Vailhé, LETTRES, vol.1, p.770

17 jan 1835 Rome, ALZON_AUGUSTINE
Informations générales
  • V1-770
  • 0+235|CCXXXV
  • Vailhé, LETTRES, vol.1, p.770
Informations détaillées
  • 1 ADVERSAIRES
    1 AMITIE
    1 BANQUES
    1 CARDINAL
    1 CELEBRATION DE LA MESSE PAR LE PRETRE
    1 CHAPELLE
    1 CONGREGATIONS ROMAINES
    1 CORPS
    1 DOULEUR
    1 ENCYCLIQUE
    1 ENFANTS
    1 ENTERREMENT
    1 EPREUVES SPIRITUELLES
    1 MALADIES
    1 MARIAGE
    1 MARTYRS
    1 PROVIDENCE
    1 RELIGIEUX HOMMES
    1 SAINTS
    1 SCANDALE
    1 SOUMISSION DE L'ESPRIT
    1 SUPERIEUR GENERAL
    1 TOMBEAU
    2 BONNETTY, AUGUSTIN
    2 DU LAC, JEAN-MELCHIOR
    2 EUTYCHIE, SAINTE
    2 GEMELOS
    2 GREGOIRE XVI
    2 LAMENNAIS, FELICITE DE
    2 MICARA, LODOVICO
    2 MONTPELLIER THEODORE-JOSEPH DE
    2 MORTIER, ANTONIN
    2 ODESCALCHI, CARLO
    2 OLIVIERI, MAURIZIO
    2 PETIT, ABBE
    2 ROZAVEN, JEAN-LOUIS DE
  • A SA SOEUR AUGUSTINE (1).
  • ALZON_AUGUSTINE
  • 17 janvier 1835.
  • 17 jan 1835
  • Rome,
  • Mademoiselle
    Mademoiselle Augustine d'Alzon
    rue de Varennes, n° 4 faubourg St-Germain.
    Paris.
La lettre

Ma chère amie,

Je reçois à l’instant, c’est-à-dire il y a deux ou trois heures, ta lettre des 2 et 5 janvier. Je commence d’y répondre; la fin arrivera quand elle pourra.

Tout ce que tu m’apprends me vexe moins que tu pourrais le penser. La lettre que j’ai écrite est le résumé de ce que je savais de plus positif sur l’affaire. J’avais fait part de ce résumé à un prêtre, qui le communiqua au P. Rozaven, lequel Père trouva qu’il n’y avait rien à dire. En effet, je ne dis pas que l’abbé soit exempt de tout reproche; je dis que M. de la Mennais [n’est] pas condamné d’une manière positive, et ceux qui diront le contraire sont des gens qui n’entendent pas un mot aux procédures romaines. Demande un peu aux gens qui viennent se scandaliser, si des propositions ont été extraites, si on a formulé ces propositions.

Les ennemis mêmes de M. de la M[ennais] ne s’entendent pas sur le sens de la condamnation. L’abbé de Montpellier prétend que le blâme [atteint] le système philosophique sur le sens commun. Le cardinal Odescalchi, qui n’est pas suspect non plus, prétend que ce blâme porte sur l’union exagérée de la religion avec la liberté. Qui croire? Faut-il attendre une nouvelle encyclique? L’abbé de Montpellier me disait qu’il savait de source certaine que son opinion était celle du Pape. Le cardinal Odescalchi me donna la sienne comme étant du Pape également. J’ai pris le parti du P. Olivieri. J’ai tâché de me soumettre avec la simplicité d’un enfant ; j’ai ensuite essayé de prendre les paroles de l’encyclique dans le sens qui me paraissait le plus naturel. J’ai bien vu qu’elles blâmaient quelque chose, mais que ce quelque chose n’était pas grand’chose.

