Vailhé, LETTRES, vol.1, p.659

24 aug 1834 Rome, FABRE_ABBE
Informations générales
  • V1-659
  • 0+204|CCIV
  • Vailhé, LETTRES, vol.1, p.659
Informations détaillées
  • 1 AUTORITE DE L'EGLISE
    1 BREVIAIRE
    1 CARDINAL
    1 CATHOLIQUE
    1 CHRISTIANISME
    1 CLERGE
    1 CONCORDATS
    1 DIPLOMATIE
    1 EGLISE
    1 ENCYCLIQUE
    1 EPISCOPAT
    1 ERREUR
    1 ESCLAVAGE
    1 ESPERANCE
    1 ETAT
    1 ETATS PONTIFICAUX
    1 EVECHES
    1 FLATTERIE
    1 FOI
    1 GOUVERNEMENT
    1 HUMILITE
    1 LACHETE
    1 LIBERALISME
    1 LIBERAUX
    1 LIBERTE
    1 LIVRES
    1 MONARCHIE
    1 PAPE
    1 PARTI
    1 PAYS
    1 PERES DE L'EGLISE
    1 PEUPLE
    1 PHILOSOPHIE MODERNE
    1 POLITIQUE
    1 PRESSE
    1 PROTESTANTISME ADVERSAIRE
    1 PRUDENCE
    1 PURIFICATION
    1 RECONNAISSANCE
    1 REPOS
    1 REPUBLIQUE
    1 REVELATION
    1 REVOLTE
    1 REVOLUTION
    1 SCEPTICISME
    1 SOUFFRANCE
    1 SOUMISSION DE L'ESPRIT
    1 THEOLOGIE
    1 THEOLOGIENS
    1 THOMAS D'AQUIN
    1 TRAITEMENTS
    1 USURPATIONS
    1 VANITE
    1 VERITE
    2 ARISTOTE
    2 BACON, ROGER
    2 BAUTAIN, LOUIS
    2 CASTELREAGH, LORD
    2 DESCARTES, RENE
    2 DI GREGORIO, EMMANUELE
    2 FERDINAND II DES DEUX-SICILES
    2 FRANCOIS I, EMPEREUR D'AUTRICHE
    2 GREGOIRE XVI
    2 LAMARTINE
    2 LAMENNAIS, FELICITE DE
    2 LEON XII
    2 LOUIS XVIII
    2 MONTALEMBERT, CHARLES DE
    2 PAUL, SAINT
    2 PIE VII
    2 PIE VIII
    2 VERNIERES, JACQUES
    3 ANGLETERRE
    3 AUTRICHE
    3 BELGIQUE
    3 BOLOGNE
    3 ETATS-UNIS
    3 EUROPE
    3 FERRARE
    3 FRANCE
    3 IRLANDE
    3 LEGATIONS ITALIENNES
    3 NAPLES
    3 ROME
    3 VIENNE, AUTRICHE
  • A MONSIEUR L'ABBE FABRE (1).
  • FABRE_ABBE
  • le 24 août 1834.
  • 24 aug 1834
  • Rome,
La lettre

Mon cher Monsieur Fabre,

Je vous remercie de tous les détails que vous voulez bien me donner dans votre lettre du 23 juillet. La manière dont les anciens amis de M. de la M[ennais] agissent prouve qu’ils sont catholiques avant tout. Il est bien vrai que le pauvre abbé avait dans son livre des propositions qu’on ne pouvait en conscience soutenir, mais il est vrai aussi qu’on l’a traité sans ménagement. Je n’ai rien à dire sur la condamnation de la partie politique, sinon que l’on va, par esprit de parti, donner un sens aux paroles de l’encyclique aussi opposé à l’esprit de la vérité que le sont les exagérations de M. de la M[ennais]. C’est un grand mal de ne pas savoir se préserver des deux extrêmes, et, dans cette circonstance plus que dans une autre, vous avez vu avec quel mépris les journaux libéraux ont traité l’encyclique. Certes, eux qui veulent faire les choses sans bruit doivent avoir été contents; mais ce silence absolu n’indique-t-il pas un déplorable affaiblissement de l’esprit religieux et de l’influence que l’Eglise exerçait autrefois sur ceux mêmes qui se séparaient d’elle?

