Vailhé, LETTRES, vol.1, p.810

16 apr 1835 Rome, ALZON_AUGUSTINE
Informations générales
  • V1-810
  • 0+247|CCXLVII
  • Vailhé, LETTRES, vol.1, p.810
Informations détaillées
  • 1 ALLEMANDS
    1 ANGLAIS
    1 CARDINAL
    1 CELEBRATION DE LA MESSE PAR LE PRETRE
    1 CHOIX
    1 CONFESSION SACRAMENTELLE
    1 CONVERSATIONS
    1 CORPS
    1 CUISINIER
    1 CULPABILITE
    1 DILIGENCE
    1 DOULEUR
    1 ECRITURE SAINTE
    1 ENTERREMENT
    1 GALLICANISME
    1 HAINE
    1 ITALIENS
    1 LANGUE
    1 LIVRES
    1 MALADIES
    1 MARIAGE
    1 MEURTRE
    1 PARTI
    1 PATIENCE
    1 PENTECOTE
    1 PRESSE
    1 PROTESTANTISME ADVERSAIRE
    1 SAINT-SIEGE
    1 SAINTE COMMUNION
    1 SAINTS
    1 SENS
    1 SENTIMENTS
    1 SPECTACLES
    1 SUPERIEURS ECCLESIASTIQUES
    1 TENTATION
    1 TRAVAIL DE L'ETUDE
    2 AFFRE, DENIS
    2 ALZON, HENRI D'
    2 ALZON, MADAME HENRI D'
    2 AURIOL, D'
    2 BONNETTY, AUGUSTIN
    2 CANALI, FRANCESCO
    2 GREGOIRE XVI
    2 LACORDAIRE, HENRI
    2 LAMARCHE, VINCENT
    2 LAMENNAIS, FELICITE DE
    2 MICARA, LODOVICO
    2 MIGUEL DON, DU PORTUGAL
    2 QUELEN, HYACINTHE DE
    2 RIO, ALEXIS-FRANCOIS
    2 VALENTINE, SAINTE
    2 VENTURA, GIOACCHINO
    2 VILLEQUIER, MADAME DE
    3 CIVITAVECCHIA
    3 MARSEILLE
    3 PARIS
    3 ROME
    3 ROME, CHAPELLE SIXTINE
    3 ROME, COLONNE ANTONINE
  • A SA SOEUR AUGUSTINE (1).
  • ALZON_AUGUSTINE
  • le 16 avril 1835.
  • 16 apr 1835
  • Rome,
  • Mademoiselle
    Mademoiselle Augustine d'Alzon,
    rue de Varennes, n° 4.
    Paris.
La lettre

Ma chère amie,

Tu es, permets-moi de te le dire, une petite ou grande originale, comme il te plaira. Je ne puis te dire s’il y avait du décousu dans celle de mes lettres que tu avais baisée avant de l’ouvrir; mais si tu juges de l’amitié par le défaut de liaison dans les idées de ceux qui s’écrivent, tu peux être sûre que, pour te prouver tout ce que je sens pour toi, je n’aurai pas de grands efforts à faire. J’aurai tout bonnement à laisser courir ma plume d’une merveilleuse manière sur tous les objets qui passeront par ma tête. depuis le corbillard du cardinal Canali(2) que l’on enterre ce soir, jusqu’aux feux de joie que l’on a faits pour les cardinaux proclamés dans le Consistoire de la semaine passée; depuis le poignard d’un Romain, qui pas plus tard qu’aujourd’hui a tué un homme d’un coup de fusil (sic), jusqu’à la canne d’un bon Italien, à qui on la prit l’autre jour des mains pour le rosser et qui, pour satisfaction, demandait qu’on lui rendît au moins l’instrument de la bastonnade; depuis la colonne Antonine, sur laquelle je suis monté hier par un vent épouvantable, jusqu’à la chapelle Sixtine, où je ne suis pas allé, parce qu’il n’y a que les Anglais et les protestants qui aient le droit d’y entrer.

Voilà que si tu veux prendre le degré de décousu pour baromètre de ma tendresse fraternelle, je puis te tenir tête, ma chère amie, et je n’aurai qu’à te parler de tout ce que j’ai vu seulement la semaine dernière. J’ai vu ou entendu, dans une académie présidée par le cardinal Micara, une dame réciter une pièce de vers sur un ton tel que je ne puis le comparer qu’à une porte rouillée, laquelle crie sur ses gonds disloqués. J’ai vu quelqu’un, qui peut-être m’escamotera ce que je ne veux pas lui donner. J’ai vu une personne, qui m’a assuré avoir vu le Pape mettre la tête à la portière de sa voiture, pour recommander à un homme qui faisait frire dans la rue que ses fritures fussent bien frites. J’ai appris que Don Miguel(3) n’avait pas le sou, que, que… Ah! mon Dieu, veux-tu que nous en restions là?

J’ai reçu la lettre de maman, dans laquelle se trouvait une lettre de M. Rio; j’ai reçu la lettre de mon père; j’ai reçu la tienne d’une douzaine de jours, [mais] je ne l’ai pas sous les yeux. Je crois donc que, pour les lettres qui me viennent de Paris, on est assez exact à me les remettre. Après tout, qu’importe? Je ne sais quel mépris bien calme, bien froid, s’empare de moi, quand je songe à certains procédés.

