Vailhé, LETTRES, vol.1, p.665

25 aug 1834 Rome, ALZON_VICOMTE
Informations générales
  • V1-665
  • 0+205|CCV
  • Vailhé, LETTRES, vol.1, p.665
Informations détaillées
  • 1 ADOLESCENTS
    1 ADVERSAIRES
    1 CHARITE ENVERS LE PROCHAIN
    1 CUISINIER
    1 DEFAUTS
    1 DEFENSE DE L'EGLISE
    1 DOMESTIQUES
    1 EGLISE
    1 ENCYCLIQUE
    1 EVEQUE
    1 FETE
    1 FOI
    1 GLOIRE DE DIEU
    1 INFAILLIBILITE PONTIFICALE
    1 LOISIRS
    1 MALADIES
    1 PAPE
    1 PHILOSOPHIE MODERNE
    1 PRUDENCE
    1 PURIFICATION
    1 RESIDENCES
    1 SERVICE DE L'EGLISE
    1 SOUFFRANCE
    1 SOUMISSION DE L'ESPRIT
    1 SUFFISANCE
    1 SUPERIEUR GENERAL
    1 THEOLOGIENS
    1 VANITE
    1 VERITE
    1 VICAIRE
    1 VOYAGES
    2 ALZON, AUGUSTINE D'
    2 ALZON, MADAME HENRI D'
    2 BAUTAIN, LOUIS
    2 BONALD, VICTOR DE
    2 CRISPINE, SERVANTE
    2 ESTHER, SERVANTE
    2 FENELON
    2 FOURNIER, MARIE-NICOLAS
    2 FRANCOIS, LAVAGNAC
    2 GABRIEL, JEAN-LOUIS
    2 GREGOIRE XVI
    2 HONORE, SERVITEUR
    2 LA GOURNERIE, EUGENE DE
    2 LAFON, CHARLES-MARIE
    2 LAMENNAIS, FELICITE DE
    2 MAC CARTHY, CHARLES
    2 ROSALIE, SAINTE
    2 VENTURA, GIOACCHINO
    2 VERNIERES, JACQUES
    3 LAVAGNAC
    3 LORETTE
    3 MONTPELLIER
    3 NAPLES
    3 PARIS
    3 POLOGNE
    3 SETE
    3 SICILE
  • A SON PERE.
  • ALZON_VICOMTE
  • le 25 août 1834.
  • 25 aug 1834
  • Rome,
  • Monsieur
    Monsieur le Vicomte Henry d'Alzon,
    au château de Lavagnac, par Montagnac.
    département de l'Hérault.
    France, par Antibes.
La lettre

Mon cher petit père,

Il a une heure que j’ai reçu votre lettre du 25 juillet(1). Je vous remercie de toutes les observations que vous m’y faites. Je me permettrai de vous faire observer deux choses. La première, que je n’ai pas regardé les paroles du Pape aux évêques de Pologne comme l’expression de la parole divine; la seconde, que rien ne me force à les considérer comme telles, le Souverain Pontife ne s’étant adressé ni à toute l’Eglise ni n’ayant parlé ex cathedra, et de plus ayant jugé un fait qui ne peut tomber sous la décision théologique. Pour le reste, je ne pourrais que répéter ce que j’ai dit à Augustine, ce qui est inutile.

Je pense de plus que, quand les esprits se seront soumis à l’encyclique purement et simplement, il sera temps de chercher en quoi il faut se soumettre. Question qui n’est pas si facile qu’on pense. Car il ne suffit pas de faire un acte [de] foi général et [de] dire: « Je condamne ce qui est condamné, » il faut savoir ce qui est condamné. Ouelques propositions sont fort claires, mais je doute qu’elles le soient toutes autant qu’on pourrait le penser et que le prétendront certains adversaires de M. de la M[ennais].

Quant au système philosophique, je n’y comprends rien. Le Pape n’ayant pas dit ce en quoi il est blâmable, il suffira que M. de la M[ennais] donne les explications qu’il s’était, du reste, proposé de donner, qu’il reconnaisse les points où il avait un peu exagéré la question, et tout sera dit. Et puis, est-ce du système de M. de la M[ennais] qu’il s’agit? Il serait fort difficile de prouver que le blâme de nouveauté ne s’applique pas aux Cartésiens, ou à M. Bautain, ou à M. Victor de Bonald qui est un des derniers auteurs de nouveautés. Vous pourriez lui en faire la peur, et je ne sais pas ce qu’il aurait à répondre. Je ne sais pas trop comment accuser de nouveauté un homme, qui part du principe: que cela est vrai qui a été cru de tout temps et par tout le monde. Avec la meilleure volonté, je ne puis là rien voir de nouveau.

Quant au titre de vanissimi homines, si c’est M. de la M[ennais] qui est cet homme très vaniteux, convenez que c’est la faute des prédécesseurs de Grégoire XVI, qui ont fomenté sa vanité par mille témoignages flatteurs, à cause même de la publication de l’Essai. Il faut donc agir sur cette question avec beaucoup de prudence, si l’on ne veut pas mettre les Papes en opposition entre eux, ce qui serait un grand coup porté à leur infaillibilité(2).

