Vailhé, LETTRES, vol.1, p.694

2 oct 1834 Rome, ALZON_VICOMTE
Informations générales
  • V1-694
  • 0+213|CCXIII
  • Vailhé, LETTRES, vol.1, p.694
Informations détaillées
  • 1 ACCIDENTS
    1 ADMINISTRATION PUBLIQUE
    1 ARMEE
    1 ASSISTANCE A LA MESSE
    1 BANQUES
    1 CATHEDRALE
    1 CATHOLIQUE
    1 CHRETIEN
    1 COLERE
    1 CONSPIRATION
    1 CONVERSATIONS
    1 EDIFICE DU CULTE
    1 ETAT
    1 JOIE
    1 LOISIRS
    1 MAL MORAL
    1 MENEURS
    1 MONARCHIE
    1 NOBLESSE
    1 PARENTE
    1 PENITENCES
    1 POLITIQUE
    1 PRESSE
    1 PRISONNIER
    1 REMEDES
    1 REPAS
    1 REPUBLICAINS
    1 RESIDENCES
    1 REVOLUTION
    1 ROYALISTES
    1 SACERDOCE
    1 SANTE
    1 SCHISME
    1 TRAHISON
    1 VOYAGES
    2 ALZON, AUGUSTINE D'
    2 ALZON, MADAME HENRI D'
    2 ANGOULEME, DUCHESSE D'
    2 ATHALLIN, MADAME LOUIS
    2 BERRY, DUCHESSE DE
    2 BLACAS D'AULPS, CASIMIR DE
    2 BOURMONT, VICTOR DE
    2 CHARLES X
    2 GABRIEL, JEAN-LOUIS
    2 GISQUET, HENRI-JOSEPH
    2 LA GOURNERIE, EUGENE DE
    2 LAMENNAIS, FELICITE DE
    2 LOUIS-PHILIPPE Ier
    2 LOUIS XVIII
    2 MICARA, LODOVICO
    2 MIGUEL DON, DU PORTUGAL
    2 ORLEANS, ADELAIDE D'
    2 PEDRO I, EMPEREUR DU BRESIL
    2 PONCELET
    2 VERNIERES, JACQUES
    3 ANGLETERRE
    3 FLORENCE
    3 GAND
    3 GENES
    3 HONGRIE
    3 LAVAGNAC
    3 LISBONNE
    3 LONDRES
    3 MASSA
    3 PARIS
    3 PARIS, RUE DES PROUVAIRES
    3 PORTUGAL
    3 PRAGUE
    3 ROME
    3 RUSSIE
    3 SANTAREM
    3 SARDAIGNE
    3 TAGE, FLEUVE
    3 VIGAN, LE
  • A SON PERE.
  • ALZON_VICOMTE
  • le 2 octobre 1834.
  • 2 oct 1834
  • Rome,
  • Monsieur
    Monsieur le vicomte Henry d'Alzon,
    au château de Lavagnac, par Montagnac,
    département de l'Hérault.
    France, par Antibes.
La lettre

Quoique en arrivant ici, je n’aie trouvé, mon cher petit père, que des lettres de ma mère et d’Augustine, c’est à vous que je veux écrire aujourd’hui, pour vous apprendre d’abord mon retour, ensuite pour vous donner quelques détails assez intéressants sur les affaires des royalistes. A part l’accident arrivé à La Gournerie, notre voyage a été ravissant. Pour mon compte, j’en suis aussi ravi qu’on peut l’être, sous tous les rapports. J’ai bien un peu pesté contre les voituriers qui m’ont fait partir de Florence quelques jours plus tard que je ne l’aurais voulu, mais enfin je suis arrivé ici bien portant et enchanté, non pas de tout ce que j’ai vu, mais au moins de bien des choses. Florence, que M. Gabriel vous a fait à coup sûr mieux connaître que je ne serais capable de le faire en dix pages de description, présente les monuments les plus précieux en eux-mêmes et par rapport à l’histoire de l’art. Je l’ai parcourue assez bien, mais je n’ai pas vu les environs. Ce sont des excursions qu’il faut ordinairement faire à deux.

