Vailhé, LETTRES, vol.1, p.830

27 may 1835 Florence, INCONNUS
Informations générales
  • V1-830
  • 0+254|CCLIV
  • Vailhé, LETTRES, vol.1, p.830
Informations détaillées
  • 1 AMITIE
    1 AMOUR-PROPRE
    1 COMPORTEMENT
    1 ETUDES ECCLESIASTIQUES
    1 EVEQUE
    1 FRANCHISE
    1 ORDINATIONS
    1 ORDRES SACRES
    1 PATIENCE
    1 PREDICATION
    1 PRESSE
    1 PROTESTANTISME ADVERSAIRE
    1 RADICAUX ADVERSAIRES
    1 REFORME DE L'INTELLIGENCE
    1 ROYALISTES
    1 SENTIMENTS
    1 SEPARATION DE L'EGLISE ET DE L'ETAT
    1 SOUMISSION DE L'ESPRIT
    1 VERTU D'OBEISSANCE
    1 VIE SPIRITUELLE
    2 ALZON, AUGUSTINE D'
    2 ALZON, MADAME HENRI D'
    2 BONNETTY, AUGUSTIN
    2 CHAFFOY, CLAUDE-FRANCOIS DE
    2 COMBALOT, THEODORE
    2 COMBEGUILLE, ALEXIS
    2 DU LAC, JEAN-MELCHIOR
    2 ESGRIGNY, LUGLIEN DE JOUENNE D'
    2 GUERANGER, PROSPER
    2 LA GOURNERIE, EUGENE DE
    2 LAMENNAIS, FELICITE DE
    2 MAC CARTHY
    2 MICARA, LODOVICO
    2 MONTALEMBERT, CHARLES DE
    2 OLIVIERI, MAURIZIO
    2 ROUSSEL, ALFRED
    2 VENTURA, GIOACCHINO
    2 WALTER, DE
    3 FRANCE
    3 PARIS
  • A UN AMI (1).
  • INCONNUS
  • le 27 mai 1835.
  • 27 may 1835
  • Florence,
La lettre

Depuis bien longtemps, mon cher ami, j’aurais dû répondre à votre dernière lettre et je ne sais quel mauvais prétexte m’en a jusques à présent empêché. J’aurais dû vous apprendre ma promotion aux ordres sacrés, mais comme j’ai dû à cette occasion même subir certaines vexations, j’ai préféré laisser dans le silence ce que j’avais eu à souffrir, plutôt que de troubler par quelque pensée désagréable un souvenir dont je ne veux conserver que ce qu’il a de délicieux pour moi. Vers la même époque, la marche si étrange et si incompréhensible, pour ne rien dire de plus, adoptée par celui que nous étions si fiers d’appeler notre maître, a tellement bouleversé certaines de mes idées que, pendant quelque temps, je ne savais plus où j’en étais.

Je craignais que ce que j’avais pu lui dire dans certaines de mes lettres, au courant de l’été dernier, eût contribué à l’aigrir et à le précipiter dans cette voie, au terme de laquelle je n’aperçois pour lui aucune issue honorable, sinon une rétractation qu’il eût pu s’éviter, et qui lui sera d’autant plus pénible qu’elle froissera davantage son amour-propre. Mon intention, il est vrai, en lui écrivant, et celle des hommes dont j’avais suivi les conseils, était de l’engager à un silence absolu, du moins pendant un certain temps. Plus tard, les événements justifiant la plupart de ses prévisions auraient assoupi certaines animosités et lui auraient permis de se montrer de nouveau avec avantage. Mais, quoiqu’il nous eût promis à Mac[Carthy] et à moi, il n’a pu se renfermer dans le repos, et j’avoue que j’ai beau chercher une interprétation favorable à sa conduite, je ne puis la trouver.

Si pourtant il eût voulu quelque temps encore prendre patience, il eût trouvé un si grand appui dans les faits de chaque jour. J’ai eu occasion d’entendre les monarchistes les plus forcenés envier enfin la séparation possible et réelle de l’autel et du trône, séparation qu’il y a un an encore ils eussent foudroyée de tous leurs anathèmes. Ces aveux et une foule d’autres, qu’on n’eût certes pas obtenus il y a quelque temps, prouvent que, dans le parti le plus opposé à M. Féli, on commence enfin à douter et que, s’il est coupable, il ne l’est sur une foule de points que pour avoir été plus vite que ses adversaires sur la route de l’avenir.

