Vailhé, LETTRES, vol.1, p.745

19 nov 1834 Rome, DU_LAC Melchior
Informations générales
  • V1-745
  • 0+227|CCXXVII
  • Vailhé, LETTRES, vol.1, p.745
Informations détaillées
  • 1 ACTES PONTIFICAUX
    1 AMITIE
    1 ARMEE
    1 CHOIX
    1 CONGREGATION DE L'INDEX
    1 DIPLOMATIE
    1 DOCTRINE CATHOLIQUE
    1 DOGME
    1 EGLISE
    1 ENCYCLIQUE
    1 ERREUR
    1 FAUSSES DOCTRINES
    1 FOI
    1 HERESIE
    1 INTELLIGENCE
    1 JANSENISME
    1 LIBERTE
    1 LIVRES
    1 MATIERES SCOLAIRES
    1 PAPE
    1 PARTI
    1 PENSEE
    1 PHILOSOPHIE CHRETIENNE
    1 POLITIQUE
    1 POUVOIR
    1 PRESSE
    1 PUBLICATIONS
    1 SOUMISSION DE L'ESPRIT
    1 THEOLOGIE
    1 THEOLOGIENS
    1 UNION DES COEURS
    1 VERTU D'OBEISSANCE
    2 ALZON, MADAME HENRI D'
    2 BAILLY, EMMANUEL
    2 BAILLY, EMMANUEL SENIOR
    2 BAILLY, VINCENT DE PAUL
    2 BENOIT XIV
    2 BORGHESE, PRINCESSE
    2 DU LAC, JEAN-MELCHIOR
    2 GERBET, PHILIPPE-OLYMPE
    2 GREGOIRE XVI
    2 JANSENIUS
    2 LAMENNAIS, FELICITE DE
    2 MICARA, LODOVICO
    2 MIGNE, JACQUES-PAUL
    2 NICOLAS I
    2 O'MAHONY, ARTHUR
    2 ODESCALCHI, CARLO
    2 OLIVIERI, MAURIZIO
    2 SALINIS, ANTOINE DE
    2 TACONNET, EUGENE
    2 VENTURA, GIOACCHINO
    2 VEUILLOT, LOUIS
    2 VIELLE DE
    3 FRANCE
    3 ROME
    3 RUSSIE
  • A UN AMI.
  • DU_LAC Melchior
  • le 19 novembre 1834.
  • 19 nov 1834
  • Rome,
La lettre

Mon cher ami,

Je viens de recevoir votre lettre du 1er novembre, au moins commencée ce jour-là. Je vous remercie de n’avoir jamais douté de mon amitié et d’avoir pensé que votre silence, quelque long qu’il pût être, ne pourrait le moins du monde l’altéré. Pour ne pas perdre le temps, je vais vous faire part des réponses que j’ai reçues, il y a quelques heures, des PP. Ventura, Olivieri et du cardinal Micara, au sujet des questions que vous me faites et que je leur ai soumises.

D’abord, presque tous les théologiens pensent que l’encyclique n’est pas un acte dogmatique ex cathedra, et je puis même dire tous, mais ceci a besoin d’explication. Je ais donc vous développer l’opinion de chacun de ces Messieurs en particulier, que j’expliquerai par ce qu’ils ont dit en d’autres circonstances sur le même sujet.

