Vailhé, LETTRES, vol.1, p.814

30 apr 1835 [Rome, FERET Chanoine
Informations générales
  • V1-814
  • 0+248|CCXLVIII
  • Vailhé, LETTRES, vol.1, p.814
Informations détaillées
  • 1 ADMINISTRATION PUBLIQUE
    1 ADVERSAIRES
    1 CALOMNIE
    1 CARDINAL
    1 CATHOLICISME
    1 COLERE
    1 CRAINTE
    1 CULPABILITE
    1 DIPLOMATIE
    1 DOGME
    1 EGLISE
    1 ENCYCLIQUE
    1 EVEQUE
    1 GALLICANISME
    1 INDEX
    1 JUSTICE
    1 LIBERTE
    1 LIVRES
    1 MONARCHIE
    1 OPINION PUBLIQUE
    1 PENSEE
    1 PERSECUTIONS
    1 PEUPLES DU MONDE
    1 PHILOSOPHIE CHRETIENNE
    1 POLITIQUE
    1 POUVOIR
    1 PUBLICATIONS
    1 RENONCEMENT
    1 REVOLUTION
    1 SAINT-SIEGE
    1 SEVERITE
    1 SOCIETE
    1 SOUMISSION DE L'ESPRIT
    1 THEOLOGIENS
    1 VERTU D'OBEISSANCE
    1 VOYAGES
    2 ASTROS, PAUL D'
    2 BOUTARD, CHARLES
    2 DUDON, PAUL
    2 FRANCOIS I, EMPEREUR D'AUTRICHE
    2 GOURIEV, NICOLAS
    2 GREGOIRE XVI
    2 LAMENNAIS, FELICITE DE
    2 LESQUEN, CHARLES-LOUIS DE
    2 METTERNICH, KLEMENS DE
    2 MONTALEMBERT, CHARLES DE
    2 ODESCALCHI, CARLO
    2 PACCA, BARTOLOMEO
    2 QUELEN, HYACINTHE DE
    2 ROHAN, LOUIS-FRANCOIS DE
    2 SAINTE-BEUVE, CHARLES-AUGUSTIN
    3 AUTRICHE
    3 BERLIN
    3 EUROPE
    3 FRANCE
    3 MUNICH
    3 PARIS
    3 RENNES
    3 ROME
    3 RUSSIE
    3 SAINT-PETERSBOURG
    3 TOULOUSE
    3 VIENNE, AUTRICHE
  • A MONSIEUR LE CHANOINE FERET (1).
  • FERET Chanoine
  • ? fin avril 1835.]
  • 30 apr 1835
  • [Rome,
La lettre

Mon cher Monsieur Féret,

Vous me demandez une note sur l’état des opinions à Rome, relativement à l’affaire de M. de la M[ennais]. C’est chose difficile pour moi, parce que je crains toujours de supposer dans certaines personnes mon opinion personnelle et parce que ma manière de voir, dans cette malheureuse affaire, pourrait influencer sur le jugement que j’aurais à porter, quel que soit mon désir de conserver la plus stricte impartialité et de faire l’exacte séparation de ce qui est condamné, dans M. de la M[ennais], de ce qu’on y voudrait voir condamné.

Vous savez qu’avant la première encyclique de Grégoire XVI plusieurs évêques de France firent des extraits de l’Avenir qu’ils jugèrent à propos de censurer. Cette condamnation fut envoyée à Rome, où elle fut fort mal accueillie. Les adversaires de M. de la M[ennais] la trouvèrent inopportune et maladroite; la majorité des théologiens la considéra comme une insulte au Saint-Siège qui, en l’approuvant, aurait dû approuver les quatre articles de l’Eglise gallicane(2).

Deux motifs principaux ont amené la première encyclique.