Cependant, je ne sais si je me trompe, mais il me paraît aujourd’hui s’égarer sur sa route. Si je suis bien informé, il paraît être résolu à entrer dans les voies d’un complet radicalisme, en même temps qu’il se retirerait du terrain catholique. Les journaux ont donné l’extrait d’une lettre de M. de Walter, qui est affreuse, si elle est authentique. Je n’ai pas vu qu’il l’eût fait démentir. Je vous conjure de me donner quelques détails positifs sur l’état de son âme; je lui suis dévoué au delà de tout ce que je puis dire, et l’incertitude sur sa foi est une chose affreuse. Je lui aurais écrit, mais il n’a pas répondu à mes deux dernières lettres. Je présume qu’il est peut-être gêné de ma franchise, qu’il sait bien n’avoir d’autre principe que le dévouement le plus complet, tant qu’il restera dans les limites de la vérité(2). On m’a dit qu’à son arrivée à Paris plusieurs de ses amis avaient cru bien faire en n’allant pas le voir. Avez-vous été du nombre de ceux-là(3)?

Je rentre en France avec la résolution de commencer d’abord par me mettre à la disposition de mon évêque. Ce n’est pas que je ne découvre pour moi de bien grands inconvénients dans une pareille démarche, mais ayant fait serment d’obéissance le jour de mon ordination, je tiens à y être fidèle. Et puis, je commence à être fatigué de mon indépendance. Je sais bien que je me prépare des ennuis de plus d’une espèce. Toutefois, arrivant avec la ferme résolution de dire toute ma pensée dans les occasions où je le croirai utile, je présume que l’indépendance de ma position me mettra à l’abri des vexations des subalternes, qui sont ordinairement les plus insupportables. Ce n’est pas que j’aie attendu la décision de mon évêque pour me préparer une carrière; seulement je suis résolu à lui soumettre mes idées, à les abandonner, s’il me l’ordonne. Mais dans le cas où il me permettrait de suivre mes désirs, je continuerais à me livrer quelques années encore à l’étude de la religion, avant de me consacrer à la prédication et aux missions parmi les protestants. Car c’est vers ce but, qu’à moins d’obstacles insurmontables, je suis résolu à diriger mes études…(4)