Ni le P. Ventura ni aucun des deux autres ne pensent que vous deviez rien présenter à la Sacrée Pénitencerie. Ou on ne vous répondra pas, ou on vous répondra par une décision qui ne serait pas obligatoire pour vous. La Sacrée Pénitencerie et l’Index sont établis pour l’Eglise, mais par un privilège que les Papes ont sanctionné par leur silence la France ne relève pas de ces deux tribunaux. Autrement, il faudrait interdire la lecture de tout journal, quel qu’il fût, qui n’aurait pas l’approbation de l’Inquisition ou de l’évêque. Il est évident cependant qu’en France on agit tout autrement, et l’on agit avec droit, puisque l’on a sur cet article une discipline particulière. Vous pouvez donc être sûr que la Sacrée Pénitencerie vous répondrait que vous êtes obligé en conscience d’obéir à l’encyclique, même sur les points pour lesquels vous êtes exempt d’après les principes d’une discipline particulière. Ainsi le comte O’Mahony demanda s’il pouvait publier son journal sans permission, et on lui répondit que non. Il demanda s’il pouvait imprimer les nouvelles purement politiques; on lui répondit négativement encore, parce qu’on parlait des principes du droit commun, quoiqu’on sût bien que ces principes n’étaient pas suivis en France(1). Or, il n’y a aucune obligation à suivre des principes qui ne sont pas désapprouvés, tels que sont les principes de l’Eglise de France relativement à l’Index et à la Sacrée Pénitencerie.

Selon le P. Ventura et selon un grand nombre de théologiens, les deux dernières encycliques ne sont point des actes doctrinaux, et voici comment. Un acte doctrinal est celui où le Pape condamne un ouvrage ou une doctrine examinés avec attention. Or, voici les conditions de l’examen. Je les copie dans la bulle de Benoît XIV mise en tête des catalogues de livres mis à l’Index: Quoiam vero in Congregatione indicis de sola librorum proscriptione agitur…, quotiescumque agatur de libro auctoris catholici, qui sit integrae famae et clari nominis vel ob alios editos libros, vel forte ob eum ipsum qui in examen adducitur, et hunc qui dem proscribi oporteat, prae oculis habeatur usu jam dici recepta consuetudo prohibendi librum, adjecta clausula: donec corrigatur, seu donec espurgetur. Si locum habere possit, nec grave quid plane obstet, quominus in casu de quo agitur adhiberi valeat…,hoc etiam in posterum ab ea (Congregatione Indicis) servari optamus, ut, quando res sit de auctore catholico aliqua nominis et meritorum fama illustri, eusque opus demptis demendis in publicum prodire et prodesse posse dignoscatur, vel auctorem ipsum suam causam tueri volentem audiat, vel unum et consultoribus designet qui ex officio operis patrocinium defensionemque suscipiat.

D’après ces paroles, le P. V[entura] pense qu’il n’y a jugement doctrinal que lorsque la doctrine a été discutée; que ne l’ayant pas été dans la cause de M. de la M[ennais], le jugement doctrinal ne subsiste pas. Cependant, pour tout dire, il faut avouer que le Pape ne dit pas: Jubemus, decernimus, mais optamus, et qu’il valide les jugements précédents rendus sans les formalités indiquées par lui. Le P. Ventura continuant son explication m’a fait observer encore que le Pape ne rendait de décision dogmatique que lorsqu’il définissait les propositions à condamner, qu’ainsi les propositions condamnées dans le livre de Jansénius étaient des propositions condamnées par un jugement dogmatique, mais que jusqu’à la bulle Unigenitus on pouvait déclarer les propositions condamnables, sans qu’on fût obligé de reconnaître qu’elles étaient dans Jansénius; ce qui n’était plus permis, dès que par une décision ex cathedra le Pape eut déclaré quelles s’y trouvaient. Or, dans les Paroles d’un Croyant il n’y a aucune proposition formellement condamnée. Le P. Ventura reconnaît dans ce livre des propositions fausses, mais il n’en reconnaît aucune qu’on puisse le forcer à condamner aù moins de l’encyclique. Il paraît que, sur ce point, la presque totalité des théologiens est d’accord. Ce qu’il faut conclure, c’est que l’ouvrage est désapprouvé, qu’il faut le lire avec précaution, mais qu’on ne peut en extraire aucune proposition dont on puisse dire: « Cette proposition est condamnée par l’encyclique. »

