Vailhé, LETTRES, vol.1, p.767

3 jan 1835 Rome, ALZON_MADAME
Informations générales
  • V1-767
  • 0+234|CCXXXIV
  • Vailhé, LETTRES, vol.1, p.767
Informations détaillées
  • 1 APOSTOLAT
    1 APOTRES
    1 ARMEE
    1 ASCENSION
    1 AUTEL
    1 BONHEUR
    1 CELEBRATION DE LA MESSE PAR LE PRETRE
    1 CLERCS
    1 CLERGE REGULIER
    1 CLERGE SECULIER
    1 CONSECRATION
    1 CONVERSIONS
    1 CRAINTE
    1 CURE
    1 DIEU
    1 EVEQUE
    1 INSTITUTS RELIGIEUX
    1 JESUS-CHRIST
    1 MAITRES
    1 MARIAGE
    1 MISSIONNAIRES
    1 MISSIONS ETRANGERES
    1 PAPE
    1 PERSECUTIONS
    1 PREDICATION
    1 PRETRE
    1 PROVIDENCE
    1 REFORME DE L'INTELLIGENCE
    1 REFORME DE LA VOLONTE
    1 SACERDOCE
    1 SEMINAIRES
    1 SENTIMENTS
    1 TOMBEAU
    1 TRAVAIL DE L'ETUDE
    1 VICAIRE
    1 VOLONTE DE DIEU
    2 ALZON, AUGUSTINE D'
    2 ALZON, HENRI D'
    2 BONNETTY, AUGUSTIN
    2 CHAFFOY, CLAUDE-FRANCOIS DE
    2 DOMINIQUE, SAINT
    2 FRANCOIS D'ASSISE, SAINT
    2 GABRIEL, JEAN-LOUIS
    2 IGNACE DE LOYOLA, SAINT
    2 MICARA, LODOVICO
    2 ODESCALCHI, CARLO
    2 PAUL, SAINT
    2 PIERRE, SAINT
    2 PUYSEGUR, MADAME ANATOLE DE
    2 VERNIERES, JACQUES
    3 FRANCE
    3 JUDEE
    3 NIMES
    3 ORIENT
    3 ROME, BASILIQUE SAINT-PIERRE
    3 ROME, COUVENT SAINT-EUSEBE
  • A SA MERE (1).
  • ALZON_MADAME
  • le 3 janvier 1835.
  • 3 jan 1835
  • Rome,
  • Madame
    Madame la vicomtesse Henry d'Alzon,
    rue de Varennes, n° 4.
    Paris.
La lettre

Ma chère petite mère,

Il y a aujourd’hui huit jours que j’ai dit ma première messe. Si je ne vous ai pas écrit encore, c’est que j’attendais à chaque courrier une lettre de vous. Que puis-je vous dire de tout ce que j’ai éprouvé pendant ces huit jours? Il faut dire la messe pour comprendre ce que c’est. Je n’en avais pas d’idée. Depuis huit jours, le bon Dieu me traite comme un véritable enfant gâté. Je suis heureux, plus que je ne pensais qu’on pût l’être dans ce monde, et, bien sûr, s’il est vrai que les hommes ici-bas ne doivent prétendre qu’à un certain degré de bonheur, je n’aurais plus le droit de rien demander à la Providence pour le reste de ma vie: elle m’a payé d’avance.

Je dis, depuis quelques jours, la messe à l’autel de Saint-Pierre, dans le caveau où sont ses restes et ceux de saint Paul. Je suis seul avec mon clerc. Je ne suis pas obligé de me dépêcher. Vous ne sauriez croire ce qu’il y a de délicieux dans tout cela. Cependant, il n’y a qu’aujourd’hui que j’ai été bien sûr d’avoir prononcé les paroles qui précèdent la consécration. Quoique je les sache à merveille, un nuage me passe devant les yeux, je ne sais plus où j’en suis.

J’espère que tout ce que je vous dis ne vous fera pas trop de peine, mais je veux parler d’autre chose avec vous. Dans votre dernière lettre, vous me faisiez part de vos craintes sur mon compte; vous me disiez que vous craigniez beaucoup un prêtre libre. Qu’entendez-vous par prêtre libre? C’est ce que je ne sais pas bien. Est-on prêtre libre, du moment qu’avec la permission de son évêque on n’est ni curé ni vicaire? Dans ce cas, M. Vernière vous dira que les meilleurs sujets qu’il a formés avaient tous du dégoût pour les cures et les vicariats.