Les idées libérales n’en continueront pas moins leur cours, et le fleuve inondera de ses eaux la France, l’Europe entière, sans que rien puisse l’arrêter désormais. Qu’en de pareilles circonstances le clergé donne aux paroles de l’encyclique un sens qu’elles n’ont pas, et la religion est perdue en France. La séparation entre les idées régnantes et les idées religieuses s’opérant de plus en plus, la foi devra se retirer, étouffée sous les enveloppes politiques dont on la masque pour en faire un objet d’horreur. Je crois qu’il est du devoir de tout homme, qui veut réellement la religion avant tout, de considérer l’encyclique comme une règle qui fixe ce qui est condamné dans M. de la M[ennais] et qui, dès lors, laisse la liberté sur tout le reste.

La preuve de ce que j’avance est que le Pape ne fait pas difficulté d’avouer que les pays où la religion prospère le plus sont la Belgique, les Etats-unis et l’Irlande. Or, ces pays sont ceux où la liberté de la presse est un principe, où tout le monde s’associe envers et contre le gouvernement, où, en un mot, tout se fait selon les idées de M. de la M[ennais]. Cependant, le Pape est content de ces Etats et s’aperçoit que la religion y gagne tous les jours. Le cardinal de Gregorio(2), un grand adversaire de M. de la Mennais, avoue la même chose. Donc, il est un sens dans lequel on peut vouloir la liberté dans le gouvernement, sans être contraire à l’encyclique, où bien le Pape serait en contradiction avec lui-même.

Je vais vous citer un fait très important et qui prouvera que, quelquefois, il faut avoir de la fermeté pour sauver l’Eglise. Vous saurez d’abord, qu’au Congrès de Vienne, l’Autriche demanda pour fille les Légations italiennes(3). Les Puissances consentaient à cette usurpation, l’ambassadeur d’Angleterre fut le seul qui s’y opposa. Le Pape, pour montrer à ce gouvernement protestant sa reconnaissance de l’avoir préservé des prétentions de Sa Majesté Apostolique et des concessions de Sa Majesté très Chrétienne, était sur le point de passer un concordat qui eût été des plus funestes à la religion. Il ne s’agissait de rien moins que de faire donner un traitement par l’Etat au clergé d’Irlande, sous la condition que le roi d’Angleterre aurait la présentation aux sièges épiscopaux. Les évêques d’Irlande, qui sentaient quel coup un pareil acte porterait à leur influence sur le peuple, préférèrent cette influence à un riche traitement et expédièrent à Rome un évêque, qui déclara tout net au Pape que, s’il passait ce concordat, les évêques irlandais ne s’y soumettraient pas, que ce concordat amènerait inévitablement le dépérissement de la religion, et que jamais l’épiscopat irlandais ne consentirait à une mesure qui tuerait la foi du troupeau. Le Pape, qui avait bonne envie de complaire à l’Angleterre, négocia; les évêques tinrent ferme. Le concordat ne fut pas signé et le clergé, libre de toute entrave, voit s’avancer tous les jours un avenir magnifique à son Eglise si héroïque.

Quand l’encyclique de 1832 parut(4), ces évêques se soumirent entièrement, sans continuer pas moins pour cela de demander la liberté de s’associer, malgré le gouvernement. « L’encyclique ne nous regarde pas », disaient-ils. Elle les regardait autant que M. de la M[ennais]. Mon intime conviction est que la position la plus belle est celle de M. de la M[ennais]. On ne le pressera point de se soumettre, j’en ai la certitude. Il ne parlera pas de quelque temps; mais que, d’ici à un an ou deux, trois ans au plus, la révolution, comme il est inévitable, éclate dans ce pays; que le Pape soit chassé de ses Etats par la République, ou par le roi de Naples, ou bien qu’il y soit fait esclave par l’empereur d’Autriche, l’Eglise n’en sera pas moins exposée à un danger, auquel personne ne songe en ce moment. Mais, dans une pareille circonstance, la voix de l’abbé de la M[ennais] aura une puissance terrible. C’est la justification qu’il attend. Je crains bien qu’elle ne lui manquera pas.

