Vailhé, LETTRES, vol.1, p.801

7 apr 1835 Rome, ALZON_AUGUSTINE
Informations générales
  • V1-801
  • 0+245|CCXLV
  • Vailhé, LETTRES, vol.1, p.801
Informations détaillées
  • 1 ANGLAIS
    1 ASSOCIATION
    1 BANQUES
    1 CALOMNIE
    1 CARDINAL
    1 CHANT
    1 COLERE
    1 DIGNITES ECCLESIASTIQUES
    1 DOCTRINE CATHOLIQUE
    1 DOMESTIQUES
    1 ECRITURE SAINTE
    1 LIVRES
    1 LOISIRS
    1 MARIAGE
    1 MEMOIRE
    1 MINISTERE
    1 MINISTRES PROTESTANTS
    1 MISSIONS ETRANGERES
    1 NEUVAINES DE PRIERES ET DE PENITENCES
    1 PAQUES
    1 PREDICATION
    1 PROTESTANTISME ADVERSAIRE
    1 PRUDENCE
    1 REPAS
    1 SANTE
    1 SEMINAIRES
    1 SEMINARISTES
    1 SOUVENIRS
    1 TRAVAIL DE L'ETUDE
    1 VOL
    1 VOYAGES
    2 ALZON, HENRI D'
    2 ALZON, MADAME HENRI D'
    2 AURIOL, D'
    2 BONNETTY, AUGUSTIN
    2 CHAFFOY, CLAUDE-FRANCOIS DE
    2 DREUX-BREZE, PIERRE-SIMON DE
    2 FERET, ANDRE-PROSPER
    2 HORACE
    2 MAC CARTHY, CHARLES
    2 MONTPELLIER THEODORE-JOSEPH DE
    2 PICOT, MICHEL-PIERRE-JOSEPH
    2 PUYSEGUR, MADAME ANATOLE DE
    2 VERNIERES, JACQUES
    2 WISEMAN, DAMES
    3 AFRIQUE
    3 ALBANO
    3 ALBE
    3 AMERIQUE
    3 ANGLETERRE
    3 ASIE
    3 FERENTINO
    3 FRANCE
    3 LIMOGES
    3 MONTE CAVO
    3 NEMI, LAC
    3 NIMES
    3 OLYMPE
    3 PRENESTE, TEMPLE DE LA FORTUNE
    3 ROME
    3 ROME, VIA APPIA
    3 SORA
    3 SUBIACO
    3 TIVOLI
    3 TUSCULUM
  • A SA SOEUR AUGUSTINE (1).
  • ALZON_AUGUSTINE
  • le 7 avril 1835.
  • 7 apr 1835
  • Rome,
  • Mademoiselle
    Mademoiselle Augustine d'Alzon,
    rue de Varennes, n° 4.
    Paris.
La lettre

J’ai reçu avant hier ta lettre ma chère amie. Je n’y réponds qu’aujourd’hui, parce que j’ai été un peu occupé tous ces jours-ci. Je te prie avant tout de dire à mon père que j’ai reçu sa lettre du 22 janvier et que j’y ai répondu par le courrier suivant, mais qu’il est fort possible que ma lettre ne lui soit pas parvenue. Je la fis porter par un petit domestique de la maison, ou je dîne. Or, ce drôle a volé si impudemment certaines choses qu’il n’est pas étonnant que, pour garder cinq sous qu’il faut payer pour toutes les lettres que l’on envoie à l’étranger, il ait déchiré ma lettre et mis les cinq sous dans sa poche. Je te prie de donner cette explication à mon père. Je suis d’autant plus fâché de ce petit incident que je lui disais, autant que je puis le savoir, certaines choses assez intéressantes.

Tu veux des détails de mon genre de vie: il est toujours le même; Je sors fort peu pour faire des visites d’étiquette et même, à proprement parler, je n’en fais pas du tout de ce genre. Tu vas me gronder, j’en suis sûr. Je me gronde moi-même tous les jours; mais si je me mets à voir d’autres personnes que celles qu’il m’est utile de voir, je perdrai un temps incalculable et je serai obligé de retarder mon départ de Rome. Déjà je suis passablement embarrassé pour savoir comment je ferai dans deux mois tout ce que j’ai à faire.