Tu peux, si tu le veux, faire part de ces observations à M. Petit, à qui tu présenteras mes humbles respects par la même occasion. Les Paroles d’un croyant sont sévèrement condamnées, parce que le Pape a voulu les prendre dans leur sens naturel, et en ce sens elles ont des propositions très blâmables. Que le Pape ait bien fait de ne pas rechercher l’intention de l’auteur, ce n’est pas moi qui dirai le contraire; mais il faut avoir bien peu de tact pour croire que l’abbé de la M[ennais] n’avait [pas] une autre pensée, pensée que certaines personnes peuvent ne pas aimer, mais qu’on ne pourra jamais condamner.

A la suite de certaines vexations de religieux, le P. Olivieri a donné sa démission de général des Dominicains: il s’est retiré au Saint-Office où j’ai bien peur qu’on ne l’enterre avant peu(2). Il a une maladie d’entrailles qui pardonne bien rarement. Les souffrances morales qu’il à éprouvées n’ont pas peu contribué à donner à son mal une nouvelle force. J’allai le voir l’autre jour; je n’ai rien vu de plus admirable. La douleur faisait rouler les larmes sur ses grosses joues; il continua à me parler avec le même calme; « Toutes ces vexations, me dit-il, font du bien à l’esprit; on apprend à ne s’attacher qu’à Dieu et à compter les hommes pour rien. Après tout, me dit-il encore, il en coûte quelque chose d’avoir été l’ami de M. de la M[ennais]; mais la Providence est là qui ne permettra pas que l’Eglise soit renversée et qui lui rendra la liberté dont elle a besoin. »

Le cardinal M[icara] est malade: il a des douleurs spasmodiques très fortes.

J’assistai l’autre jour(3) à la translation de quelques corps saints qu’on avait trouvés dans les catacombes. Toutes les fois que les ouvriers qui sont chargés de faire des fouilles ont découvert un certain nombre de tombeaux, ils font prévenir soit le cardinal vicaire, soit l’évêque sacriste du Pape qui envoie pour prendre le corps. Cette fois, c’était un religieux augustinien qui fut chargé de présider à l’extraction des ossements.

Nous allâmes d’abord dans une catacombe, qui est depuis peu fouillée et où l’on peut se faire une idée de la manière dont les chrétiens cachaient les issues par lesquelles ils pénétraient dans ces lieux de leurs réunions; Dans une vigne et sous une vieille muraille cachée par des broussailles, nous descendîmes par un escalier très rapide dans les longues et étroites allées qui sont garnies à droite et à gauche de sépultures vides. Nous trouvâmes là trois tombeaux, que l’on reconnut être ceux de martyrs, soit à la palme gravée sur la pierre qui ferme le sépulcre, soit à un petit vase dans lequel on voit le sang séché du martyr. Les chrétiens avaient toujours la précaution de laisser un de ces indices. Quand les ossements ont été dans un lieu humide, ils sont ordinairement très bien conservés; quand ils sont dans un lieu sec, ils ont la plus belle apparence, mais ils se brisent en les touchant et se réduisent en poussière.

Les corps de cette première catacombe n’avaient pas de nom; mais nous allâmes dans une seconde, beaucoup plus belle à cause de la hauteur des allées et du nombre des chapelles. Après avoir marché sous terre pendant un quart d’heure, au milieu d’excavations faites dans les parois du mur, excavations dont la grandeur faisait connaître la grandeur des corps qu’elles avaient contenus -il y en avait d’enfants d’un an et au-dessous,- nous arrivâmes à deux tombeaux fermés chacun par une pierre de marbre; Sur l’une de ces pierres était écrit, en grec, Gemelos, et sur l’autre, Eutychia.

