des hommes les reconnaissent comme tels.

L’erreur de M. de la M[ennais] est d’avoir confondu les vérités de sens commun [avec] les vérités de tradition. Les vérités de sens commun sont celles que tout homme doué du libre exercice de sa raison croit naturellement: ainsi l’existence de Dieu, ainsi l’existence des corps. Les vérités de tradition sont des vérités de fait, qui, pour être obligatoires, n’ont besoin que de reposer sur un genre de preuves reconnu par le sens commun.

C’est une vérité de sens commun que Dieu subsiste. Tous les hommes le reconnaissent. Donc Dieu est. C’est une vérité de fait que Jésus-Christ s’est incarné. Nous ne le savons que par la tradition appuyée sur des preuves que le sens commun reconnaît être vraies, quoiqu’il ne soit pas nécessaire qu’il les ait vérifiées. Le sens commun dit: la résurrection d’un mort est un fait au-dessus de la puissance humaine. Il dit, de plus: il faut croire à un fait attesté par un certain nombre de témoins désintéressés. Il dit encore: un fait surnaturel, opéré pour prouver une vérité manifestée par une intelligence supérieure, est une preuve suffisante de cette vérité. L’Eglise vient et dit: Jésus-Christ est Dieu et a sauvé le monde, car pour preuve de sa mission il a opéré des faits surnaturels, attestés par un nombre suffisant de témoins.

Cette manière de procéder n’te rien, je crois, à l’Eglise, mais montre en quoi consiste le sens commun et en quoi consistent les vérités de tradition.

Mais l’idée de l’Eglise suppose nécessairement une vérité antérieure, l’existence de Dieu, qui a établi son Eglise et qui parle par ses ministres. Or, tous les théologiens sans exception déclarent que l’existence de Dieu est une vérité antérieure à ce qu’on appelle proprement la Révélation. Donc, l’existence de Dieu n’est pas enseignée, mais supposée par l’Eglise, et la preuve la plus forte de cette existence étant le témoignage de tous les hommes, il faut dire que le sens commun [doit] précéder l’enseignement de l’Eglise, pour nous, aider à parvenir à l’idée de Dieu. Et la meilleure preuve que cela est ainsi, c’est que les théologiens reconnaissent qu’un homme peut-être sauvé, s’il ne connaît pas l’Eglise, pourvu qu’il suive la raison naturelle, c’est-à-dire les vérités de sens commun(2).

Notes et post-scriptum
1. Voir des extraits dans *Notes et Documents*, t. Ier, p. 455.2.Cette lettre, qui semble inachevée, fut envoyée en même temps que la suivante, adressée à Mlle Augustine.