Vailhé, LETTRES, vol.1, p.685

23 sep 1834 Florence, BONNETTY Augustin
Informations générales
  • V1-685
  • 0+211|CCXI
  • Vailhé, LETTRES, vol.1, p.685
Informations détaillées
  • 1 ADVERSAIRES
    1 BASILIQUE
    1 BOIS ET FORETS
    1 CATHOLIQUE
    1 CHRETIEN
    1 CONVERSATIONS
    1 DEFAUTS
    1 DESOBEISSANCE
    1 DILIGENCE
    1 ENSEIGNEMENT DES SCIENCES
    1 IMAGINATION
    1 PAPE
    1 PEUPLES DU MONDE
    1 POPULATION
    1 PRESSE
    1 RESIDENCES
    1 REVOLTE
    1 SALUBRITE
    1 SYMPTOMES
    1 TOMBEAU
    1 TRANSPORTS
    1 VACANCES
    1 VOL
    1 VOYAGES
    2 BAILLY, EMMANUEL SENIOR
    2 CICERON
    2 DESCHAMPS, EMILE
    2 ESGRIGNY, LUGLIEN de JOUENNE D'
    2 GREGOIRE XVI
    2 LA GOURNERIE, EUGENE DE
    2 LAMENNAIS, FELICITE DE
    2 LOUIS XIII
    2 MORERI, LOUIS
    2 SCHLOSSER, FREDERIC-CHRISTOPHE
    2 THEODORIC
    3 ANCONE
    3 AUTRICHE
    3 BOLOGNE
    3 FAENZA
    3 FERRARE
    3 FIESOLE
    3 FLORENCE
    3 FRANCE
    3 GENEVE
    3 HERAULT, DEPARTEMENT
    3 ITALIE
    3 LATIUM
    3 LORETTE
    3 MARSEILLE
    3 MILAN
    3 MONT VALERIEN
    3 NAPLES
    3 NORD
    3 PARIS
    3 PARIS, EGLISE SAINTE-GENEVIEVE
    3 PEZENAS
    3 RAVENNE
    3 RAVENNE, BASILIQUE SAINT-APOLLINAIRE IN CLASSE
    3 RIMINI
    3 ROMAGNE
    3 ROME
    3 SETE
    3 SURESNES
    3 VENISE
  • A MONSIEUR L'ABBE BONNETTY.
  • BONNETTY Augustin
  • le 23 septembre 1834.
  • 23 sep 1834
  • Florence,
La lettre

Je me trouve, mon cher Bonnetty, claquemuré à Florence, grâce au plus insupportable des voituriers, qui me promet de me faire partir et puis qui ne part pas. Vous comprenez que c’est chose peu amusante pour quelqu’un qui a vu tout ce qu’il voulait voir. Mais il faut prendre son parti et, pour le prendre plus gaiement, je viens causer avec vous, persuadé que, tant que durera ma lettre, l’ennui sera expulsé de ma chambre par la seule présence de votre image que façonne mon imagination. Ainsi donc, entrez, prenez une chaise et causons: j’ai mille choses à vous dire.

D’abord, je vous charge de vous moquer, de ma part, de de Jouenne, qui,dans un article sur Emile Deschamps inséré dans le Correspondant, se moquait avec un agrément infini de ce que celui-ci supposait qu’on voyait Fiesole de Florence. De Jouenne prouvait géographiquement et physiquement que, les corps étant opaques, on ne pouvait voir au travers d’une montagne. Or, Fiesole se trouvant derrière une montagne, on ne pouvait la voir de Florence. Or, par malheur, Fiesole n’est pas derrière, mais sur la montagne en question, si bien qu’on la découvre de presque toutes les rues du Nord de Florence, aussi bien que l’on voit le Mont Valérien de Suresnes ou la coupole de Sainte Geneviève de chez M. Bailly.