Je ne connais rien des environs de Rome, et cependant je voudrais ne pas partir sans les connaître. On ne se fait pas idée de l’avantage et de l’agrément qu’il y a à rattacher dans sa mémoire certains souvenirs historiques aux lieux où se sont passés les principaux événements de l’histoire romaine. Aussi vais-je, tout de suite après Pâques, entreprendre une excursion à pied de huit à dix jours dans la campagne de Rome. Je pense que j’irai d’abord à Tivoli, à Subiaco, berceau de l’Ordre de Saint-Benoît; si je puis, je monterai jusqu’à Sora; de là, je me rabattrai à Ferentino, chanté par Horace; j’irai à Préneste visiter le temple de la Fortune; je monterai encore une fois à Tusculum; j’irai voir lever le soleil de Monte Cavo, où les Romains plaçaient leur Olympe; si le temps le permet, j’irai me laver de la poussière d’Albe la Longue dans la lac d’Albano ou de Némi et je terminerai en rentrant à Rome par la voie Appia, sur laquelle tant de légions romaines avaient marché pour aller conquérir l’Asie et l’Afrique.

Voilà mon programme. S’il te plaît, comme j’ai le projet d’écrire ce petit voyage, je te ferai part en détail de tous les incidents qui l’auront marqué, et surtout des réflexions sentimentales, poétiques, philosophiques, etc., que la vue des lieux et des monuments pourra m’inspirer.

J’ai à peu près rompu avec les abbés de B[rézé] et de M[ontpellier]. J’en suis quelquefois fâché, mais je m’en console fort aisément. Je suis toujours au mieux avec Mac-Carthy, qui est vraiment un jeune homme du plus grand mérite. Je le vois moins à présent, parce qu’il y a beaucoup d’Anglais de sa connaissance à Rome. Du reste, il vient quelquefois dîner avec moi et m’amène ses amis. J’espère que, si sa santé se fortifie, il pourra faire beaucoup de bien en Angleterre. M. d’Auriol s’est pris d’une belle passion pour moi. C’est un excellent garçon, j’allais dire jeune homme, mais quoiqu’il eût bonne envie de l’être encore, il ne l’est certes plus. Une autre passion, non moins unique, est celle qu’il a pour une jeune Anglaise, Miss Wiseman, la cousine de Mac-Carthy; mais je ne sais pourquoi je vais te parler de cela, je te prie de garder cette bêtise pour toi. Le pauvre garçon perd bien son temps, car je sais qu’on se moque de lui sur sa passion même. Je voudrais le lui faire comprendre, mais il n’y a pas moyen.

Je m’occupe dans ce moment à lire certains ouvrages sur l’Ecriture Sainte. Il est inconcevable comme les protestants ont poussé loin le talent des explications. On ne peut concevoir de délire pareil. Mais tu vas me demander à propos de quoi je te parle de cela. Le voici. Ceci toujours pour toi, et mon père et ma mère, bien entendu.

L’illustre M. Vernière m’écrivait souvent que j’étais fait pour prêcher les protestants. Je lui répondais que je me sentais assez de dispositions pour faire du bien dans ce genre de ministère, mais que je croyais nécessaire de beaucoup m’y préparer. M. Vernière me répondait que mes lettres le désolaient, et je t’avoue que je n’en comprenais pas le motif. Je lui répondais que mon parti était bien pris d’aller, en arrivant en France, trouver l’évêque de Nîmes et de me mettre à sa disposition, de lui exposer mes idées, mais ensuite de m’en rapporter entièrement à lui. Ceci ne contentait pas le cher homme, et je ne comprenais pas trop ce qu’il voulait de plus. Or, par bonheur, un séminariste, sans s’en douter, m’a donné la clé du mystère. Croyant que M. Vernière m’avait tout appris, il m’a écrit et m’a parlé d’un établissement dont je n’avais jamais entendu parler. On me donnait des paroles vagues, mais on ne m’expliquait rien. La lettre du jeune homme m’a tout dévoilé.

J’ai répondu de manière à ce que probablement le jeune homme recevra de M. Vernière un savon pour son indiscrétion, mais cela m’est égal. Il entrerait dans cette association certaines personnes, dont la seule présence suffirait pour m’empêcher de m’y adjoindre. J’ai répondu assez froidement que j’aimais assez d’être prévenu, lorsqu’on jugeait à propos de disposer de moi, que par conséquent je voulais ne rien fixer encore et que, dans tous les cas, j’étais résolu à prier l’évêque de Nîmes de me permettre de rester au moins trois ans encore dans son séminaire ou de retourner à Rome, afin de faire les études que je crois nécessaires, avant de me mettre à lutter contre les ministres protestants. Je sais fort bien qu’on me répondra que les livres ne convertissent pas; mais comme ce n’est pas des livres que je veux faire, que je veux seulement être en état de montrer aux protestants, que je pourrai un jour évangéliser, la doctrine catholique dépouillée de toutes les calomnies dont la salissent les ministres réformés, je laisserai parler ces braves gens qui croient que la bonne volonté seule suffit.

