Vailhé, LETTRES, vol.1, p.852

13 jul 1835 Lavagnac, ESGRIGNY Luglien de Jouenne
Informations générales
  • V1-852
  • 0+264|CCLXIV
  • Vailhé, LETTRES, vol.1, p.852
Informations détaillées
  • 1 AMITIE
    1 APOSTOLAT
    1 AUTEL
    1 CHAIRE
    1 CHARITE ENVERS DIEU
    1 CHRISTIANISME
    1 COLERE
    1 CONVERSATIONS
    1 DESOBEISSANCE
    1 FAIBLESSES
    1 FATIGUE
    1 FETES DE MARIE
    1 JOIE
    1 MALADIES
    1 PARDON
    1 PAROISSE
    1 PREDICATION
    1 PRETRE SECULIER
    1 PROTESTANTISME ADVERSAIRE
    1 PROVIDENCE
    1 SAINTE COMMUNION
    1 SENTIMENTS
    1 SERMONS
    1 SUFFISANCE
    1 TRAVAIL DE L'ETUDE
    1 TRAVAIL MANUEL
    1 VERTU D'OBEISSANCE
    1 VOLONTE PROPRE
    1 VOYAGES
    2 CHAFFOY, CLAUDE-FRANCOIS DE
    2 FENELON
    2 GOURAUD, HENRI
    3 ALLEMAGNE
    3 ANGLETERRE
    3 FRANCFORT-SUR-LE-MAIN
    3 MONTAGNAC
    3 PARIS
  • A MONSIEUR LUGLIEN DE JOUENNE D'ESGRIGNY (1).
  • ESGRIGNY Luglien de Jouenne
  • le 13 juillet 1835.
  • 13 jul 1835
  • Lavagnac,
  • Monsieur
    Monsieur Luglien d'Esgrigny,
    rue Ferme des Mathurins, n° 22.
    Paris.
La lettre

Mon cher ami,

J’ai reçu hier votre lettre de Francfort; elle m’a fait plus de plaisir encore que ne m’en causent ordinairement vos lettres, et c’est beaucoup dire. Je ne sais quelle sorte de joie j’éprouvai, en pensant qu’après cinq ans de séparation j’ai un ami qui pour moi est toujours le même. J’éprouvai aussi une certaine satisfaction dans la conviction que, si Je pouvais vous montrer mon coeur, vous y trouveriez votre souvenir occupant tous les jours une place bien plus grande. Il y a pour moi un motif si puissant d’aimer Dieu dans l’affection de mes amis que je me fais une douce obligation de m’attacher sans cesse davantage à eux.

Je suis bien aise que votre temps s’écoule d’une manière agréable. Les voyages que vous faites doivent beaucoup vous distraire et beaucoup vous instruire. Je crois que le temps de cette vie errante est passé pour moi, ou plutôt qu’elle commence, mais d’une manière bien différente de la vôtre. Je suis prêtre, et vous ne sauriez croire combien me pèse ma volonté, depuis que j’ai promis obéissance à mon évêque.

Je prévois que je serai passablement vexé. Mes projets sur les protestants sont entièrement détruits. J’ignore absolument ce que je ferai dans quinze jours. Mon désir serait d’aller étudier quelque temps encore à Paris, ou en Allemagne, ou en Angleterre. Le pourrai-je? A peu près positivement non. Que fera-t-on de moi? Je l’ignore. Au milieu de cette incertitude, qui, certes, a pour moi des moments de grand ennui, je tâche de me jeter aveuglément entre les bras de la Providence et de réprimer certains murmures qui viennent agiter mes lèvres. Ayez pitié de moi, mon bon ami; plaignez-moi d’être si faible et si impatient, si lâche pour la grande cause qui m’est préparée, si téméraire de me croire bon à quelque chose.

Je vous dévoile mon âme telle qu’elle est, au moins je voudrais pouvoir le faire, car vous ne sauriez vous imaginer tout ce qui passe par ma tête et par mon coeur, lorsque je m’arrête à considérer où nous en sommes en fait de religion, et tout ce qu’on fait ou qu’on ne fait pas pour lui rendre son diadème tombé.

30 juillet.

Obligé d’interrompre cette lettre, je la reprends pour vous dire que nous sommes enveloppés par le choléra. J’ai offert mes services aux prêtres de la paroisse sur laquelle nous habitons; ils m’ont promis de m’appeler quand le moment serait venu.

9 août.

Je suis vraiment bien coupable envers vous, mon cher ami, et cependant j’espère que vous me pardonnerez, quand vous saurez que je me suis chargé de prêcher huit instructions pour préparer les gens de la paroisse, près de laquelle nous habitons, à la fête de la Sainte Vierge et au choléra, et que j’ai eu à peine une semaine pour me préparer(2). Hier, j’ai donné le premier exercice. Je suis un peu fatigué, parce que, ne voulant pas parler pour la première fois en chaire, je suis resté à l’autel et, pour me faire entendre, j’ai été obligé de crier comme un sourd. Je ne puis vous dire avec quelles impressions j’ai commencé ce nouveau genre de ministère. Ma résolution bien formelle jusques à présent, est de ne jamais prêcher de discours de rhéteur. J’ai pris pour règle les trois admirables Dialogues de Fénelon sur l’éloquence de la chaire.

15 août.

Vous croirez, cher ami, que je me moque de vous, si je vous dis que je n’ai pas eu un moment, et que ces essais de bonne volonté si souvent interrompus sont indépendants de moi. Cependant, toute décousue que sera cette lettre, je veux la faire partir, pour vous prouver que, si je ne vous écris pas, ce n’est pas que je ne songe a vous écrire.

Pour vous reparler de ce triste choléra, sachez que je ne suis pas encore mort et que j’espère que Dieu aura pitié de la paroisse, où j’ai prêché. J’ai distribué, ce matin, la communion à près de 250 personnes. C’est énorme, si l’on considère que les travaux de la campagne absorbent les moments du peuple, dans la saison où nous sommes. Je n’ai pas tant donné des sermons que des conférences. On en a été content. Je voudrais que nous pussions nous voir pour causer de toutes ces choses. Mais quand nous verrons-nous? Je ne sais pas où je serai dans huit jours. Je vous écrirai sous très peu de temps, mais permettez que je m’arrête. Je suis fatigué, et cependant je veux vous dire encore une fois que, si vous voyiez mon coeur, vous serez content de la part que vous y occupez.

Mes tendres amitiés à Gouraud.

Emmanuel.
Notes et post-scriptum
1. Voir des extraits dans *Notes et Documents*, t. Ier, p. 634 sq. Cette lettre, commencée le 13 juillet et achevée le 15 août, ne fut remise que le 16 août au bureau de poste de Montagnac.
2. Voir dans *Notes et Documents*, t. II, p. 1-6, l'analyse de cette première série de sermons donnés à Montagnac.1. Voir des extraits dans *Notes et Documents*, t. Ier, p. 634 sq. Cette lettre, commencée le 13 juillet et achevée le 15 août, ne fut remise que le 16 août au bureau de poste de Montagnac.
2. Voir dans *Notes et Documents*, t. II, p. 1-6, l'analyse de cette première série de sermons donnés à Montagnac.