J’ai trouvé, en arrivant ici, Don Miguel, que je n’ai pas vu encore, mais qui était de retour de Gênes: il a loué un palais ici et passera, il paraît, quelque temps à Rome. La veille de mon départ de Florence, j’étais allé entendre la messe à la cathédrale. J’y trouvai en sortant un jeune militaire, que j’avais vu quelquefois au cabinet littéraire et que je savais être aide de camp du secrétaire de M. de Bourmont. Nous nous abordâmes, nous nous saluâmes, et comme je n’avais plus rien à faire, qu’il était nouveau débarqué, je lui proposai de le conduire dans plusieurs églises de la ville. Il m’invita à déjeuner, je l’invitai à dîner. Il me conta mille particularités des plus intéressantes. C’était lui qui était le chef du mouvement royaliste à Paris. Il s’était opposé, tant qu’il avait pu, à l’entrée de Madame en France; il voulait faire la guerre par les journaux, plan qu’il a fallu adopter plus tard, mais trop tard peut^être. Il dirigea malgré lui la conspiration de la rue des Prouvaires(1) qu’il n’approuvait pas mais qui fut organisée d’après ordres exprès de la duchesse de Berry. Il a pris part au mouvement du 6 juin(2) et décida un grand nombre de royalistes à se battre avec les républicains. Il avait monté un coup, d’après lequel les choses auraient pu tourner à leur avantage: tout un régiment était pour eux, mais les royalistes ne s’entendirent pas et tout fut manqué. A dire vrai, je ne crois pas que les royalistes s’entendant, la chose eût mieux réussi: les républicains se fussent certainement unis au juste milieu pour écraser l’ennemi commun. Il avait le moyen de connaître ce que faisait Louis-Philippe pour préparer la révolution dans les autres Etats; il a donné des avis importants sur des conspirations en Hongrie, en Russie. C’est lui qui a découvert la conspiration de Sardaigne. Poursuivi par la police, il lui joua les plus mauvais tours: il lui fit prendre une fois à sa place le mari d’une fille naturelle de Mme Athalin et le fit passer onze jours en prison sous son nom; ce qui valut de fameux savons à M. Gisquet de la part de Mlle Adélaïde(3).

Ses espérances sont bien éloignées. Il est convaincu que, lorsque Madame était à Massa, Charles X la faisait espionner par M. de Blacas qu’il lui avait envoyé; que M. de Blacas la desservait tant qu’il pouvait auprès de Charles X, que Madame s’en aperçut, cassa dans sa fureur les chaises et les fauteuils, fit une scène épouvantable à M. de BLacas et le renvoya. M. de Blacas, furieux contre Madame, revint à Prague, et c’est lui qui a empêché si longtemps la réunion de la famille royale. Lors de la fuite à Gand, M. de Blacas retira de la caisse de la liste civile dix-huit millions environ, qu’il plaça sous son nom à la banque de Londres. Vint la Restauration, et M. de Blacas évita de les faire rentrer en disant à Louis XVIII et à Charles X qu’il y avait au plus deux millions. Maintenant il est à Prague, fournissant à tous les besoins de Charles X, avec l’argent de ce pauvre roi, qui se trouve fort obligé qu’on veuille lui prêter ce qui lui appartient et qui ne veut entendre aucune explication à cet égard.

Lorsque M. de Bourmont alla en Portugal, mon individu l’y suivit et il m’a assuré que les affaires de Don Miguel auraient bien été, si ce prince eût voulu. Il savait que les officiers de marine devaient le trahir. L’amiral était allé en Angleterre et l’avait supplié de ne pas faire sortir la flotte du Tage, avant qu’il [ne] fût revenu avec des provisions et de nouveaux officiers. Don Miguel, trahi, donna l’ordre à la flotte de sortir, malgré toutes les instances possibles de plusieurs de ses amis. Vous savez ce qui arriva.

