Vailhé, LETTRES, vol.1, p.676

21 sep 1834 Florence, ALZON_AUGUSTINE
Informations générales
  • V1-676
  • 0+208|CCVIII
  • Vailhé, LETTRES, vol.1, p.676
Informations détaillées
  • 1 ACCIDENTS
    1 ANGES
    1 ASSISTANCE A LA MESSE
    1 AUTEL
    1 BEAU CHRETIEN
    1 BONHEUR
    1 CATHEDRALE
    1 CHAPELLE
    1 CHOEUR
    1 CRUCIFIX
    1 DESCENTE DE JESUS-CHRIST AUX ENFERS
    1 DIABLES ADVERSAIRES
    1 DIMANCHE
    1 EDIFICE DU CULTE
    1 FATIGUE
    1 FOI
    1 FRERES CONVERS
    1 GRAND MESSE
    1 LOISIRS
    1 MALADIES
    1 MESSE BASSE
    1 MOBILIER
    1 MOEURS ACTUELLES
    1 MORT
    1 PARTIES DE LA MESSE
    1 PENSEE
    1 PERFECTION
    1 PREFACE
    1 PRESSE
    1 PRETRE
    1 REPAS
    1 REPOS
    1 RESIDENCES
    1 REVE
    1 SANTE
    1 SOUFFRANCE
    1 SOUVENIRS
    1 STATUE DE LA SAINTE VIERGE
    1 VETEMENT
    1 VOYAGES
    2 ALZON, MADAME HENRI D'
    2 ANGELICO, FRA
    2 BRUNELLESCO
    2 CIMABUE
    2 DANTE ALIGHIERI
    2 GABRIEL, JEAN-LOUIS
    2 GADDI, TADDEO
    2 GHIRLANDAIO
    2 GIOTTO
    2 LIPPI, FRA FILIPPO
    2 LUC, SAINT
    2 MEMMI, SIMONE
    2 MICHEL-ANGE
    2 ORCAGNA, ANDREA
    2 PETRARQUE
    2 ROUSSY DE SALES, EUGENE
    3 ADRIATIQUE
    3 ARNO, RIVIERE
    3 BOLOGNE
    3 FIESOLE
    3 FLORENCE
    3 FLORENCE, EGLISE SANTA-MARIA NOVELLA
    3 FRANCE
    3 ROME
    3 VALLOMBREUSE
  • A SA SOEUR AUGUSTINE (1).
  • ALZON_AUGUSTINE
  • le 21 septembre 1834.
  • 21 sep 1834
  • Florence,
  • Mademoiselle
    Mademoiselle Augustine d'Alzon, au château de Lavagnac, par Montagnac. Hérault. France, par Antibes.
La lettre

Je me trouve ici, ma chère amie, plus près de toi d’une soixantaine de lieues. Cette lettre mettra à te parvenir deux jours de moins que les autres, mais la première que j’écrirai reprendra la date accoutumée. Je repars pour Rome après-demain. Mon projet avait été d’abord de ne rester à Florence que vingt-quatre ou quarante-huit heures, parce que je pensais que l’année prochaine je la verrais en retournant en France. Mais deux raisons m’y ont retenu. La première est qu’un tiens vaut mieux que deux tu l’auras. La seconde, que j’ai été si content de ce que je voyais que je n’ai pu me décider à ne pas voir davantage. une troisième raison est que Florence vaut la peine d’être vue à deux reprises. Ses églises sont si riches, ses tableaux si admirables, ses monuments si nombreux, son climat si beau! Bref, je suis enchanté. Je fais cependant un sacrifice: je renonce à Vallombreuse, aux Camaldules et à quelques courses dans les environs. Mais, comme je conserve toujours l’espoir de voir Florence une seconde fois, je veux renvoyer à ma seconde visite ces excursions, qui sont, dit-on, charmantes.

Je ne sais si ma mère a reçu la lettre que je lui ai écrite de Bologne, ni si vous avez également de mes nouvelles. Il y a eu un petit retard, occasionné par mes divers changements de domicile. Je voulais le réparer en t’écrivant [par] le dernier courrier, mais j’en ai été empêché par un singulier accident. Le jour de mon arrivée à Florence, je voulus voir tout ce que je pouvais découvrir jusqu’au soleil couchant. J’ajoutai à la fatigue du voyage celle d’une longue course, qui me mit le sang en mouvement, si bien que lorsque je me mis au lit, j’étais très agité. Je rêvai je ne sais quoi; mais ce qu’il y a de sûr c’est qu’avant je songeais que l’on me jetait une balle à jouer entre les jambes, que je relevais la balle et que je la renvoyais de toutes mes forces au nez de celui qui me la jetait. Tout en rêvant, je faisais en effet le mouvement de lancer quelque chose; ma main rencontra par malheur la muraille, que je frappai avec assez de force pour me faire une bonne luxation au pouce. La douleur qui dure encore ne m’empêche cependant pas d’écrire, comme tu vois. Dans deux ou trois jours, j’espère que tout sera passé.