Notes et post-scriptum
1. Voir des extraits dans *Notes et Documents*, t. Ier, p. 500-502, 620 sq., 634. Le brouillon de cette lettre, qui ne fut ni envoyée ni même terminée, ne porte pas de destinataire. Le retrouvant plus tard, très probablement entre 1870 et 1880, d'après l'écriture, le P. d'Alzon ne le détruisit pas, non plus que les autres brouillons de lettres que nous avons retrouvés ensemble, mais il ajouta cette note: "Je ne puis me rappeler à qui j'adressais cette lettre, à du Lac sans doute." Bien qu'il soit un peu présomptueux de se prononcer contre l'auteur de la lettre, nous ne croyons pas que celle-ci fut destinée à du Lac. En effet, notre lettre suppose que le destinataire n'avait pas été informé de l'ordination sacerdotale de l'abbé d'Alzon, et du Lac, qui résidait alors à Paris, avait été tenu au courant par les parents de son ami;, voir la lettre du 17 janvier 1835 à Mlle Augustine; voir aussi la lettre à son père, du 25 mars 1835, où il dit qu'il a écrit à du Lac. De plus, du Lac était en ce moment en rapports suivis avec l'abbé d'Alzon, comme nous le prouve une lettre inédite de lui, en date du 19 août 1835. A qui donc était destinée la lettre? Pas à La Gournerie, car le brouillon de la lettre du 28 novembre 1834 prouve qu'il fut informé par son ami de son ordination. Pas à d'Esgrigny, car nous avons encore la lettre qui lui fut écrite à ce propos le 18 janvier 1835. Pas à Bonnetty, car la lettre que l'abbé d'Alzon écrivit à sa mère, le 3 janvier 1835, annonce sous peu une lettre pour Bonnetty, qui lui fut réellement envoyée le 18 janvier. Ce n'est pas, non plus, à l'abbé Combalot, qui était en relations constantes avec la famille d'Alzon; ni à Combeguille, de qui nous avons une lettre du 8 février 1835, dans laquelle il répond à son ami et le félicite de son ordination sacerdotale.
Parmi les amis de l'abbé d'Alzon qui furent en même temps disciples affectueux de l'abbé Féli, tel qu'est dépeint le destinataire de cette lettre, nous ne voyons que le comte de Montalembert, qui entretint alors une correspondance assez intermittente avec Emmanuel. Il avait écrit à celui-ci, de Pise, le 15 décembre 1834, quelques jours avant l'ordination sacerdotale de son ami, pour lui annoncer sa soumission définitive au Pape, et l'abbé d'Alzon, sachant que le comte allait quitter l'Italie, différa sans doute de lui répondre. Il dut s'en souvenir au cours de son voyage de retour en France, peut-être après avoir trouvé des amis communs, et il commença à Florence une lettre dont nous avons trois brouillons inachevés. Pourquoi ne l'a-t-il pas envoyée? C'est ce que nous ignorons. En tout cas, deux mois après, Montalembert, ayant appris l'arrivée en France de son ami, lui adressa, le 8 août 1835, un mot très affectueux au château de Lavagnac, sans faire la moindre allusion à une lettre qu'il aurait reçue en réponse à la sienne, datée de Pise. A ce mot, l'abbé d'Alzon répondit le 2 septembre par une longue lettre, aujourd'hui perdue, relative à La Mennais et à son propre avenir, et qui devait en bonne partie revenir à celle que nous publions. A cette lettre de l'abbé d'Alzon, de l'abbaye de Solesmes, où il passait alors quelques semaines auprès de Dom Guéranger, le jeune comte répondit, le 27 novembre 1835, par une lettre des plus intéressantes sur son état intérieur et sur ses relations avec La Mennais. (Voir en Appendice ces lettres de Montalembert.)
2. Nous l'avons déjà dit, le silence de La Mennais était dû aux indiscrétions de la police, qui décachetait ses lettres et celles de ses correspondants. Lui gardait pour d'Alzon les mêmes sentiments affectueux, et, le 31 janvier 1835, il se préoccupait encore d'un manuscrit qu'on avait confié à Bonnetty pour son ami. Voir Roussel, *Lamennais intime*, p. 340.1. Voir des extraits dans *Notes et Documents*, t. Ier, p. 500-502, 620 sq., 634. Le brouillon de cette lettre, qui ne fut ni envoyée ni même terminée, ne porte pas de destinataire. Le retrouvant plus tard, très probablement entre 1870 et 1880, d'après l'écriture, le P. d'Alzon ne le détruisit pas, non plus que les autres brouillons de lettres que nous avons retrouvés ensemble, mais il ajouta cette note: "Je ne puis me rappeler à qui j'adressais cette lettre, à du Lac sans doute." Bien qu'il soit un peu présomptueux de se prononcer contre l'auteur de la lettre, nous ne croyons pas que celle-ci fut destinée à du Lac. En effet, notre lettre suppose que le destinataire n'avait pas été informé de l'ordination sacerdotale de l'abbé d'Alzon, et d^ Lac, qui résidait alors à Paris, avait été tenu au courant par les parents de son ami;, voir la lettre du 17 janvier 1835 à Mlle Augustine; voir aussi la lettre à son père, du 25 mars 1835, où il dit qu'il a écrit à du Lac. De plus, du Lac était en ce moment en rapports suivis avec l'abbé d'Alzon, comme nous le prouve une lettre inédite de lui, en date du 19 août 1835. A qui donc était destinée la lettre? Pas à La Gournerie, car le brouillon de la lettre du 28 novembre 1834 prouve qu'il fut informé par son ami de son ordination. Pas à d'Esgrigny, car nous avons encore la lettre qui lui fut écrite à ce propos le 18 janvier 1835. Pas à Bonnetty, car la lettre que l'abbé d'Alzon écrivit à sa mère, le 3 janvier 1835, annonce sous peu une lettre pour Bonnetty, qui lui fut réellement envoyée le 18 janvier. Ce n'est pas, non plus, à l'abbé Combalot, qui était en relations constantes avec la famille d'Alzon; ni à Combeguille, de qui nous avons une lettre du 8 février 1835, dans laquelle il répond à son ami et le félicite de son ordination sacerdotale.