On avait également prévenu Don Miguel que l’officier qu’on lui présentait pour commander Lisbonne devait le trahir. Il répondit qu’il y ferait attention. On lui présenta la nomination de cet officier au milieu d’une foule de papiers. Il signa et, au bout de quelques jours, six mille [hommes de ses] troupes parfaitement dévoués se retirèrent devant la poignée de soldats de Don-Pedro. Quand l’hiver approcha, M. de Bourmont proposa à Don Miguel de se retirer à Santarem, où il pourrait refaire son armée; mais Don Miguel, qui avait quatre résidences royales près de Lisbonne, qui s’amusait beaucoup en allant de l’une à l’autre, qui chassait beaucoup, trouva fort dur d’aller passer un hiver à Santarem, où il aurait eu peu d’agréments et beaucoup de privations. M. de Bourmont fit observer qu’il avait une réputation militaire à garder, qu’il la compromettrait en restant devant Lisbonne, et il se retira. Soixante-sept officiers français le suivirent; ce qui fit grand tort à Don Miguel, qui avait d’excellents soldats et de détestables officiers. Don Miguel est ici, où on lui reproche déjà une fureur de chasse inconcevable.

Les lettres de ma mère et d’Augustine m’apprennent que vous avez fait une excursion au Vigan. Augustine en paraît ravie. Je ne pense pas que vous y restiez longtemps. Je vous adresserai donc ma lettre à Lavagnac.

Je n’ai plus de nouvelles de M. de la M[ennais], au moins de fraîches(4).On prétend qu’il a écrit qu’il serait toujours chrétien, mais que pour être catholique… Cependant, dans sa dernière lettre qui est du 3 septembre, il me disait, en parlant de l’impossibilité où l’on est de parler et de se taire:

En attendant que Dieu dénoue ces terribles difficultés, il ne reste au vrai chrétien qu’à s’envelopper dans son manteau et à prendre garde d’augmenter le mal en essayant d’y apporter un remède quelconque et à devenir ainsi une cause involontaire de troubles nouveaux et de schisme peut-être.

On ne peut se dissimuler que la tête de cet homme travaille beaucoup. Je prie Dieu pour lui, je tremble et j’espère.

Ce qui est arrivé à M. Vernière me fait à la fois plaisir et peine. Voilà un homme admirable, dont on s’efforce de détruire la réputation. J’ai parlé de lui au cardinal Micara, qui croit que ses idées sont justes et que, si on ne l’emploie pas, il doit garder le silence, mais que si on l’emploie, il doit agir d’après les mêmes principes. Ce n’est pas du moins un des moindres sujets de mes craintes que cette résolution prise d’annihiler le sacerdoce, si je puis parler ainsi. Mais je ne devrais pas dire cela, car il paraît que je n’ai pas le bonheur d’être compris par lettre. Ma mère m’a écrit une lettre pleine de réflexions, dont je n’ai pas du tout compris l’intention. C’est ma faute sans doute, si je me fais mal comprendre. Elle a dû cependant recevoir de moi une lettre, dans laquelle je crois lui faire voir ce que je pense sur un certain genre de conduite. Si elle peut engager l’abbé Gabriel à lui montrer une lettre que je lui écris par le courrier d’aujourd’hui, elle me comprendra mieux encore; mais j’avoue que je ne me croyais pas aussi énigmatique.

Adieu, mon cher petit père. Ce n’est pas sans quelque plaisir que je pense que pourtant plus de la moitié du temps de notre longue séparation s’est enfin écoulé. Je dis sans quelque plaisir, car ce qu’il en reste est bien long encore. Je vous embrasse de tout mon coeur.

Emmanuel.

Je vous prie de faire parvenir la lettre ci-jointe à M. Vernière, dont j’ignore l’adresse.

E.D'ALZON
Notes et post-scriptum
1. Conspiration appelée ainsi du nom de la rue de Paris, où Poncelet, un des chefs des conjurés, avait établi son quartier général. Les conjurés devaient envahir les Tuileries durant le bal du 1er au 2 février 1832, mais la police prévenue fit avorter le mouvement.
2. Mouvement insurrectionnel contre Louis-Philippe; il donna lieu à des troubles sérieux dans Paris, les 5 et 6 juin 1832.
3. Mlle Adélaïde était la soeur du roi Louis-Philippe; Mme Athalin, la femme d'un pair de France.
4. L'abbé de la Mennais ne faisait que répondre aux lettres d'Emmanuel. Sa dernière réponse, du 3 septembre, suppose une lettre du 19 août de l'abbé d'Alzon, qui est en bonne partie perdue. Emmanuel avait dû lui écrire encore de Florence.