Mais vous voulez savoir comment je suis à Florence, et non pas à Rome. Le voici. La Gournerie allait partir de Rome, quand les vacances ont commencé. Il passait par Lorette, j’ai voulu l’accompagner jusqu’à Lorette. De Lorette, je l’ai suivi à Ancône, d’Ancône à Rimini, de Rimini à Ravenne, de Ravenne à Faënza; où on lui a volé sa malle, de Faënza à Bologne, où je l’ai embarqué pour Ferrare; Venise, Milan, Genève et Paris. Moi, j’ai pris la route de Florence, pour revenir à Rome. Mon projet était de rester ici peu de jours, mais quand on a affaire avec des voituriers, on n’est jamais sûr de rien.

La Gournerie vous arrive, la tête pleine de belles choses. Pour celles qui étaient dans son porte-feuille, elles sont par-dessus, -les Faïençais en profiteront. Je l’ai beaucoup engagé à confier une partie de ses travaux aux Annales. Ses articles étaient de ceux qu’on aimait le plus dans la Revue européenne; il pourra vous faire du bien auprès des abonnés. Je vante ici votre journal tant que je puis et autant qu’il le mérite, mais les Romains comprennent si peu les avantages de la presse.

La Romagne est un pays superbe, mais qui se révoltera au premier jour. Le Pape est bien heureux que les Autrichiens y aient une garnison. Dans les principales villes, la population est peu disposée en sa faveur, pour ne pas dire autre chose. Les Bolonais sont surtout exaspérés, et ils ont peut-être quelque sujet de l’être. Ce sont, pour la plupart, des gens riches, qui n’ont rien de mieux à faire qu’à murmurer.

J’ai vu ici une personne, qui m’a assuré que le Pape avait entre les mains une lettre de M. de la M[ennais], écrite par celui-ci à une personne de Rome et dans laquelle il disait: « J’espère être toujours chrétien; pour être catholique, » des points. Quoique en faisant quelques questions, je me suis assuré que la chose était fausse, je n’en suis pas moins fâché qu’on répande un semblable bruit. Il me tarde d’être à Rome, où j’espère trouver des nouvelles. Tenez-moi au courant de ce qui se passe à Paris. Vous me rendrez un grand service. Sans doute, l’abbé de la Mennais a de grands torts, mais je ne sais si je voudrais avoir raison comme quelques-uns de ses adversaires.

Mon voyage à Ravenne m’a fourni l’occasion de faire une observation, que je vous donne pour ce qu’elle vaut: elle pourra vous être de quelque utilité pour vos articles sur la défense de la Genèse. Le terrain de Ravenne est devenu, depuis quelque temps, malsain et marécageux, et cela depuis que la mer s’est retirée. La même observation a été faite dans le département de l’Hérault. Or, la mer se retirant tous les jours laisse des étangs et cause des fièvres. Même observation encore pour la plaine de Rome. Ce pays, autrefois très fertile et très sain, est devenu désert et insalubre, depuis que la mer s’est retirée. Les marais Pontins étaient jadis une des parties les plus riches de l’Italie.

Ce fait semble prouver que les mutations, que certains savants veulent faire subir au niveau de la mer, pour expliquer autrement que par le récit de la Genèse les grands vestiges que l’on trouve d’un bouleversement du globe, sont complètement fausses. En effet, s’il est vrai que là où la mer se retire, non seulement elle laisse un terrain insalubre, mais de plus elle infecte les terres voisines de telle sorte que, plus elle se retire, plus son influence se fait sentir au loin, il sera vrai que si la mer, après avoir occupé toute la surface de la terre, ne l’a abandonnée que d’après les lois qu’elle suit aujourd’hui en se retirant de certains endroits, la terre aujourd’hui serait inhabitable. Or, que le premier fait soit réel, c’est chose facile à prouver. Voici des faits.

L’ancien Latium était autrefois un pays très sain, et Cicéron, je crois, fait observer que le climat de Rome était des plus purs. Or, aujourd’hui, l’aria cattiva, non seulement infecte Rome, mais s’étend de plus de dix lieues au delà dans l’intérieur des terres. Un autre fait. Le climat de Pézenas était, sous Louis XIII, vanté pour sa salubrité. Vous pouvez consulter Moréri à cet égard. Aujourd’hui, il se détériore sensiblement, et les gens du pays s’en aperçoivent fort bien. Cependant Pézenas est éloignée de la mer de quelques lieues, mais la mer se retire des côtes voisines de cette ville.