Remarquez une chose, c’est qu’il y a des propositions de son système condamnées, mais son système ne l’est pas, ne peut pas l’être, ne le sera jamais. Et la preuve que son système et les Paroles d’un croyant sont deux, c’est que Montalembert qui connaît, je pense, le système, est très affligé de la publication des Paroles. Quant au système philosophique, j’avoue que je n’y comprends rien. A quoi peut-on reconnaître que c’est du système philosophique de M. de la Mennais qu’il est parlé? Est-ce à ce désir effréné de nouveautés qu’on lui attribue? Mais la nouveauté n’est-elle pas le propre de tout système philosophique? Ne peut-on pas accuser de nouveauté le système d’Aristote comme celui de Bacon, le système de Descartes comme celui de Bautain? Tout système est nouveau, dès qu’il est le fait d’une conception humaine. Ce n’est donc pas un système que le Pape blâme, c’est la philosophie tout entière qui toujours est nouvelle. Il y a plus. La philosophie du sens commun, si on la sépare de celui qui l’a défendue en ces derniers temps, est la seule qui résiste au blâme du Pape, car c’est la seule chose qui ne soit pas nouvelle. Depuis Aristote, qui a dit: Illud probabile est quod creditur ab omnibus, a plurimis, a sapientibus, ab optimis -et par probabile, il faut entendre verum, comme il résulte de l’ensemble de la doctrine de l’auteur,- depuis donc Aristote jusqu’à saint Paul, qui dit: Cum cognovissent Deum, non sicut Deum glorificaverunt(5) et qui accuse les hommes, non d’ignorance envers Dieu, mais de rébellion, tous les philosophes (les sceptiques exceptés) ont reconnu, quelque usage qu’il s’en aient fait ensuite, que cela est vrai qui est reconnu de tous; que, pour trouver la vérité, il faut chercher ce qui n’est pas nouveau. Or, dites-moi, je vous prie, qu’est-ce qui n’est pas nouveau, sinon ce qui a été toujours cru?

Faut-il voir le blâme spécial dans l’épithète de vanissimi homines? Convenons que l’épithète tombe juste sur M. de la M[ennais] et ne tombe que sur lui; mais convenons aussi que c’est un peu la faute des prédécesseurs de Grégoire XVI, si M. de la M[ennais] est un homme vaniteux, et très vaniteux: de Pie VII, par exemple, qui le dispensait du bréviaire(6); de Léon XII, qui dans un bref, en parlant de lui et d’une autre personne, disait: quorum nomen summa laus est, qui plaçait son portrait dans sou cabinet d’audience et allait jusqu’à dire: « Je regarde l’abbé de la M[ennais] comme un Père de l’Eglise et ses ouvrages comme inspirés. » C’est aussi la faute de Pie VIII, qui, des les premiers mois de son pontificat, lui fit écrire un bref plein d’expressions flatteuses. Croyez-moi, il faut parler avec modération de ce blâme, sous peine de mettre les Papes en opposition entre eux, ce qui serait un grand mal.

Enfin, trouverait-on le blâme spécial de M. de la Mennais dans la prétention de ne pas chercher la vérité là où elle est, ubi certo consistit non quaeritur. L’Essai ne m’a jamais paru qu’une préface de la théologie. Or, dans les prolégomènes de théologie, on est obligé de prouver certaines vérités sans l’autorité de l’Eglise. L’existence de Dieu ne s’est jamais prouvée, que je sache, par l’autorité de l’Eglise; la révélation non plus. La révélation et l’existence de Dieu se prouvent par des motifs de crédibilité puisés dans la raison humaine, et plus ces motifs sont pris dans la raison générale, plus ils sont forts. Si vous prétendez nier que cela est vrai qui a été cru par tous, partout et toujours, en d’autres termes, que cela est vrai qui n’est nié par personne, il m’est impossible de raisonner avec vous. Que si le Pape a voulu détruire cette maxime, il faut la rayer de tous les apologistes et de tous les théologiens qui prouvent l’existence de Dieu par le consentement universel, et vous savez que le nombre en est grand.

Le Pape ne peut pas blâmer ce que l’abbé de la M[ennais] a dit de la faiblesse de la raison; car il faudrait qu’il blâme saint Thomas lui-même, lorsqu’il dit: Veritas de Deo per rationem investigata a paucis et per longum tempus et cum admixtione multorum errorum homini proveniret ou provenit. Que faut-il conclure de là? C’est que le Pape trouve le système de M. de la M[ennais] blâmable, sans nous dire en quoi. Mais comme nous trouvons dans ce système des vérités admises par tous les théologiens, il ne faut pas le condamner en masse; mais comme, de plus, le Pape n’a pas cru devoir dire ce qui lui déplaisait, il faut, en toute sincérité, chercher dans ce système ce qu’il a de plus nouveau, afin de le conserver dans son antiquité primitive. L’auteur de l’Essai avait compris la chose lui-même et depuis longtemps il déclarait que, dans son prochain ouvrage, il donnerait des explications. Ordinairement, lorsque les auteurs sont disposés à se faire comprendre, on a des ménagements à leur égard. On n’a pas cru devoir agir ainsi envers M. de la M[ennais] pour des raisons que je ne juge pas; mais tout ce que je puis dire, c’est que, du moment qu’on aura trouvé la nouveauté que renferme le système du sens commun et qu’on l’aura exclue, on peut être parfaitement en repos. De toutes les erreurs, la plus grande qu’il ait pu commettre à mes yeux, c’est d’avoir cru que les Jésuites n’étaient pas aussi nécessaires à la religion que la religion est nécessaire aux hommes.

