Vailhé, LETTRES, vol.1, p.826

15 may 1835 Rome, ALZON_VICOMTE
Informations générales
  • V1-826
  • 0+252|CCLII
  • Vailhé, LETTRES, vol.1, p.826
Informations détaillées
  • 1 AGRICULTURE
    1 ANIMAUX
    1 CELEBRATION DE LA MESSE PAR LE PRETRE
    1 CHAPELLE
    1 CLERCS
    1 EDUCATION
    1 EMBARRAS FINANCIERS
    1 ENSEIGNEMENT DE LA LITTERATURE
    1 IDEES REVOLUTIONNAIRES
    1 IGNORANCE
    1 ITALIENS
    1 LIVRES
    1 PEUPLES DU MONDE
    1 PROPRIETES FONCIERES
    1 REVOLUTION ADVERSAIRE
    1 ROYALISTES
    1 SOUVERAIN PROFANE
    1 VOYAGES
    2 ALAUX, JEAN-FRANCOIS
    2 ALZON, AUGUSTINE D'
    2 ALZON, MADAME HENRI D'
    2 BONNARIC
    2 FOURNAS, ADOLPHE DE
    2 GABRIEL, JEAN-LOUIS
    2 LEBOUTEILLIER, MADEMOISELLE
    2 MANZONI, ALESSANDRO
    2 MICALI, GIUSEPPE
    2 MOLLEVILLE, HENRY DE
    2 PUYSEGUR, MADAME ANATOLE DE
    2 ROUSSEAU, JEAN-JACQUES
    2 RUBICHON, MAURICE
    3 ALPES
    3 AUTRICHE
    3 FLORENCE
    3 FRANCE
    3 GENEVE
    3 HOLLANDE
    3 ITALIE
    3 LAVAGNAC
    3 MILAN
    3 NAPLES
    3 PRUSSE
    3 ROME
    3 SUISSE
    3 TYROL
    3 VENISE
  • A SON PERE (1).
  • ALZON_VICOMTE
  • le 15 mai 1835.
  • 15 may 1835
  • Rome,
  • Monsieur
    Monsieur le vicomte Henry d'Alzon,
    au château de Lavagnac.
    par Montagnac.
    France, par Antibes. Hérault.
La lettre

Mon cher petit père,

Quoique j’aie écrit avant-hier à Augustine, je crois qu’outre le plaisir de parler un moment avec vous ou, pour mieux dire, de penser à vous, la plume à la main, je ne ferais pas mal de vous prévenir que j’ai tiré 1 500 francs sur M. Bounaric pour les frais du voyage que je vais enfin entreprendre pour me rapprocher de vous. Décidément, je pars mardi prochain(2). Je pense que je mettrai un mois et demi en route et que je serai à Lavagnac pour les premiers jours de juillet au plus tard. Quoique M. Gabriel m’ait joué un assez vilain tour et qu’après m’avoir fait proposer d’aller avec lui de Milan à Venise et de retourner par Genève, il m’ait fait dire qu’il ne quitterait la France qu’au mois de juillet ou à la fin de juin, il y a apparence que je trouverai à Milan M. de Molleville, avec qui j’ai déjà fait le commencement de mon voyage en Italie. Je voyage avec M. de Fournas, excellent jeune homme, si j’en juge par ce que j’en connais déjà. Peut-être me quittera-t-il à Venise.

