Vailhé, LETTRES, vol.1, p.680

21 sep 1834 Florence, SERRES Séverin
Informations générales
  • V1-680
  • 0+209|CCIX
  • Vailhé, LETTRES, vol.1, p.680
Informations détaillées
  • 1 ADMINISTRATION PUBLIQUE
    1 BEAU CHRETIEN
    1 DEMOCRATIE
    1 DESPOTISME
    1 DILIGENCE
    1 EDIFICE DU CULTE
    1 FETE DE LA NATIVITE DE MARIE
    1 GOUVERNEMENT
    1 ITALIENS
    1 LIVRES
    1 MALADIES
    1 MANUFACTURES
    1 MONARCHIE
    1 PAPE
    1 PARTI CATHOLIQUE
    1 PELERINAGES
    1 REPOS
    1 REPUBLICAINS
    1 REPUBLIQUE
    1 ROYALISTES
    1 SATAN
    1 VACANCES
    1 VOL
    2 ANGELICO, FRA
    2 BONALD, LOUIS DE
    2 DANTE ALIGHIERI
    2 GADDI, TADDEO
    2 GIOTTO
    2 LA GOURNERIE, EUGENE DE
    2 MICHEL-ANGE
    2 ORCAGNA, ANDREA
    2 PELLICO, SILVIO
    2 RAPHAEL SANZIO
    2 THEODORIC
    2 VALERY
    3 ADRIATIQUE
    3 ANCONE
    3 APENNINS
    3 BOLOGNE
    3 FAENZA
    3 FLORENCE
    3 FLORENCE, EGLISE SANTA-MARIA NOVELLA
    3 FRANCE
    3 ITALIE
    3 LORETTE
    3 MIDI
    3 MONNA, LE
    3 NAPLES
    3 RAVENNE
    3 RIMINI
    3 ROMAGNE
    3 ROME
    3 SAINT-MARIN
    3 SICILE
    3 VENISE
  • A SON COUSIN SEVERIN DE SERRES (1).
  • SERRES Séverin
  • le 21 septembre 1834.
  • 21 sep 1834
  • Florence,
La lettre

Il y a un temps infini, mon cher Séverin,que j’aurais dû t’écrire. Je commence donc par te faire mes humbles excuses. Il est vrai que je croyais qu’en nous séparant tu m’avais promis de m’écrire le premier et que j’ai attendu longtemps de tes nouvelles, mais il y a eu certainement du malentendu. Tu auras attendu des miennes, et comme si nous restons toujours dans cet état d’expectative, nous ne pourrons jamais savoir ce que nous faisons l’un l’autre, je vais t’adresser mon épître au Monna, où tu dois prendre tes vacances, persuadé du reste que, si tu n’y étais pas, ma lettre te sera envoyée(2).

Permets-moi, pour tâcher d’excuser mon long silence, de t’exposer les difficultés que je surmonte pour t’écrire. En premier lieu, je suis à Florence, que depuis quatre ou cinq jours je parcours du matin au soir. J’ai, pour t’écrire, une plume détestable, que je ne puis tailler faute de canif, et par-dessus le marché, j’ai le pouce endolori des suites d’un vigoureux coup de poing que, l’autre nuit en dormant, je lançai contre la muraille, en croyant envoyer une balle à je ne sais plus qui. Le coup fut si bien appliqué que je me réveillai avec une bonne luxation, qui heureusement ne me fait plus beaucoup souffrir.

Tu veux savoir probablement comment il se fait que je suis à Florence et non pas à Rome, où tu me crois sans doute. Tu sauras donc, mon cher ami, que La Gournerie a fait un voyage en Italie; il a passé à Rome le mois de juin, est allé à Naples, a parcouru la Sicile, est revenu à Rome à la fin du mois d’août, en est reparti le 3 septembre, et les vacances ayant commencé à cette époque, j’ai eu l’idée de l’accompagner jusqu’à Lorette, où j’ai assisté à la fête de la Nativité, l’un des principales de ce célèbre sanctuaire. Lorette n’est qu’à cinq ou six lieues d’Ancône; j’ai voulu voir Ancône. On ne va pas à Ancône sans penser que Rimini est à deux journées; et l’on n’est pas admirateur de Silvio Pellico sans désirer connaître la patrie d’une de ses héroïnes.