M. Vernière voudrait que je fusse missionnaire. Les Jésuites, que j’ai consultés pendant mon séjour à Saint-Eusèbe, m’ont dit que je devais aller prêcher. Le cardinal Micara, que j’ai consulté, m’a répondu que je ne devais pas agir avec la précipitation française, mais que je devais continuer mes études, parce qu’il croyait que je ferais un bon professeur de Séminaire. Aucun ne m’engage à être vicaire ou curé. Cependant, mon intention est d’être vicaire pendant un an, afin d’apprendre un peu le ministère.

Une chose qui, selon moi, vous empêche de bien voir la position des prêtres, c’est que le système de l’Eglise se compose de deux parties, le clergé séculier et le clergé régulier: le clergé séculier, qui dans l’Eglise est ce qu’est la magistrature dans l’Etat, et le clergé régulier, qui est comme l’armée ecclésiastique. Or, en France, il n’y a plus cette armée; les débris qui en restent ne sont presque rien. Ceux donc qui se sentent appelés au sacerdoce, mais au sacerdoce militaire, si je puis parler ainsi, se trouvent dans une position exceptionnelle. Or, je ne sais pourquoi vous ne voulez voir de clergé que pour ceux qui sont appelés à- faire les fonctions administratives, et ce n’est pas là que je me sens appelé à travailler. Est-ce ma faute? Je ne le pense pas. Que j’obtienne l’assentiment de l’évêque de Nîmes, et je me mets avec cinq ou six autres prêtres de ma connaissance dans une maison de missionnaires. Mais je ne pense pas qu’on veuille de cela. Les évêques en France n’aiment guère ces choses-là. Ils ont peur de voir s’élever des corps religieux indépendants de leur puissance. Les persécutions dont M. Vernière est l’objet n’ont pas d’autre cause. Peu importe. Je crois que la main de Dieu fera l’oeuvre, malgré les efforts des hommes. Il y a, dans ce moment, une pensée qui germe en secret dans une trop grande quantité de têtes, pour ne pas avoir été semée d’en haut et pour ne pas produire tôt ou tard quelque résultat.

Ne croyez pas que le genre de l’abbé Gabriel me séduise le moins du monde. S’il est ce que vous me dites, tout en admirant ce qu’il peut avoir de bon, je déplorerais qu’un peu plus de fermeté d’esprit ne lui soit pas donnée pour faire tout le bien dont il est capable. Quant à ce que je vous disais que le temps de faire du bien n’était pas encore venu, vous m’avez assez mal compris. Il est des temps où il n’est pas bon de faire le bien. Pourquoi les apôtres ne quittèrent-ils la Judée que douze ans après l’Ascension de Jésus-Christ? Pourquoi Dieu n’a-t-il pas permis que saint Dominique, saint Ignace, saint François d’Assise exécutassent leurs projets de conversion pour l’Orient? Pourquoi les Papes eux-mêmes empêchent-ils souvent certaines missions? Parce que le temps n’est pas venu. Ensuite, le temps peut être venu pour un pays d’être converti, et non pour un de ceux qui soit appelés à travailler selon les vues de miséricorde de la Providence.

Voilà, ce me semble, ma proposition expliquée, et je persiste à penser que le temps n’est pas encore venu pour moi de travailler en public. De tout cela je m’en remets à la Providence. Quelle que soit ma manière de voir, si l’évêque de Nîmes, que je verrai en passant, n’approuve pas mes idées, je saurai les sacrifier; Je suis convaincu avant tout que ce n’est [pas] en faisant ma volonté que je ferai celle de Dieu; Il y a bien des choses que je n’aurais pas faites, si je n’avais fait que ce que je voulais.

J’espère, ma chère petite mère, que vous serez contente de cette explication, que j’avais besoin de vous donner. Que si vous n’êtes pas entièrement satisfaite, vous aurez la bonté de me dire sur quels points, afin que je tâche de bien m’expliquer et de ne plus vous laisser aucun doute ni aucune crainte.

Il n’y a ici aucune nouvelle intéressante. Je pense souvent à Augustine et à son affaire. Je souhaite qu’elle trouve autant de bonheur que j’en ai trouvé jusqu’à présent, quoique je ne pense pas que ce soit le bonheur qu’il faille chercher sur la terre, lorsqu’on se fait prêtre. Mais quand Dieu l’envoie, je ne vois pas pourquoi on ne l’accepterait pas. Il faut que j’aille voir le cardinal Odescalchi; c’est pour cela que je m’arrête. Je vous prie de dire à Bonnetty que je lui écrirai par le prochain courrier.

J’embrasse mon père et mes soeurs. Adieu, chère petite mère. Au mois de juin.

Emmanuel.
Notes et post-scriptum
1. Reproduite en partie dans *Notes et Documents* t. 1er p. 611 622-624, 627.1. Reproduite en partie dans *Notes et Documents* t. 1er p. 611 622-624, 627.