Vailhé, LETTRES, vol.1, p.821

9 may 1835 Rome, ALZON_AUGUSTINE
Informations générales
  • V1-821
  • 0+250|CCL
  • Vailhé, LETTRES, vol.1, p.821
Informations détaillées
  • 1 ADVERSAIRES
    1 CHANOINES
    1 ECRITURE SAINTE
    1 EFFORT
    1 ESPRIT FAUX
    1 FORTUNE
    1 FRANCHISE
    1 HISTOIRE DE L'EGLISE
    1 LIBERTE
    1 LOISIRS
    1 MARIAGE
    1 MATIERES DE L'ENSEIGNEMENT ECCLESIASTIQUE
    1 PARENTS
    1 PERES DE L'EGLISE
    1 PRETRE
    1 PROTESTANTISME ADVERSAIRE
    1 SALUT DES AMES
    1 SEMINAIRES
    1 SEMINARISTES
    1 SOUFFRANCE
    1 THEOLOGIE
    1 TRAVAIL DE L'ETUDE
    1 VERTU D'OBEISSANCE
    1 VOCATION
    2 ALZON, HENRI D'
    2 ALZON, MADAME HENRI D'
    2 CHAFFOY, CLAUDE-FRANCOIS DE
    2 LA GOURNERIE, EUGENE DE
    2 MONTIGNY, DE
    2 PUYSEGUR, MADAME ANATOLE DE
    2 VERNIERES, JACQUES
    3 LAVAGNAC
    3 MONTPELLIER
    3 NIMES
    3 PARIS
    3 ROME
    3 VENISE
  • A SA SOEUR AUGUSTINE (1).
  • ALZON_AUGUSTINE
  • le 9 mai 1835.
  • 9 may 1835
  • Rome,
  • Mademoiselle
    Mademoiselle Augustine d'Alzon,
    rue de Varennes, n° 4.
    Paris.
La lettre

Ma chère amie,

Ta lettre, que je viens de recevoir, m’a fait un très grand plaisir. Je t’avoue que des conclusions que tu avais tirées de mes lettres, l’une est certaine et l’autre vraisemblable. Il est bien sûr que, si je veux être prêtre, je dois prendre mon parti de n’être pas toujours avec toi, à moins que tu ne te fasses chanoinesse, état pour lequel je ne te crois pas encore une grande vocation; ou bien il faudrait que tu eusses un mari assez complaisant pour te transplanter partout où se porteront mes pas, ce que raisonnablement on ne pourrait pas exiger. L’autre supposition ou conclusion est plus que probable. M. Vernière a des vues, c’est très sûr; moi, j’ai les miennes, c’est très sûr encore, et pour que tu ne m’accuses pas de te parler avec moins de franchise que tu ne parles toi-même, voici où j’en suis.

Avant tout, je suis résolu de faire ce que voudra mon évêque. S’il me donne un poste quelconque, je lui obéirai; mais s’il me consulte, voici ce que je suis bien décidé à lui demander. Je voudrais qu’il me permit de me consacrer spécialement à la conversion des protestants, mais cette tâche je ne l’envisage pas comme M. Vernière. C’est pour quoi, si nous ne sommes pas d’accord, j’en serai bien fâché, mais je le laisserai agir comme il l’entendra. Moi, je voudrais établir mon quartier général à Nîmes, demander à l’évêque une chambre dans son Séminaire et, pour m’y rendre utile, la permission de faire un cours moins important que ceux de théologie: ce serait l’Ecriture Sainte, l’Histoire ecclésiastique, les Saints Pères, ou toute autre chose semblable. Pendant ce temps, je me préparerais par d’autres études à des conférences que je pourrais ensuite donner dans les pays protestants, avec plus de succès que si j’allais de prime abord me lancer dans la lutte, quand je ne connais pas assez l’état et les forces de mes adversaires.

Je sais que M. Vernière n’entend pas le projet de la sorte. Mais tant pis! Pourquoi ne pas avoir un peu plus de défiance de ses forces, et ne pas voir que des jeunes gens qui sortent du Séminaire ne peuvent se changer en convertisseurs? Enfin, nous verrons. Quant à son projet sur Lavagnac, il ne m’en a jamais parlé, mais il me paraît pour le quart d’heure assez ridicule.