Mon projet avait d’abord été de voir les montagnes du Tyrol, mais il me semble que ce serait furieusement allonger la route, ce dont je ne me soucie guère. Si cependant cinq ou six jours de plus devaient me faire connaître ce pays que l’on vante tant, je crois bien que je les sacrifierais. Pour moi, je crois vous avoir déjà dit quelle était la chose que j’aimais le plus dans les voyages. Je ne pense la trouver ni dans les Alpes ni dans la Suisse. Je ne sais si je pourrai me procurer des lettres pour Manzoni, mais quand même je n’en aurais pas, je crois que j’irai le voir, afin de pouvoir dire que je n’ai pas fait un voyage de deux mois sans voir un homme célèbre en Italie. Il faut convenir qu’ils sont fameusement rares, ces pauvres grands hommes italiens. Otez Micali, l’auteur de l’Histoire de l’Italie avant les Romains, quel auteur remarquable du jour on pourrait citer? Cette stérilité fait peine. On a peine à comprendre que l’Italie en soit venue à présenter, faute de mieux, certains hommes que je ne nomme pas, parce que certainement leur nom n’est pas parvenu à vos oreilles et ne vaut pas la peine d’y arriver. L’on répond à cela que, dès qu’un ouvrage important paraît chez quelque peuple étranger, les Italiens se l’approprient par la traduction; mais cela même est à mes yeux une preuve de l’impuissance de leur imagination à mettre au jour quelque chose qui en vaille la peine.

Les Romains sont excusables, parce que l’on peut répondre pour eux que les meilleurs esprits se donnant à la carrière ecclésiastique, les talents sont absorbés par des travaux qui, de leur nature, ne doivent avoir aucun éclat. C’est très bien pour Rome, mais Florence, mais Naples? Que présentent ces deux villes qu’un état de torpeur à peu près complet? On s’y occupe de petites questions de littérature, mais de rien de ce qui dans ce moment intéresse l’esprit humain et, pour vous le dire en passant, je crois assez que cette négligence de l’esprit ne contribuera pas peu à rendre plus terrible la révolution italienne. L’esprit qui se livre à certaines études, l’esprit cultivé ne saurait être cruel, et je crois que la soif du sang manifestée chez certains peuples s’est développée en proportion de leur ignorance.

Je sais fort bien que l’on ne fera jamais d’aucun peuple une société d’académiciens. Mais si la contradictoire de cette proposition de Rousseau -l’homme qui pense est un animal dépravé- est vraie, il faut dire que plus l’homme pense et plus il est disposé à tendre à la perfection. Cette considération, qui voudrait de longs développements, me porte à croire que l’instruction, loin d’être dangereuse pour le peuple, ainsi que le pensent certaines personnes, lui est au contraire avantageuse.

Mais dans quelle question vais-je me jeter, quand je devrais m’occuper uniquement du plaisir de vous voir avant peu de temps. Je vous adresse cette lettre à Lavagnac, parce que je présume que vous vous y trouverez quand elle arrivera en France. Je vous prie de faire prévenir M. Alaux qu’il recevra pour moi une caisse de livres, cotés E. D. n° 1. Il sera même possible qu’il en reçoive plusieurs, parce que l’on doit m’envoyer certains ouvrages de Rome. Les ouvrages que j’ai achetés sont des livres italiens ou seulement imprimés en Italie, et qui me sont de la plus grande utilité.

J’ai vu dernièrement M. Rubichon, qui est de plus en plus persuadé que toute la machine sociale roule sur les subsistances. Il est royaliste jusqu’au bout des ongles et jure de l’être jusqu’à la fin. Toutefois, il prétend que, dans un voyage qu’il vient de faire en Autriche, en Prusse et en Hollande, il a bien clairement constaté que l’on ne peut trouver de plus grands révolutionnaires que les rois, parce qu’ils ne font rien pour favoriser les grandes propriétés, que des lors le règne végétal doit dans l’agriculture succéder au règne animal, que par conséquent on doit avoir moins de subsistances et plus de consommateurs, partant plus de mécontents, donc une imminente révolution.

Adieu, cher petit père. Je vous embrasse de toute mon âme. Je vous prie d’embrasser pour moi ma mère et mes soeurs.

Emmanuel.

J’ai été dire certains matin la messe dans la chapelle où sont enterrés M. L Bouteillier et sa fille.

E.D'ALZON
Notes et post-scriptum
1. Voir des extraits dans *Notes et Documents*, t. Ier, p. 530 sq.2. C'est-à-dire le 19 mai.