Les os de sainte Eutychia étaient bien conservés, mais ils se réduisaient en poudre quand on les touchait. Elle paraissait âgée, car il lui manquait quelques dents. Nous trouvâmes sous sa tête un tube en verre dans lequel était renfermée une partie de son sang. A ses pieds, étaient les ossements de deux autres martyrs qui, probablement, avaient été dévorés par les bêtes; leurs ossements avaient été brisés évidemment avant d’avoir été portés là: les têtes étaient séparées des corps. Ce fut moi qui les posai dans les caisses qu’on avait apportées pour les recevoir. Tu ne saurais croire quel sentiment j’éprouvais en tenant entre mes mains ces têtes des saints inconnus. Leur sang, qu’on avait recueilli après leur mort et répandu dans le tombeau, avait tellement rougi la terre qu’on distinguait, évidemment, qu’il avait été versé pendant le supplice. Mes mains en étaient tout imprégnées.

Tu peux être sûre que je ne manquerai pas de dire la messe, le 24 de ce mois, à l’intention que tu m’as indiquée. Tu ne me dis pas un mot de tes affaires. Est-ce qu’il n’y a rien sur le tapis? Allons, Mademoiselle, parlez! Parleras-tu? Il y a eu hier un bal magnifique à la Banque. Il y avait, je crois, quatorze cardinaux, presque tous les prélats. On avait voulu m’y faire aller, mais je ne m’en suis pas soucié.

Adieu, ma chère amie. Ecris-moi de longues lettres. Je vous embrasse tous.

Emmanuel.

Je joins ici la copie de la déclaration qu’on m’a demandée. Tu me feras plaisir de la communiquer à Bonnetty, à M. du Lac, à M. Petit, si cela peut faire cesser le scandale que ma lettre lui cause. Je te prie de lui faire observer que je n’entends pas rétracter un mot ni de ma déclaration ni de ma lettre, parce qu’elles s’accordent toutes deux parfaitement.

Ego infra scriptus, sacros ordines suscepturus, profiteor me epistolas encyclicus Sanctissimi Domini Nostri Gregorii Papae XVI, datus die 15 augusti anni 1832 et 25 junii 1834, suscipere cum debita intellectus et voluntatis submissione, promittens me doctrinam in illis expositam nunc probaturumr et secuturum doctrinasque et opiniones in iisdem reprobatas sincere et ex animo reprobaturum, sine ulla distinctione vel restrictione; itemque novum systema philosophicum, de quo mentio est in secund, encyclica, tamquam fallax et improbandum rejecturum esse, sicut quamcumque aliam novitatem doctrinae in encyclicis contentae contrariam. Promitto insuper me numquam consensurum aut participaturum consiliis eorum qui dictarum encyclicarum auctoritatem elevare conantur, quocumque praetextu, aut eas ad proprium ipsorum sensum detorquere, nec quidquam facturum, scripturum, aut dicturum quo talia, consilia probare videar.

Datum Romae 12 decembris 1834.

Cette copie m’a été remise par le cardinal Odescalchi, le 19 janvier 1835(4).

E.D'ALZON
Notes et post-scriptum
1. Voir *Notes et Documents*, t. 1er, p. 486 sq., 581-583.
2. Dans son *Histoire des Maîtres généraux de l'Ordre des Frères Prêcheurs*, t. VII, p. 475, le P. Mortier pense qu'Olivieri donna sa démission en février 1835; il renvoie, du reste, aux lettres à publier du P. d'Alzon, pour avoir des détails plus précis sur ce fait. Notre lettre prouve que le 17 janvier, la démission était déjà un fait accompli.
3. Voir aussi la lettre du 18 janvier à Bonnetty.2. Dans son *Histoire des Maîtres généraux de l'Ordre des Frères Prêcheurs*, t. VII, p. 475, le P. Mortier pense qu'Olivieri donna sa démission en février 1835; il renvoie, du reste, aux lettres à publier du P. d'Alzon, pour avoir des détails plus précis sur ce fait. Notre lettre prouve que le 17 janvier, la démission était déjà un fait accompli.
3. Voir aussi la lettre du 18 janvier à Bonnetty.
4. Il y a deux copies de cette déclaration dans les lettres du -P. d'Alzon: l'une, sans la date finale et sans la réflexion que nous avons reproduite; l'autre, telle que nous l'avons publiée.