Rimini est une ville charmante; les environs en sont délicieux; Près de la mer Adriatique, elle est protégée au Midi par la montagne, sur laquelle est juchée l’antique république de Saint-Marin, la plus ancienne des démocraties connues. Quelque curieuse que doive être une République, qui compte huit siècles de durée et un peu moins d’habitants que d’années, je n’ai pas eu le courage de gravir son roc escarpé. Je préférai aller visiter Ravenne, la ville des exarques, de Théodoric, de Dante; Ravenne avec sa forêt de pins, sur laquelle M. Valery a fait de si belles phrases en 1827 qu’il a cru les conserver dans son ouvrage sur l’Italie en 1830, quoiqu’il ait soin d’avertir en note qu’alors elles ne signifiaient plus rien. Mais pour laisser M. Valery et en revenir à Dante, il est assez curieux que les républicains italiens en aient fait leur patron, lorsqu’il a été exilé de Florence parce qu’il était monarchiste, qu’il a été excommunié par le Pape pour ses principes un peu trop despotiques, qu’il a composé un ouvrage intitulé De monarchia, et que dans son épitaphe écrite, à ce que l’on prétend, par lui-même, il mette à la tête de ses titres de gloire, non d’avoir composé l’Enfer, mais d’avoir défendu les droits de la monarchie. Je t’avoue que j’ai eu la curiosité de voir ce traité d’un poète si populaire; je n’ai pu le trouver. J’aurais voulu vérifier si, comme on le prétend, il se sert des mêmes raisonnements employés par M. de Bonald pour prouver l’excellence du gouvernement d’un seul.

Quelque charme qu’ait pour moi Ravenne et sa pineta, il fallut la quitter pour aller à Bologne pendre la diligence qui devait me ramener à Rome. Tu sauras que, près de Faënza, La Gournerie perdit sa malle de la manière la plus désagréable: elle lui fut évidemment volée, à cinq où six cents pas de la ville. La police qui est, entre nous soit dit, un peu vexatoire pour les honnêtes gens, devrait employer un peu plus ses agents à découvrir les voleurs, dont ce pays pullule. On les connaît par leur nom et on les laisse librement circuler, tandis qu’on ne peut passer une nuit dans une ville de la Romagne sans être obligé de faire viser, enregistrer, contresigner et montrer son passeport trois ou quatre fois et même davantage en certaines villes. Nous fûmes d’une telle humeur contre les Faïençais que nous ne voulûmes pas voir leurs manufactures de poteries; nous filâmes sur Bologne, après que l’officier de police, à qui La Gournerie fit sa déclaration sur la perte de sa malle, lui eut signifié que, si on la trouvait, il faudrait qu’il eut la bonté de revenir de France pour la reconnaître.

Bologne est une des villes les plus intéressantes que j’aie vues. La beauté de ses rues, les ornements de ses places, ses belles églises, ses tableaux, ses palais, tout cela forme le plus bel ensemble. Je regrettais de n’y passer que quarante-huit heures, mais, après la perte de sa malle, La Gournerie se trouvait forcé de hâter son retour et je ne voulais pas rester seul. Nous partîmes en même temps, lui pour Venise, moi pour Florence, car je trouvais que j’abrégeais en prenant pour retourner à Rome une nouvelle route, et j’y gagnais de voir une portion très belle des Apennins.

Je suis, comme je te le disais tout à l’heure, depuis trois ou quatre jours à parcourir Florence du matin au soir. Ses églises, moitié grecques, moitié gothiques, avec le chapiteau corinthien et la voûte en ogive, ont presque toutes des fresques de Giotto, d’Orcagna, de Thaddée Gaddi ou du Fr. Angélique. Quoique je reconnaisse ma complète ignorance en fait de peinture, je te dirai franchement que je suis de l’avis de ceux qui trouvent que la décadence a commencé avec l’école de Raphaël. Avant cette époque, on avait moins de perfection dans les détails, mais on avait, à mon humble avis, une plus grande habileté pour peindre les sentiments de l’âme. On donnait à un saint du paradis une position un peu gauche, mais on donnait à sa physionomie une expression alerte. Je n’ai rien vu de plus vraiment diable que la figure de Satan peinte par Orcagna à Santa-Maria Novella, église que Michel-Ange appelait son épouse. Je dois te prévenir que, si j’admire ces anciens peintres, c’est pour des motifs tout opposés à ceux de l’école moderne, qui a entrepris de ressusciter le moyen âge. L’école moderne peint la matière, et j’admire surtout les anciens peintres, parce qu’ils peignaient l’âme(3).

Notes et post-scriptum
1. Voir *Notes et Documents*,.t. Ier, p. 532. D'après le brouillon.1. Voir *Notes et Documents*,.t. Ier, p. 532. D'après le brouillon.
2. Le Monna, près de Milhau, propriété de Bonald, dont Séverin était le petit-fils.
3. La fin manque.