Vailhé, LETTRES, vol.1, p.838

7 jun 1835 Modène, ESGRIGNY Luglien de Jouenne
Informations générales
  • V1-838
  • 0+256|CCLVI
  • Vailhé, LETTRES, vol.1, p.838
Informations détaillées
  • 1 CHATIMENT
    1 DIEU
    1 ETATS PONTIFICAUX
    1 ETUDES ECCLESIASTIQUES
    1 FRANCAIS
    1 GOUVERNEMENT
    1 IGNORANCE
    1 ITALIENS
    1 LEGISLATION
    1 LIVRES
    1 LOI CIVILE
    1 NOBLESSE
    1 PARENTS
    1 PENTECOTE
    1 PEUPLE
    1 PRESSE
    1 REFORME DE LA VOLONTE
    1 REPOS
    1 REVOLUTION
    1 SALUT DES AMES
    1 SENTIMENTS
    1 SOUVERAIN PROFANE
    1 TRAVAIL MANUEL
    1 TRISTESSE PSYCHOLOGIQUE
    1 VERTU D'OBEISSANCE
    1 VOYAGES
    2 ALZON, HENRI D'
    2 ALZON, MADAME HENRI D'
    2 BAILLY, EMMANUEL SENIOR
    2 CHAFFOY, CLAUDE-FRANCOIS DE
    2 FRANCOIS IV D'ESTE-LORRAINE
    2 GOURAUD, HENRI
    2 LAMENNAIS, FELICITE DE
    2 MARIE-LOUISE, IMPERATRICE
    2 NAPOLEON Ier
    3 ADRIATIQUE
    3 CARRARE
    3 FRANCE
    3 LAVAGNAC
    3 MASSA
    3 MILAN
    3 MODENE
    3 PARIS
    3 SUISSE
    3 TOSCANE
    3 TRIESTE
    3 TYROL
    3 VENISE
  • A MONSIEUR LUGLIEN DE JOUENNE D'ESGRIGNY (1).
  • ESGRIGNY Luglien de Jouenne
  • le 7 juin 1835.
  • 7 jun 1835
  • Modène,
  • Monsieur
    Monsieur Luglien de Jouenne d'Esgrigny,
    rue Ferme des Mathurins, n° 22.
    Paris.
La lettre

Le jour de la Pentecôte que je passe à Modène(2), mon cher ami, me donne un peu de repos au milieu de mes courses commencées depuis trois semaines. J’ai dit adieu aux Etats romains, à la Toscane; demain, j’entre sur les terres de la femme de Napoléon. Dimanche, je serai à Milan. Ainsi, je m’approche de la France et je ne puis vous dire avec quel désir d’y rentrer. Je crois que je sacrifierai Venise à cette envie. Je suis tenté de renoncer à un projet que j’avais de revenir de Milan, avec des compagnons de voyage que je dois y trouver, vers Venise, Trieste et le Tyrol. Pour le Tyrol, décidément je ne le verrai pas. Venise me séduit bien; mais j’ai calculé qu’un voyage en Suisse, que je ne puis faire maintenant, se combinerait à merveille par (sic) une excursion du côté de l’Adriatique.

Je vais donc, dans un mois environ, revoir cette pauvre chère France. Je ne puis m’empêcher d’être triste, en pensant à tout ce qu’elle perd tous les jours de considération dans les pays que je traverse. Les Français paraissent inexplicables aux Italiens, les plus dignes d’apprécier l’état de choses, lorsqu’ils comparent ce que ceux-ci ont détruit avec ce qu’ils supportent. Cette inanition subite n’est-elle pas un châtiment? Dieu n’a-t-il pas ôté à un peuple la puissance d’agir, lorsqu’on voit ce peuple traîner sa chaîne, baisser le dos sous les coups et la figure sous les crachats? Dites-moi donc, est-ce que je me fais les choses plus noires qu’elles ne sont?

Je voudrais vous parler de Modène et je suis assez embarrassé. Il est certain qu’il s’y passera quelque chose, d’ici à peu de temps. L’archiduc bâtit des citadelles et des casernes. Les espions pullulent, les familles riches s’en vont. C’est, vous le savez, la noblesse modénaise qui avait tenté la révolution. Le peuple est ignorant et content. On m’a assuré que, dernièrement, le duc ayant fait de nuit un voyage de Massa à Carrare, le peuple de ces pays avait, malgré ses ordres, éclairé toute la route pour lui témoigner sa joie de le voir. Ici, il fait beaucoup travailler: la campagne se peuple d’une manière prodigieuse. L’archiduc disait à une personne, de qui je le tiens: « La révolution m’a appris deux choses: la première, que l’on ne peut attendre que du mal de la noblesse italienne; la seconde, que s’il y a quelque bien à espérer, c’est du peuple seul. » Et c’est en effet sur le peuple qu’il s’appuie. Il a armé toute la population des villages qui lui est dévouée.

S’il y a un défaut à reprocher à ce gouvernement, c’est de faire des lois inexécutables. Il est défendu de prêter un livre qui ne soit muni du double timbre approbateur, sous peine de vingt francs d’amende, et cela entre gens qui habitent la même maison. Je vous laisse à juger des autres articles d’une pareille loi de la presse, d’après celui-là seul. Je tremblais pour quelques ouvrages qui devaient être visités à la frontière, mais un pourboire de trente sous empêcha les surveillants de rien voir absolument. Il me semble que, de toutes les législations, la pire est celle où l’on est dans la nécessité, par trop de rigueur, de faire faire des infractions continuelles. Non seulement alors on arrive à ne pas atteindre son but, mais on fournit le moyen de se soustraire aux dispositions les plus légitimes.

L’année ne se passera pas, j’espère, sans que j’aie le plaisir de vous embrasser; car je présume que je ne tarderai pas, après avoir vu mes parents, à faire un tour à Paris. Toutefois, cela dépend d’une foule de circonstances. Mon évêque décidera de tout. Je lui parlerai de mon désir de me consacrer à la conversion des protestants et de me préparer à cette oeuvre par des études que je crois nécessaires. S’il accepte ma proposition, j’irai en avant; s’il ne l’accepte pas, je resterai où il me mettra. Vous ne sauriez croire combien il est pénible, quand on sait que sa volonté est liée, d’en faire usage sans la direction de l’autorité qui doit la gouverner. C’est au moins le sentiment que j’éprouve depuis que je suis prêtre.

Adieu, cher ami. Ecrivez-moi, je vous prie, à Lavagnac. Vous serez bien aimable si vous m’y prévenez par une de vos lettres. Donnez-moi des nouvelles détaillées de Gouraud, de l’abbé de la M[ennais], de M. Bailly. Il y a quelque chose qui me dit que M. de la M[ennais] ne sera pas toujours dans l’état affreux où on me l’a peint.

Emmanuel.
Notes et post-scriptum
1. Voir des extraits dans *Notes et Documents*, t. Ier, p. 620, 631.2. En 1835, la Pentecôte tomba, en effet, le 7 juin.