Vous seriez peut-être étonné si je vous disais qu’ici un grand nombre de théologiens croient que le système de philosophie de M. de la M[ennais] n’est pas blâmé. Mais, pour moi, peu importe. Comme je trouve à blâmer, je rejette ce que je blâme et je demeure sur le reste en sûreté de conscience. Je m’étais proposé d’abord de vous écrire un peu longuement sur ce sujet, mais je trouve mieux de suivre l’opinion de M. Mac-Carthy; il trouve qu’il faut laisser le temps agir et que, peu à peu, les choses s’éclairciront. Pour le quart d’heure, je m’en tiens là.

J’avais écrit à ma mère au sujet de mes dimissoires, que je voudrais avoir. Je pense qu’il est temps cependant de m’engager. Je ne puis vous dissimuler que toutes ces épreuves m’ont fait beaucoup souffrir. Fénelon, après sa condamnation, disait: « Je me soumets, mais je pleure. » Comme ma soumission était très facile, puisque je reconnaissais que M. de la M[ennais] était condamnable, c’est le coup en lui-même qui m’a été cruel, et je pourrais dire que je me suis soumis, mais en rugissant. Je pense n’avoir voulu que la gloire de Dieu et je le remercie de m’avoir fait éprouver des ennuis qui ont purifié ma foi. Je crois que, de toutes les douleurs, la plus grande qui puisse s’emparer d’un coeur qui aime l’Eglise, c’est de voir ses intérêts compromis par ceux qui devraient la défendre.

Voici quelques détails, que je vous prie de garder pour vous et pour ma mère. L’évêque de Montpellier a fait à M. Gabriel les offres les plus avantageuses, auxquelles M. Gabriel a répondu par des moqueries qu’il s’est permises devant certaines personnes, dont la charité les a portées à aller les raconter sur-le-champ à l’évêque. Monseigneur voulait décider M. Gabriel à aller s’établir à Montpellier et lui a offert de lui monter une maison. M. Gabriel, ce me semble, aurait dû être sensible au procédé. La carrière à laquelle il se destine semblait l’attirer dans la ville principale du diocèse, où il aurait pu agir sur les jeunes gens et réaliser les projets qu’il avait. La dernière encyclique même lui eût été très favorable à cet égard. Il paraît qu’il a mieux aimé aller s’établir chez son ami, M. Lafont; ce qui, à mes yeux, est une imprudence. Il ne pourra manquer d’éprouver du désagrément à Cette: il y a été trop longtemps comme vicaire, mais il ne veut pas comprendre cela. S’il vient à Lavagnac, tâchez de lui donner ou de lui faire donner par ma mère des conseils sages, prudents. Il peut faire beaucoup de bien, a des vertus très remarquables. Il est fâcheux qu’il soit aussi peu sur ses gardes en certaines circonstances.

Je suis bien peiné de ce que vous m’apprenez de la bonne Crispine, ainsi que de la maladie d’Esther. Je comprends que ma mère doive être en peine. Quant à François, si vous voulez le mettre à la cuisine, je n’ai rien à dire; mais je vous avouerai que j’aimerais que vous me le gardassiez. J’ai toujours, pour mon compte, été très content de lui et je n’aime pas d’avoir affaire à de nouvelles figures. Je ne puis souffrir le changement de domestiques. Il m’est impossible de les considérer comme de pures machines à service, et il y a, en effet, une si grande différence entre ceux qui servent par obligation et ceux qui servent avec un certain attachement, que je vois toujours avec peine qu’il faille recommencer de se connaître. C’est encore ce qui me fait regretter Honoré. Il me semble qu’aujourd’hui plus que jamais on doit gagner l’affection des domestiques, parce qu’il est une foule de choses dans laquelle l’affection seule peut les faire agir. Les changements ne sont pas bons à cela. Honoré pouvait avoir des défauts, mais me paraissait fidèle et surtout intelligent. C’est beaucoup. Enfin, puisqu’il est parti, il n’y a plus à en parler. Seulement, puisque, nous sommes sur ce chapitre, je vous avouerai qu’en général rien ne m’ennuie plus que le changement pour le service.

M. Vernière me paraît grand amateur de grands chemins. Tant mieux! Cela pourra lui faire perdre un peu ses maux de tête. L’exercice lui a toujours fait du bien. Je voudrais pourtant bien savoir où il est pour lui écrire. J’ai bien des choses à lui dire.

M. de La Gournerie est de retour aujourd’hui de son voyage à Naples: il est allé en Sicile, aux fameuses fêtes de sainte Rosalie. Je ne le verrai que huit jours. Il a le projet de partir de demain en huit pour continuer ses courses et être de retour à Paris, au premier novembre au plus tard. Pour moi, j’ai quelque envie de l’accompagner à Lorette, où il veut passer. Je le quitterais pour revenir à Rome. J’oubliais de vous dire que mon excursion avec le P. V[entura] avait été manquée par le départ de son général pour Naples. Les chaleurs commencent à diminuer, et si les journées sont encore fatigantes, les matinées et les soirées sont fraîches.

Adieu, mon cher petit père. Si M. Gabriel est à Lavagnac quand cette lettre arrivera, faites-lui mille amitiés de ma part et demandez-lui ses projets pour l’année prochaine. Adieu, encore une fois. Je vous embrasse avec la plus vive tendresse.

Emmanuel.
Notes et post-scriptum
1. Le manuscrit porte 25 août.
2. Le mot infaillibilité a certainement dépassé la pensée de l'abbé d'Alzon.