Parmi les amis de l'abbé d'Alzon qui furent en même temps disciples affectueux de l'abbé Féli, tel qu'est dépeint le destinataire de cette lettre, nous ne voyons que le comte de Montalembert, qui entretint alors une correspondance assez intermittente avec Emmanuel. Il avait écrit à celui-ci, de Pise, le 15 décembre 1834, quelques jours avant l'ordination sacerdotale de son ami, pour lui annoncer sa soumission définitive au Pape, et l'abbé d'Alzon, sachant que le comte allait quitter l'Italie, différa sans doute de lui répondre. Il dut s'en souvenir au cours de son voyage de retour en France, peut-être après avoir trouvé des amis communs, et il commença à Florence une lettre dont nous avons trois brouillons inachevés. Pourquoi ne l'a-t-il pas envoyée? C'est ce que nous ignorons. En tout cas, deux mois après, Montalembert, ayant appris l'arrivée en France de son ami, lui adressa, le 8 août 1835, un mot très affectueux au château de Lavagnac, sans faire la moindre allusion à une lettre qu'il aurait reçue en réponse à la sienne, datée de Pise. A ce mot, l'abbé d'Alzon répondit le 2 septembre par une longue lettre, aujourd'hui perdue, relative à La Mennais et à son propre avenir, et qui devait en bonne partie revenir à celle que nous publions. A cette lettre de l'abbé d'Alzon, de l'abbaye de Solesmes, où il passait alors quelques semaines auprès de Dom Guéranger, le jeune comte répondit, le 27 novembre 1835, par une lettre des plus intéressantes sur son état intérieur et sur ses relations avec La Mennais. (Voir en Appendice ces lettres de Montalembert.)
2. Nous l'avons déjà dit, le silence de La Mennais était dû aux indiscrétions de la police, qui décachetait ses lettres et celles de ses correspondants. Lui gardait pour d'Alzon les mêmes sentiments affectueux, et, le 31 janvier 1835, il se préoccupait encore d'un manuscrit qu'on avait confié à Bonnetty pour son ami. Voir Roussel, *Lamennais intime*, p. 340.
3. Montalembert n'alla pas voir La Mennais, qui s'était rendu à Paris témoigner en faveur des révolutionnaires ou accusés d'avril.
4. Il manque la fin de cette lettre qui resta en portefeuille. Nous avons deux autres brouillons de la même lettre, datés l'un et l'autre de Florence 26 mai 1835. L'un, qui n'a que quelques lignes, renferme ceci d'intéressant: "Je voulais vous faire part de certaines vexations, que m'avait values mon attachement à M. Féli, et je craignais que, dans les circonstances nouvelles où nous nous trouvions, mes paroles volontairement empreintes d'un sentiment de dépit, que je n'étais pas toujours maître de cacher, ne vous fissent pas bien connaître l'état de mon coeur et de ma tête. Je ne doute pas, si j'en juge par tout ce que j'ai souffert, que votre douleur n'ait été bien grande en voyant la nouvelle ligne de conduite adoptée par M. Féli."
Du second brouillon, nous reproduisons le texte à peu près dans son intégrité, sauf quelques phrases qui reviennent mot pour mot au texte que nous avons cité.
"Je suis tellement honteux, mon cher ami, d'être resté si longtemps sans vous écrire, que j'aime mieux commencer tout bonnement par vous avouer mes torts que d'aller chercher des excuses à ce que je vous permets d'appeler paresse. J'avais mille raisons pour vous écrire. D'abord, j'aurais dû vous apprendre ma promotion aux ordres sacrés. Je ne doute pas que vous n'eussiez pris une part très vive à ce grand acte, qui a pour jamais fixé ma destinée et m'a fait une obligation de me consacrer à une lutte, vers laquelle me portaient depuis longtemps mes penchants et la vue bien claire de la vanité de tout ce qui n'est pas fait pour Dieu.
"Ensuite, j'aurais dû vous dire combien j'ai souffert en voyant de loin la nouvelle conduite que s'est tracée celui que nous étions si fiers d'appeler notre maître. Où va-t-il? Que veut-il? Toutes mes conjectures se confondent dans la crainte affreuse qu'il ne veuille décidément abandonner ses anciens drapeaux. La supposition la plus raisonnable que je puisse faire est que, prévoyant l'immense influence que la politique obtenait chaque jour sur la religion, il a voulu se faire de la politique une arme pour pousser le siècle à un mouvement religieux. Pour cela, il lui a fallu changer entièrement son ancien plan de campagne. Mais le nouveau qu'il a adopté est-il meilleur? Il me paraît beaucoup trop humain pour se conformer à cette folie de la croix, par laquelle le christianisme a conquis le monde.
"Je vous conjure de me donner quelques renseignements sur la position et l'état d'esprit de cet homme, à qui je suis attaché du fond de mon âme et qui me brise [le] coeur par tout ce que j'entends dire de lui. Je ne sais pourquoi il n'a pas répondu à mes deux dernières lettres. Comme vers la même époque je fus l'objet de quelques vexations, je n'ai pas cru prudent de lui écrire davantage de Rome. Aujourd'hui, j'ignore ses dispositions à mon égard. Quelques personnes m'ont engagé à lui écrire; mais tant que je ne saurai pas où il en est, je crois que je dois garder le silence. Peut-être ai-je à me reprocher de lui avoir donné quelques détails qui ont pu l'aigrir contre Rome; cependant, il me semble que mon but avait toujours été, en lui donnant les circonstances de son affaire à Rome, de le porter à un silence absolu; et dans cette marche, j'étais guidé par les saints Pères V[entura] et O[livieri], et par le c[ardinal] M[icara]. Dans les lettres qu'il écrivit à cette époque, il paraissait décidé à le garder; cependant, il ne tarda pas à le rompre. Aujourd'hui, sa conduite parle plus haut que tout ce qu'il pourrait imprimer.
Si vous restez quelque temps encore à Paris, j'espère bien avant peu avoir le plaisir de vous trouver. Je vais faire quelques courses dans le nord de l'Italie et ensuite me mettre à la disposition de mon évêque... Je voudrais me consacrer à la conversion des protestants dans le Midi de la France, et c'est vers ce but que je voudrais diriger tous mes travaux."