Le P. Olivieri m’a répondu à peu près dans les mêmes termes. Il m’avait dit hier ou avant-hier que l’on devait recevoir l’encyclique avec une soumission d’enfant, mais [que], quand on cherchait à la comprendre, on était étonné de n’y trouver rien ou presque rien contre l’abbé de la M[ennais]. Il m’a ajouté que le Saint-Office avait l’habitude de faire abjurer ceux qui se soumettaient au tribunal, de trois manières: d’abord, des hérésies certaines, comme un Janséniste par exemple, s’il s’était présenté à l’Inquisition; ensuite, de suspicione gravi, c’est-à-dire les auteurs des livres, où l’on ne pourrait pas trouver une hérésie, mais dont les propositions pourraient aisément [être] prises dans un mauvais sens; enfin, de suspicione levi, c’est-à-dire les auteurs, dont on pourrait par certaines phrases soupçonner la tendance hérétique; et qu’après l’encyclique, M. de la M[ennais] devrait être rangé dans la seconde catégorie, de façon que les Paroles d’un Croyant ne sont pas absolument mauvaises, mais qu’on peut aisément leur attribuer un mauvais sens, et que c’est contre le funeste effet qu’elles pourraient avoir que le Pape s’est élevé.

Enfin, le cardinal M[icara] m’a distingué trois ordres de jugements pontificaux, ce qui rentre dans ce que m’a dit le P. Ventura: le jugement doctrinal simple, comme lorsque, dans la première encyclique, le Pape expose simplement la doctrine de l’Eglise; le jugement doctrinal, lorsqu’il enseigne ce qu’il faut croire en telle ou telle matière; et enfin, le jugement dogmatique, tel que celui qui fut rendu à propos de Jansénius, lorsque chaque proposition fut formulée.

Il est évident que l’encyclique du Pape contre les Paroles n’est point dans la seconde catégorie.

De tout cela il résulte pour moi une conclusion bien simple, c’est que du moment qu’on s’est soumis à l’encyclique, et qu’on a cherché certaines propositions malsonnantes dans les Paroles et qu’on les a extraites, on peut être tranquille sur tout le reste. Le cardinal a été une fois jusqu’à m’assurer qu’en ôtant certaines propositions, quatre ou cinq au plus, qui tendent à détruire la notion du pouvoir, les Paroles d’un Croyant étaient l’expression de la doctrine de Rome.

Pour le système philosophique, le P. Olivieri, le cardinal et le P. Ventura, et presque tous les théologiens attachent peu d’importance à ce que dit le Pape, parce que, dit le P. Olivieri, ce blâme n’a été lancé que pour prévenir les fidèles [contre] un système philosophique produit par un homme qui se serait trompé en politique. C’est l’explication du cardinal Micara et du cardinal Odescalchi, qui cependant est adversaire de M. de la M[ennais]. Le cardinal Micara persiste à croire que la doctrine du sens commun est la seule sur laquelle repose la vraie philosophie. Le P. Olivieri pense de même; de façon que, plus je vois du monde capable de juger cette question, plus je m’assure que l’abbé de la M[ennais] a raison de garder le silence. Je me repens de l’avoir,dans ma dernière lettre, engagé à se soumettre. Heureusement que mes paroles ont peu de poids! Ce n’est pas que je ne pense pas qu’il ne doive être soumis de coeur; mais parce que, comme me disait le cardinal Micara, s’il fait une soumission, on exigera plus de lui qu’on n’est en droit de lui demander.

Je vous prie de garder cette lettre uniquement pour vous et pour ceux de nos amis qui ne compromettront ni moi ni les personnes que je vous cite. Quoique aucune des personnes dont je vous parle ne taise son opinion, elles verraient avec peine que leur nom fût mêlé en France à des discussions que l’esprit de parti envenime toujours.