Je n’ai rien à te dire de Florence. Je suis sûr que l’abbé Gabriel, dans ses amples et pompeuses et imaginatives descriptions, t’en aura dit tout ce qu’il y a à dire. Seulement, je me permettrai une observation sur les moeurs religieuses du pays -ce qu’il n’a pas été, je crois, à même de faire,- c’est que les Florentins n’entendent pas la grand’messe, ou plutôt ils entendent le dimanche la grand’messe en gros, et trois ou quatre messes basses en détail.

Ce matin après avoir entendu une messe basse et les trois quarts d’une grand’messe à la cathédrale, j’ai voulu aller visiter une seconde fois Santa Maria Novella. Il faut que tu saches que cette église a mille titres à mon admiration. Michel-Ange l’appelait son épouse, tant il l’aimait. Elle fut bâtie sur les dessins de trois Frères convers de saint Dominique; elle a un Christ de Giotto, un autre de Brunellesco, une madone de Cimabue, des chapelles peintes par les deux Orcagna, Thaddée Gaddi, Fra Filippo Lippi, le choeur peint à fresque par Ghirlandaio. Tout cela est admirable. Je suis donc allé à Sainte-Marie, où on était au Kyrie, tout le monde (et il y en avait assez) le visage tourné vers le maître-autel. Je vais m’asseoir sur un banc, au milieu de la foule pieuse. Tout à coup, une messe basse sonne et le prêtre qui va la dire se dirige vers un autel, au fond de l’église. Aussitôt, l’assistance de faire volte-face, de façon que je me suis trouvé vis-à-vis d’une foule de personnes qui voulaient entendre les deux messes à la fois, s’asseyaient du côté du prêtre qui chantait la préface et se mettaient à genoux du côté de celui qui ne faisait que la lire. Je me suis trouvé un moment à genoux nez à nez avec une demoiselle. Nous servions d’anges adorateurs à un gros épais Florentin en cravate à la Colin, lequel nous montrait successivement son visage ou sa perruque, selon qu’on sonnait le Sanctus à la chapelle ou qu’on chantait le Credo au choeur.

Les peintures de Florence m’ont beaucoup plu. Il y a ici beaucoup de tableaux d’anciens maîtres, et je t’avoue que, sans esprit de parti, je leur trouve, sinon plus de perfection dans les détails, au moins plus d’esprit dans l’expression des figures qu’aux peintres modernes. Je me rappellerai toujours une fresque d’une chapelle qui se trouve dans Santa Maria Novella. Elle est, je crois, de Simon Memmi; elle représente Jésus-Christ descendant aux enfers. Il y arrive sur une des portes de l’enfer qu’il a brisée, la mort est sous cette porte, grinçant des mâchoires; les justes accourent au-devant du Christ et, dans le fond, trois diables ont l’expression la plus parfaite. L’un a caché un juste dans un coin et semble dire: « Vous verrez qu’il va le dénicher »; un autre se mord les doigts; le troisième regarde les justes qui vont partir et semble fort embarrassé de savoir ce qu’il fera, quand il n’y aura plus personne à tourmenter.

Il me semble que les romantiques, qui ont voulu revenir au moyen âge, ne l’ont pas du tout compris. Ils s’amusent à peindre les détails matériels, tandis que dans ce temps on s’appliquait surtout, au moins en peinture, à exprimer la pensée. C’est ce qui fait, par exemple, l’immense supériorité du bienheureux Jean de. Fiesole, plus connu sous le nom de Frère Angélique. Ces vieux peintres faisaient des compositions pleines de vie, quoique souvent les poses fussent gauches, les vêtements mal disposés. L’expression des figures dans leurs tableaux de saints avait quelque chose de surnaturel. Les peintres modernes, qui ont voulu singer le moyen âge, ont imité toutes leurs incorrections et n’ont pu deviner le secret de leur perfection, parce qu’ils n’avaient pas la foi.

Tu ne peux te faire une idée de l’ennui d’avoir de mauvaises plumes et de manquer de canif pour les tailler, aussi je suspends mes réflexions artistiques. Je serai dans huit jours à Rome, où j’espère trouver de tes nouvelles. Je suis sous mille rapports enchanté de mon voyage. J’ai passé quinze jours sans voir les journaux; je me porte à merveille; j’ai vu des choses superbes; j’ai fait des réflexions philosophiques; j’ai mangé des côtelettes à la milanaise; j’ai vu la mer Adriatique et goûté de son poisson, qui est très bon; j’ai vu l’Arno, qui semble murmurer les grands noms de Pétrarque et de Dante. Pour le moment, il ne murmure pas du tout, il est fort bas, coule à peine, et le peu qu’il en reste dans son lit desséché répand une odeur qui oblige à se boucher le nez, quand on traverse ses quais ou ses quatre portes.

Adieu donc, chère amie. Je te prie de dire à Eugène de Roussy que j’ai pensé à la description qu’il m’avait faite des arcades de Bologne, lorsque j’ai monté à la Madone de saint Luc. On les a prodigieusement augmentées dans un autre sens, depuis qu’il a passé dans cette ville. Tu me rappelleras à son bon souvenir. Adieu. Je ne veux plus continuer mon griffonnage. Je t’embrasse de tout coeur.

Emmanuel.
Notes et post-scriptum
1. Voir *Notes et Documents*, t. Ier, p. 533, 586.