1° Les réclamations des cours de Vienne, de Berlin, de Pétersbourg surtout. L’ambassadeur de Russie disait hautement: « L’abbé de la M[ennais] voudrait faire du catholicisme un colosse qui nous écraserait tous, et nous ne le souffrirons pas. » Le Pape disait, il y a à peine un an, à un prêtre qui me le répéta une heure après: « Je n’ai jamais voulu condamner l’abbé de la M[ennais], quoique m’aient écrit les évêques de France. L’abbé de la M[ennais] avait fait un système colossal pour défendre la religion, mais toutes les puissances ont eu peur, et il a fallu les tranquilliser. »

2° Le second motif est la crainte que les Jésuites avaient de voir réussir un système qui sapait le leur par les fondements. L’abbé de la M[ennais] proposait d’agir ouvertement; vous connaissez par votre propre expérience quels sont les procédés des Jésuites.

3° Un troisième motif, que j’oubliais, est que M. de la M[ennais] avait dans son système de grandes exagérations, que l’on pouvait légitimement interpréter dans un sens défavorable. Il est vrai que depuis longtemps il s’était modifié, mais les rois et les Jésuites avaient peur.

L’abbé de la M[ennais] apprit à Munich la publication de la première encyclique. Il fut au premier moment d’une résignation parfaite. Il paraissait avoir oublié toutes les amertumes dont on l’avait abreuvé à Rome, la manière dont plusieurs cardinaux lui avaient fermé leur porte, dont le Pape lui avait refusé une audience, comment on avait exigé que le cardinal de Rohan, son ennemi personnel assistât à celle qu’il lui accorda enfin et dans laquelle il fut stipulé qu’on ne dirait pas un mot de l’objet du voyage. L’abbé de la M[ennais] s’en ressouvint malheureusement plus tard.

Je suis porté à croire que l’on eût pu tout arranger, si le Pape avait consenti à s’entendre avec M. de la M[ennais], à lui faire des observations amicales sur ce qu’il y avait d’exagéré dans ses principes et à lui proposer quelque nouveau système de défense(3). Ce qui me porte à penser ainsi, c’est qu’un cardinal, qui crut devoir adopter envers lui une marche tout opposée à celle de la plupart de ses confrères, obtint de lui la promesse qu’il renoncerait à tout ce qu’il avait dit pour travailler sur un plan nouveau; mais abandonné de tout le monde comme il le fut, son esprit s’aigrit et se porta à quelques démarches inconséquentes. Ses adversaires, qui le surveillaient de près, firent intercepter par la police de l’empereur d’Autriche certaines lettres que le Pape a entre ses mains et dans lesquelles il s’exprimait d’une manière trop rude, pour ne rien dire de plus. De là une certaine phrase du Bref à l’archevêque de Toulouse(4). L’évêque de Rennes exigea, dès qu’il eut connaissance de ce Bref, que M. de la M[ennais] écrivît à Rome pour avoir des explications.

Lui-même écrivait à cette époque: « J’ignore absolument ce qui a pu donner occasion au dernier Bref du Pape adressé à l’archevêque de Toulouse, cer comment pourrais-je deviner ce qu’on répand dans le public? Il m’est évident que de nouvelles calomnies auront indisposé Grégoire XVI contre moi. Bien que le silence m’eût paru le meilleur parti à prendre, des circonstances m’ont engagé à écrire au Pape pour réitérer la protestation de mon obéissance filiale à sa volonté et de ma parfaite soumission à toutes les décisions émanées ou à émaner du Siège Apostolique sur la doctrine de la foi et des moeurs. Je n’espère pas cependant que tout ce que je puis dire arrête les persécutions de mes ennemis qui ont leur source dans des passions politiques implacables. »

Il ne se trompait pas, mais vous savez que lui-même leur prêta le flanc par la restriction qu’il fit d’abord et qui amena sa soumission absolue et le Bref par lequel le Pape lui répondit dans les premiers jours de 1835(5). En même temps que le Pape l’engageait à se consacrer à la défense de la religion, l’archevêque de Paris lui faisait signer la promesse de ne plus s’occuper de matières religieuses. On voulait de lui la même promesse pour les matières politiques et philosophiques, mais il s’y refusa constamment. Il reste à expliquer comment, en même temps qu’on l’engageait publiquement à défendre la religion, on lui ait fait signer en secret la promesse de ne plus s’occuper de matières religieuses; mais ce n’est pas moi qui résoudrai ce problème.