Il est inutile de vous recommander la prudence. Je vous prie de lire cette lettre à M. Vernière. Mais je bavarde furieusement. Que de choses, cependant, j’aurais à vous dire! Ecrivez-moi promptement si vous voulez les savoir. Que si vous désirez connaître le résultat que ces événements ont eu pour moi personnellement, c’est de me faire beaucoup souffrir, mais d’épurer ma foi, de la faire de plus en plus reposer en Dieu, de ne vouloir que le bien de son Eglise. Oh! que tout est petit, faible, illusoire, hors de là! Priez Dieu, je vous en conjure, pour que je tire de tout ce qui se passe sous mes yeux des leçons d’humilité et d’espérance. On a quelquefois beaucoup de peine à tenir son âme à deux mains; on est aussi quelquefois bien abattu. Cependant, lorsque le calme se fait, on se trouve plus faible, plus brisé, plus souple, plus sous la main de Dieu; et c’est ce qu’il faut.

Adieu! et tout à vous.

Emmanuel.
Notes et post-scriptum
1. D'après le brouillon. Comme le brouillon du 23 août, celui-ci répond à une lettre de l'abbé Fabre que nous avons encore; c'est la meilleure preuve que la lettre du 23 août, telle du moins que nous venons de la publier, n'a pas été envoyée. Celle du 24 août fut-elle envoyée, du moins telle que nous la donnons? C'est peu probable. En effet, en plus de ce brouillon publié intégralement, nous en avons deux autres, datés aussi du 24 août, dans l'un desquels nous lisons ceci: "Vous avez remarqué le profond silence des journaux libéraux sur l'Encyclique. Ce silence dénote un mépris bien insultant. Certes, ceux qui veulent faire le bien sans bruit et sous terre doivent être bien heureux. Pour moi, j'aimerais un [peu] moins d'oubli et un peu plus d'opposition. On lève le bâton en passant près d'un chien qui aboie; on se bouche le nez et on ferme la bouche en passant près d'un chien mort. Voilà, il faut le dire en frémissant, ce qu'est l'Eglise aux yeux de certains hommes, un cadavre d'où la vie se retira il y a un siècle... Pardonnez-moi, mon cher Monsieur Fabre, ces expressions un peu vives peut-être. *Voilà quatre ou cinq fois que je renonce à vous envoyer de longues lettres*, où je m'exprimais avec une vivacité qui vous ferait penser peut-être que je ne suis pas entièrement soumis à la décision du Saint-Siège. Franchement, je suis entièrement soumis, mais j'ai le malheur de ne pouvoir envisager certaines choses de sang-froid; j'ai le malheur de préférer recevoir de mon ennemi un coup d'épée qu'un crachat au visage; j'ai encore le malheur d'aimer que le catholicisme soit à la tête et non pas à la queue de l'humanité. C'est un tort, peut-être une effervescence de jeune homme. Soit. Priez Dieu qu'il m'accorde le courage de voir insulter, outrager ma mère par ses plus cruels ennemis, avec un front tranquille et le coeur sans émotion."
2. Né à Naples en 1758 et créé cardinal le 8 mars 1816, alors préfet de la Congr. du Concile.
3. Nom des provinces de Bologne et de Ferrare, qui étaient placées sous l'administration d'un légat.
4. L'Encyclique *Mirari vos*, parue le 15 août 1832.
6. C'est Lamartine qui, de sa propre initiative obtint en 1820 que La Mennais fût dispensé de la récitation du bréviaire. La dispense était, du reste, accompagnée de telles réserves qu'elle chargeait avant tout la conscience du bénéficiaire.5. *Rom*. I, 21.