Que si l’on veut chercher la cause de cette insalubrité, voici celle que je vous proposerais. Je ne crois pas que la mer perde un pouce de son niveau ordinaire, pour se retirer d’un pays. On pourrait [dire], je croirais même qu’elle s’élève; car, plus on resserre les parois d’un vase, plus la liqueur qu’il contient doit s’élever. Mais si la mer perd du terrain d’un côté, elle en gagne de l’autre. Ainsi en se retirant en France des côtes de Cette, elle envahit du côté de Marseille, où elle occupe une partie de l’ancienne ville, et dont le port est placé là où, il y a deux cents ans, se trouvait le bagne. Si elle abandonne, en Italie, une partie des marais Pontins, elle submerge, du côté de Naples, d’anciennes constructions romaines, que l’on découvre encore sous les eaux.

En résumé, je crois [que] la mer reste toujours au même point, qu’elle ronge le terrain qu’elle usurpe et qu’elle le rejette en sable sur les plages, d’où elle se retire. Mais une fois admise cette égalité permanente du niveau de la mer, j’expliquerais très bien cette insalubrité dans les lieux qu’elle abandonne.

Prenons, par exemple, Ravenne. Elle était jadis sur les bords de la mer; aujourd’hui, elle en est à plus d’une lieue. Les sables que la mer a jetés, les débris roulés par une quantité assez considérable de rivières qui descendent des montagnes voisines, l’exhaussement produit par la forêt de pins qui subsiste dans les environs et qui s’avance tous les jours d’une manière assez remarquable, toutes ces causes ont refoulé la mer; mais à mesure que la mer fuyait, les rivières qui se versaient dans son sein ont eu un écoulement moins facile. L’inclinaison moins sensible a diminué la force des courants; en certains endroits, le débouché des eaux a été complètement fermé. Il en est résulté que les eaux se sont infiltrées dans les terres, ont fait pourrir les racines et occasionné les miasmes que produisent toujours les terrains marécageux dans les pays chauds. Cela est si vrai que, près de Ravenne, l’église de Saint-Apollinaire in Classe, ainsi appelée du nom des anciens chantiers de l’empire romain, bâtie probablement sur un terrain sec, est maintenant presque continuellement minée par les eaux qui filtrent sous ses fondements et qui finiront par détruire cette superbe basilique. On peut en dire autant du tombeau de Théodoric, à Ravenne. Je n’ai pu pénétrer dans la partie inférieure de ce petit temple, parce qu’elle était pleine d’eau, quoique nous fussions à la fin d’un été fort sec…

De ces réflexions et de bien d’autres que l’on pourrait faire, il serait, je crois, aisé de conclure que, si la mer ne change pas de niveau, les terres qu’elle a abandonnées ne sauraient être bien considérables; en second lieu, que sa retraite est plus funeste aux hommes que ses invasions; qu’il est, par conséquent, absurde de dire que les hommes sont nés sur le sommet des montagnes et qu’ils ont habité la terre, à mesure que la mer la leur cédait, ainsi que le prétendent Schlosser et d’autres savants(1).

Si ces réflexions vous semblent justes, servez-vous-en; sinon, laissez-les. Je n’y tiens pas du tout. Je n’ai qu’à vous demander pardon de les avoir si horriblement griffonnées.

Adieu, mon bel et bon jeune homme. Je joins à cette épître une lettre, que je recommande à votre complaisance(2). Tout à vous.

Emmanuel.
Notes et post-scriptum
1. Il est bien difficile de dire où la vie humaine a pris naissance, mais on convient aujourd'hui, comme en 1834, que, du moins en Occident, la nature des terrains aussi bien que les vestiges de l'activité de l'homme découverts jusqu'ici réclament que l'homme ait d'abord habité les contrées montagneuses.
2. Il s'agissait vraisemblablement d'une lettre à l'abbé de la Mennais.