Le P. Ventura s’est trouvé sans le savoir, il y a un mois, chez la princesse Borghèse, avec l’ambassadeur de Russie: il en dit de toutes les couleurs contre Nicolas. « Monsieur, lui dit l’ambassadeur, savez-vous que Nicolas a pour lui bien des baïonnettes? -Monsieur, lui répondit le Père, savez-vous qu’il a contre lui bien des intelligences? ce qui est un peu plus fort par le temps qui court. »

L’opinion du P. V[entura] est qu’on doit s’unir de toutes parts pour demander la liberté de religion, d’éducation, et les libertés provinciales. Il m’a développé de très belles idées sur l’histoire de la philosophie, analogues à celles que de Vielle(?) imprima dans le temps, dans le Mémorial catholique, à propos de la littérature. L’esprit humain selon lui, se développe sous trois formes: la forme d’autorité, la forme de liberté et la, forme dans laquelle l’autorité est unie à la liberté. C’est cette dernière qui, en religion, en politique et en philosophie, est la meilleure, parce qu’elle fait reposer l’intelligence, sur des bases éternelles, en même temps qu’elle permet le légitime développement de l’esprit humain. Sous ce rapport, il reproche à M. de la M[ennais] d’avoir trop anéanti la raison dans la première exposition de son système.

Vous me demandez des explications sur la distinction que l’abbé de la M[ennais] fait entre l’ordre de foi et l’ordre de conception. J’ai toujours entendu ici, et particulièrement le, P. Olivieri, distinguer la philosophie et la théologie. Le cardinal Micara me répète sans cesse que Rome ne condamne pas les systèmes philosophiques; il me le disait encore ce soir. C’est-à-dire que, la foi une fois, admise, l’Eglise permet à chacun d’expliquer le dogme comme il l’entend. Il y a plus: certaines preuves de la religion sont en dehors de la foi, et l’Eglise permet de se servir de l’ordre de preuves le plus conforme à la raison de chacun.

Voilà, si je comprends bien, ce que j’entends dire tous les jours. Peut-être mes explications sont-elles un peu obscures. Si je ne me fais pas bien comprendre, faites-le-moi savoir, et je tâcherai d’être plus clair.

Ma mère, j’en suis persuadé, sera enchantée de vous voir. Allez la voir le plus souvent que vous pourrez. Je vous charge de mille choses aimables pour le bon M. Bailly.

Adieu, cher ami(2).

Notes et post-scriptum
2. Nous pensons que cette lettre était adressée à du Lac, qui n'était pas encore en relation avec la famille d'Alzon et qu'Emmanuel devait recommander à sa mère, dans sa lettre du 26 novembre. Il était à Paris depuis peu de temps, rédacteur à l'*Univers*, fondé par Migne le 23 novembre 1833, et dont Bailly, le père des PP. Vincent de Paul et Emmanuel, venait de prendre la direction, en attendant que Taconet l'achetât et que Louis Veuillot en devint le rédacteur en chef. A ce titre, du Lac pouvait se croire obligé, après la nouvelle Encyclique, d'obtenir pour son journal l'autorisation, soit de la Congrégation de l'Index, soit du Saint-Office. Voir la note de le CCXXVI.1. O'Mahony dirigeait l'*Invariable* de Fribourg, qu'il avait intitulé encore *Nouveau mémorial catholique*, et dans lequel il attaquait les doctrines de La Mennais, après les avoir soutenues dans le *Mémorial catholique*, de Gerbet et de Salinis. L'abbé Féli trouva que cette façon de le combattre, en s'appropriant le titre de la revue de son école, manquait aux plus élémentaires convenances.
2. Nous pensons que cette lettre était adressée à du Lac, qui n'était pas encore en relation avec la famille d'Alzon et qu'Emmanuel devait recommander à sa mère, dans sa lettre du 26 novembre. Il était à Paris depuis peu de temps, rédacteur à l'*Univers*, fondé par Migne le 23 novembre 1833, et dont Bailly, le père des PP. Vincent de Paul et Emmanuel, venait de prendre la direction, en attendant que Taconet l'achetât et que Louis Veuillot en devint le rédacteur en chef. A ce titre, du Lac pouvait se croire obligé, après la nouvelle Encyclique, d'obtenir pour son journal l'autorisation, soit de la Congrégation de l'Index, soit du Saint-Office. Voir la note de le CCXXVI.