J’en viens à toi, chère amie, et voici ce que je me permets de te conseiller: c’est qu’entre un mari très bien en parchemin et en mari très bien en fonds de terre, je t’engagerais à préférer le second au premier, pourvu, tu penses bien, qu’il y ait tout ce qui convienne. Voici pourquoi. Tu ne pourras pas toujours être à la campagne. Tu as assez essentiellement besoin de distractions. Il te faut plus qu’à une autre les moyens de te les procurer. C’est pour cela que j’ai bien regretté M. de Montigny. Fais-y attention. Tu ne pourras vivre habituellement à la campagne, et où vivras-tu avec cinq ou six mille livres de pension de la part de ton futur? Tu n’aimes pas Montpellier. Qu’est devenu ce Monsieur, au sujet duquel t’avait écrit M. de La Gournerie? Il avait, dit-on ne fortune superbe.

Je voudrais que tu te hâtes de montrer un peu plus de sang-froid. Ma mère, qui, de son côté, souffre beaucoup? à cause de toi, voudrait bien pouvoir t’avoir auprès d’elle, et d’un autre côté sent aussi bien que personne que Lavagnac ne te convient pas. Que faire? Voici ce que je pense. Tu dois prendre la résolution et prier maman de te faire connaître un peu tous les partis qui te sont offerts. Cela te cassera peut-être un peu la tête, mais tu pourras toi-même voir, juger et comparer. Tu as tort, crois-moi, de juger les gens par la mine. Cela, j’en suis sûr, te fait porter de faux jugements sur bien des gens, qui sont excellents au fond et que ta promptitude à voir sous le point de vue ridicule t’a empêchée de bien apprécier.

Tu vois que je te parle franchement, ma bonne amie. Je t’assure que je suis bien occupé de toi, et c’est pour cela que je regrette que tu ne veuilles pas un peu plus prendre le parti de voir toutes choses par tes yeux et de prendre ton parti per lo nido paterno. Je t’avoue, que je pense que tu ne juges pas assez maman comme tu le devrais. Elle est plus occupée, dans ce qui te conviendrait, de toi que d’elle-même; mais je ne sais pourquoi tu ne veux pas lui dire tout. Elle-même te parlerait plus franchement et vos affaires iraient beaucoup mieux.

Je suis convaincu que mon père aurait beaucoup de plaisir à vous voir à Lavagnac, mais considère que je ne sais pas trop ce que ferait ta moitié, si mon père voulait y avoir toujours la direction exclusive de tout. Je crois donc que tu dois t’arranger, si les choses peuvent se tourner ainsi, pour ne passer que peu de temps à Lavagnac et, d’autre part, décider maman à aller souvent à Paris ou dans toute autre grande ville. Je te crois assez d’esprit pour être persuadée que, si tu veux prendre un peu plus sur toi-même et te mêler de tes propres affaires, tu viennes facilement à bout d’une semblable combinaison, qui serait, à mes yeux, la plus heureuse, et pour mon père qui serait toujours maître chez lui, et pour maman qui ne serait pas toujours à Lavagnac, et pour toi qui pourrais jouir de tes parents une grande partie de l’année, sans pour cela être privée d’une certaine liberté qui, je crois, t’est nécessaire. Je te prie de faire attention que si tu désires un mari que tu ne sois pas obligée d’amuser, tu dois chercher quelqu’un qui aime l’étude. Tu sauras bien le tirer de son cabinet, quand tu voudras, et il te sera fort agréable de l’y envoyer de temps en temps.

Je pars de Rome dans neuf jours. Ecris-moi à Venise. Avant deux mois, j’espère t’embrasser. Adieu, chère amie. J’embrasse mon père, et maman, et Marion la positive. Je ne me relis pas.

Emmanuel.
Notes et post-scriptum
1. Voir des extraits dans *Notes et Documents*, t. Ier, p. 629 sq.