M. de la M[ennais], après sa soumission, ne songea plus qu’à son grand ouvrage philosophique, et je ne sais comment lui vint tout à coup la pensée de publier les Paroles d’un croyant. L’archevêque de Paris ayant appris cette publication lui demanda des explications. M. de la M[ennais] répondit: « Je n’écrirai désormais, ainsi que je l’ai déclaré, que sur des sujets de philosophie, de science et de politique. Le petit ouvrage dont on vous a parlé est de ce dernier genre. Il y a plus d’un an qu’il est composé(6), et par sa forme qui exclut tout raisonnement suivi, il est particulièrement destiné au peuple. Ce qui m’a presque soudainement décidé à le publier, c’est l’effroyable état dans lequel je vois la France, d’un côté, et l’Europe, de l’autre, s’enfoncer rapidement tous les jours. Il est impossible qu’un pareil état subsiste. Une pareille oppression ne saurait être durable et, comme vous le savez, je suis convaincu que, ne pouvant arrêter désormais le développement de la liberté politique et civile, il faut s’efforcer de l’unir à l’ordre, au droit, à la justice, si l’on ne veut pas que la société soit bouleversée de fond en comble. »

L’abbé de la M[ennais] s’attendait cependant à quelque manifestation de la part de Rome, et c’est ce qui, à mes yeux, le rend coupable; mais il ne savait cependant pas si une condamnation formelle serait portée sur son livre. Il espéra même jusqu’au dernier moment que Rome garderait le silence sur le livre en lui-même; il pensait que l’on s’dresserait à lui. La marche contraire fut adoptée.

Il est sûr que ce qui a le plus contribué à l’apparition de la seconde encyclique est l’effroi de la diplomatie. Le Pape ne voulut cependant pas que la lecture du livre fût défendue, puisqu’il ne permit pas qu’il fût mis à l’Index. Peu de temps après cette encyclique qui produisit à Rome un assez singulier effet, le card[inal] Pacca fit dans un Consistoire secret un discours assez fort, dans lequel, sans rien dire sur l’encyclique en elle-même, il s’éleva contre l’opportunité d’un pareil acte; il fit observer que l’Eglise n’avait rien à gagner, dans la lutte des peuples contre les rois, à se porter comme champion de ces derniers; qu’il fallait au contraire élever ses intérêts au-dessus des révolutions, si on ne voulait pas qu’elle en fût victime. Il paraît que son discours produisit un grand effet et qu’on résolut de s’arrêter à la marche qui y était proposée. Au moins, depuis lors, aucun acte public n’a montré que l’on s’en fût écarté.

Une question que l’on pourrait soulever serait celle de savoir ce que l’encyclique condamne. C’est chose difficile à expliquer. Tout le monde, les Jésuites eux-mêmes, reconnaît que la condamnation n’est pas définitive. De plus, tout le monde reconnaît qu’il y a quelque chose de condamné; mais les uns y voient plus, les autres moins. La désapprobation du système philosophique paraît ne pas s’appliquer au sens commun, tel que l’avait expliqué M. de la M[ennais], mais à la doctrine philosophique par laquelle M. de la M[ennais] a voulu fondre religion et liberté. Ce sont les expressions du c[ardinal] Odescalchi, à qui je demandais la véritable intention du Pape à cet égard. D’autres personnes non moins instruites m’ont répété la même chose.

Quoique certaines personnes aient voulu dire que l’abbé de la M[ennais] était de mauvaise foi, je ne puis le croire, et voici mes raisons. M. de la M[ennais] est coupable plus que je ne saurais dire, puisqu’il s’expose à tourner contre l’Eglise les armes qu’il avait d’abord employées à sa défense; mais faisons la part de l’humanité. Vous verrez un homme que l’on rebute de tous les côtés, qui veut s’appuyer sur Rome, après s’être exposé à la colère de l’épiscopat français pour la défendre, et que Rome repousse et traite de la manière la plus sévère, pour ne rien dire de plus. De tels procédés l’irritent. Des gens qui ont intérêt à ce qu’il soit anéanti, profitent avec la plus grande habileté de toutes ses démarches.