J’admire M. Lacordaire, mais si tu crois faire son éloge en me disant qu’il a consenti à soumettre son discours à la censure de M. Affre, tu te trompes grandement. Je comprends très bien que l’archevêque a pu vouloir lui donner un censeur de ses Conférences, mais qu’on ait choisi et qu’il ait accepté M. Affre, c’est donner au gallicanisme un triomphe un peu trop fort. La haine de M. Affre contre M. de la M[ennais] vient, non pas de l’Avenir, mais des ouvrages que celui-ci a publiés sur l’autorité du Saint-Siège. Ce détail me montre la vérité de ce que plusieurs personnes m’avaient dit ici, c’est que M. Lacordaire avait un prodigieux talent de parole, une conviction du moment très profonde, mais peu d’esprit logique. Quant à la patience de l’archevêque, je ne comprends pas en quoi tu peux la faire consister, si M. Lacordaire passe par toutes les conditions qu’on lui impose, jusqu’à se faire corriger par M. Affre. Je crois que M. l’archevêque a de très grandes vertus; mais parler de patience dans cette circonstance serait supposer qu’il pourrait en vouloir à un homme qui consent à passer par tout ce qu’on lui prescrit. Je ne veux pas dire que M. Lacordaire fasse autre chose que son devoir, excepté lorsqu’il se fait raturer par M. Affre; mais je ne vois pas quel est le mérite des supérieurs, quand ils ont des inférieurs aussi dociles.

Tu pourras remarquer, comme je l’ai remarqué moi-même, d’après l’analyse des Conférences donnée par les journaux, que toutes les pensées les plus saillantes de Lacordaire ont été énoncées par M. de la M[ennais]. On se demande alors pourquoi elles sont proscrites par M. Affre chez l’un et approuvées par M. Affre chez l’autre.

Je n’ai point écrit à M de La M[ennais] et ne lui écrirai point. Tu ne saurais croire cependant quelle douleur j’éprouve en pensant à un homme, qui est bien coupable sans doute, mais qui l’est surtout pour n’avoir pas su sans doute, mais qui l’est surtout pour n’avoir pas su comprendre l’esprit infernal de certaines coteries qui l’ont poussé vers l’abîme, sans qu’il s’en aperçût. Mais parlons d’autre chose.

T’ai-je écrit comme quoi mon excellent et estimable ami d’Auriol avait été débouté de certaines espérances de mariage? C’est un bien estimable garçon, que je voudrais bien voir se confesser. Je ne désespère pas de le voir faire ses pâques avant la Pentecôte. Ma chère amie, je voudrais te dire de bonnes choses, mais je ne puis pas. Je deviens un mauvais sujet. Je n’ai pas dit ma messe ce matin. Je suis allé trouver le P. Lamarche et ne l’ai point trouvé. Il faut que j’y retourne demain matin, ce qui est un peu ennuyeux. Tu comprends cela.

Il me tarde d’être fixé à quelque chose. Je travaille assez, mais j’ai besoin d’avoir un but précis de mon travail. Dans ce moment, dans l’incertitude où je suis du genre [de vie] auquel je me consacrerai, je fais de ces études vagues qui ne soutiennent pas assez l’esprit dans une activité habituelle. Je lis des ouvrages sur l’interprétation de l’Ecriture Sainte et un ouvrage sur Rome écrit un allemand, mais je m’aperçois que, tant que je n’aurai pas la certitude que je pourrai me livrer à cette étude, qui me plaît beaucoup, dans le but d’un résultat quelconque, je ne ferai pas grand’chose.

Je suis allé l’autre jour assister à l’extraction de corps saints. Tout était fini quand j’arrivai. On déterra le corps de sainte Valentine. N’est-ce pas le nom d’une des filles de Mme de Villequier? Je ne puis te dire si ce sera au commencement ou à la fin de juin que je te reverrai. Il paraît que la quarantaine de Marseille est levée. Un prêtre français, dont j’ai fait la connaissance, part de Civita-Vecchia le 25 et sera à Marseille le 28. Tu ne saurais croire quelle envie m’a pris de le suivre. J’ai repoussé cette pensée comme une tentation, quoique, à dire vrai, je ne sais pas trop si je ne pourrais pas faire à Rome ce que je ferais à Paris. Cependant, je veux avoir quelques dernières conversations avec le P. V[entura], le cardinal M[icara] et autres; et puis, je veux connaître Rome, que franchement je ne connais pas du tout.

Adieu, chère amie. J’espère que mon décousu te prouvera avec quels sentiments je suis et je serai pour la vie ton frère.

P.S. -Je te prie de dire mille choses de ma part à M. Bonnetty et de lui demander où il en est de ses projets d’Eperon d’or.

Notes et post-scriptum
1. Voir des extraits dans *Notes et Documents*, t. Ier, p. 492.2. Canali, proclamé cardinal dans le Consistoire du 23 juin 1834 et mort à Rome le 1er avril 1835.
3. Prétendant au trône du Portugal.