Tu penses bien qu’il est nécessaire d’une grande prudence dans cette affaire. Comme il est très possible que je me trompe et que M. Vernière ait raison, je ne voudrais pas le moins du monde contrarier ses idées; seulement, je m’abstiens d’y coopérer. Nous verrons s’il réussira. Si, comme je l’espère ou au moins je le désire, il réussit, j’irai me joindre à lui plus tard; mais, pour le moment, je garde ma manière de voir, qui est plus sage, à mon avis.

Je te prie de croire que ma neuvaine n’avait rien de malin; je ne plaisante pas sur de pareils sujets. Il est vrai que je ne puis voir certains ménages, dont je connais l’histoire, sans avoir envie de fredonner une chanson que m’a apprise un chanoine de Limoges, venu à Rome pour faire approuver une Congrégation de religieuses et demander une mission dans l’Amérique(2). Voici cette chanson, qui suppose au préambule tout ce que tu voudras.

Et, de là, ils se sont mis

A vendre des allumettes,

Et, de là, ils se sont mis

A vendre des pierr’ à fusil.

Elle est sur l’air: Je me brûle l’oeil dans le fond d’un puits avec une chandelle de bois.

Voilà, j’espère, une longue lettre, dont les lignes sont un peu plus serrées que les tiennes. Tu auras la bonté de dire à Bonnetty que j’aurais cru lui faire une mauvaise plaisanterie de lui proposer sérieusement l’Eperon d’or(3). Il faut être Picot pour en vouloir. Que s’il y tient beaucoup, vingt-cinq francs feront l’affaire. Picot a payé, je crois, mille francs, parce que c’est un imbécile qui ne sait pas s’arranger. L’Eperon d’or est l’Ordre de tous les laquais de cardinaux enrichis par le testament de leurs maîtres et qui veulent trancher du signor cavaliere.

Adieu, chère amie. Je t’embrasse de tout mon coeur. J’espère que la santé de Marie ira toujours de mieux en mieux. Je n’ai pas éprouvé encore les effets du printemps.

Emmanuel.

Je te prie de dire à mon père que j’ai tiré sur lui la somme de cinq cent cinquante francs dix sous, payables le premier mai.

E.D'ALZON
Notes et post-scriptum
1. Voir *Notes et Documents*, t. Ier, p. 628 sq.2. M. le chanoine Féret.
3. Nous avons, en plus de notre texte, un brouillon inachevé de cette lettre, daté du 4 avril et que l'abbé d'Alzon garda en portefeuille. Nous y lisons, au sujet de Bonnetty et d'autres personnes, les détails suivants qui ne figurent pas dans la lettre du 7 avril: "...Puisque Bonnetty a envie d'un Ordre de cette espèce, je verrai s'il n'y aurait pas moyen de le faire nommer de l'Ordre du Pape ou de Saint-Grégoire. Ceux-là sont encore assez estimés; pour les autres, on n'y tient pas beaucoup. Je t'assure que je n'aurais jamais cru que ma proposition fût prise au sérieux... Je te prie de dire à Bonnetty que je lui enverrai incessamment quelque chose. Le recteur du Collège Anglais fait à ses compatriotes des Conférences, où courent toutes les belles dames. Il se sert beaucoup des *Annales [de philosophie chrétienne*]; il m'a fait demander tous les numéros que j'en ai ici. Je regrette de n'avoir pas eu la collection complète: elle aurait été fort utile. Je me propose de lui (= à Bonnetty) envoyer une dissertation sur les catacombes, et peut-être quelqu'une des conférences de M. Wiseman.
"J'ai une fort grande envie de te revoir pour causer avec toi d'une foule de choses, qu'on ne dit pas par lettre. J'espère que ce sera au plus tard dans trois mois. Je vois venir cette époque avec une grande impatience, mais d'un autre côté je suis assez en peine pour savoir comment je finirai tout ce que je voudrais avoir fait avant de quitter Rome. J'espère toutefois que deux mois bien employés me suffiront. Quand je n'aurais d'autre avantage que d'avoir vu par mes yeux comment se passent certaines affaires, je serais content d'avoir vu Rome; mais je t'assure que je ne puis songer sans bonheur à tous les souvenirs que j'y ai puisés. Il y a une foule de choses qu'il faut voir sur les lieux pour les comprendre."