Aujourd’hui je crois que M. de la M[ennais] est dans la presque impossibilité d’agir sans se trouver en contradiction avec lui-même. Il n’avait plus qu’un moyen à prendre, c’était de donner des explications indirectes dans sa dernière Préface… face…

Notes et post-scriptum
4. Il est certain que le Pape avait entre les mains la copie de plusieurs lettres intimes de l'abbé Féli et de ses amis, qui lui permettaient de douter de la sincérité de leur obéissance; il possédait même la lettre dans laquelle Montalembert, au lendemain de la condamnation pontificale, écrivait: "Sans adopter aucune des opinions exprimées dans l'Encyclique, nous rentrons dans le silence..." M. l'abbé Boutard a trouvé, dans les archives des Affaires étrangères de Vienne, un certain nombre des lettres saisies par les agents de Metternich. (Voir *La Mennais*, t. III, p. 74, note 2.)
5. En réalité, le Bref *Quod de tua*, adressé par Grégoire XVI à l'abbé de la Mennais est du 28 décembre 1833. (Voir le texte dans Dudon, *Op. cit*., p. 420.)1. D'après le brouillon inachevé. La date donnée est approximative. Nous savons seulement, d'après la lettre du 28 mars au vicomte d'Alzon, que le chanoine Féret, de Limoges, était encore à Rome le 27 mars.
2. Cette appréciation est parfaitement exacte. On n'a qu'à lire dans Dudon, *Lamennais et le Saint-Siège, passim*, comment l'initiative de Mgr d'Astros et de ses collègues fut froidement reçue par le Pape et par son entourage.
3. On sait que cette remarque de l'abbé d'Alzon fut faite et développée, l'année suivante, par La Mennais lui-même dans son ouvrage *Les affaires de Rome*, sans qu'on puisse affirmer qu'une autre attitude du Pape à son égard lors de son séjour à Rome, eut amené un changement notable dans sa conduite.
4. Il est certain que le Pape avait entre les mains la copie de plusieurs lettres intimes de l'abbé Féli et de ses amis, qui lui permettaient de douter de la sincérité de leur obéissance; il possédait même la lettre dans laquelle Montalembert, au lendemain de la condamnation pontificale, écrivait: "Sans adopter aucune des opinions exprimées dans l'Encyclique, nous rentrons dans le silence..." M. l'abbé Boutard a trouvé, dans les archives des Affaires étrangères de Vienne, un certain nombre des lettres saisies par les agents de Metternich. (Voir *La Mennais*, t. III, p. 74, note 2.)
5. En réalité, le Bref *Quod de tua*, adressé par Grégoire XVI à l'abbé de la Mennais est du 28 décembre 1833. (Voir le texte dans Dudon, *Op. cit*., p. 420.)
6. La remarque de l'abbé de la Mennais est vraie en grande partie. Il est certain qu'à partir de juin 1833, il se mit à lire, par intervalle, à ses familiers des chapitres des *Paroles d'un croyant* et qu'au mois de juillet l'ouvrage était terminé. Quand La Mennais arriva à Paris, le 1er novembre 1833, il avait avec lui le manuscrit complet; mais celui-ci ne parut que le 30 avril 1834, par les soins de Sainte-Beuve. Il avait donc composé l'ouvrage après sa première condamnation par Rome, de septembre 1832 à juillet 1833.
7. La fin de cette lettre manque. La *Préface* dont il est question ici, est celle que La Mennais mit en tête du volume des *Troisièmes mélanges*, ou recueil de ses articles de l'*Avenir* et de plusieurs revues qui parut en février 1835. La *Préface* avait été d'abord publiée dans la *Revue des Deux Mondes*: l'auteur y plaidait habilement la cause condamnée par les deux Encycliques et les différents Brefs de Grégoire XVI.