Vailhé, LETTRES, vol.2, p.3

10 aug 1836 Lavagnac, ESGRIGNY Luglien de Jouenne

Depuis près d’un an, il a gardé le silence, mais son coeur reste le même. Des amis lui ont donné de ses nouvelles. -Projets écroulés.

Informations générales
  • V2-003
  • 0+266|CCLXVI
  • Vailhé, LETTRES, vol.2, p.3
Informations détaillées
  • 1 AMITIE
    1 LOISIRS
    1 MINISTERE SACERDOTAL
    1 PROVIDENCE
    1 TRAVAIL
    1 TRISTESSE PSYCHOLOGIQUE
    2 ALZON, MADAME HENRI D'
    2 DU LAC, JEAN-MELCHIOR
    2 VEUILLOT, LOUIS
    2 WILSON, CHARLES
    3 LAVAGNAC
    3 NIMES
  • A MONSIEUR LUGLIEN DE JOUENNE D'ESGRIGNY (1).
  • ESGRIGNY Luglien de Jouenne
  • le 10 août 1836.
  • 10 aug 1836
  • Lavagnac,
La lettre

Voilà près d’un an, mon cher ami, que je n’ai vu de votre écriture. Pendant que j’ai été occupé par les divers travaux que l’on me confie ou que je me crée, quoique pensant souvent à vous et me reprochant pour le moins autant votre silence que je vous le reprochais à vous-même, j’ai pris patience et je me suis peut-être rendu coupable en me contentant d’écrire à ceux de mes amis qui voulaient bien me donner de leurs nouvelles. Aujourd’hui que je suis à la campagne et que j’ai repris une partie des habitudes que j’y avais contractées pendant le séjour que j’y ai fait depuis 1830, je me suis rappelé qu’une des plus douces de ces habitudes était de vous écrire souvent et de recevoir quelquefois de vos lettres. Eh! bien, cher ami, ce qui me faisait tant de bien et tant de plaisir autrefois, pourquoi y renoncer entièrement? Pardonnez-moi donc mon silence, si je suis coupable. Je vous assure, pour mon compte, que j’aurai tout oublié pour penser à la seule joie de revoir votre écriture, du moment que la poste m’aura apporté quelque chose de vous. Ce qui me fait parler ainsi, c’est que s’il m’était permis de vous laisser voir tout mon coeur, vous verriez que vous n’y avez pas perdu un seul moment la grande place que je vous y avais donnée, et que mon silence n’était certes pas de l’oubli.

Voyez donc comme il est ennuyeux de rester trop longtemps sans s’écrire, et qu’il est pénible d’être obligé d’en venir aux protestations! Au fait, j’aime mieux croire qu’entre nous elles sont inutiles et, pour mon compte, un je vous aime mis au bas d’une de vos lettres de 1836 m’exprimera le même sentiment que tout ce que vous m’auriez pu dire en 1830.

Ce que je ne sais pas par vous, je l’ai appris par d’autres. Du Lac m’écrit que vous étiez toujours un excellent ami; en vérité, je m’en doutais. Wilson(2), qui est venu passer quelques jours chez ma mère pour y voir une dame, des enfants de qui il est subrogé tuteur, m’a assuré tant de choses admirables de vous que j’ai une envie démesurée de vous revoir, ne fut-ce que pour savoir s’il dit vrai. Mais quand sera-ce que nous nous retrouverons? La Providence, qui m’a jeté à Nîmes, m’y fixera peut-être longtemps encore. Il est des projets auxquels il faut renoncer, après les avoir doucement bercés dans son imagination. J’en ai eu tant de cette espèce que ma résolution bien ferme est de n’en plus former, afin de n’avoir plus l’ennui de les démolir. On me dit aussi que vous travaillez beaucoup et qu’en même temps vous vous amusez beaucoup. Franchement, travaillez-vous? Et vous amusez-vous? Je ne sais pourquoi je doute de l’un et de l’autre. Je ne sais encore pourquoi, dans mes rêves, vous m’apparaissez toujours triste et cachant au fond du coeur une amertume que vous voudriez épancher, sans le pouvoir. Aurais-je malheureusement deviné? Je désire vivement le contraire, mais c’est parce que je le désire vivement, que je crains aussi d’avoir raison.

De nouvelles, je n’en ai point, ou plutôt j’en ai de trop longues qui me concernent personnellement pour vous les conter aujourd’hui. Je ne veux que savoir si vous vous souvenez de moi, et si vous êtes toujours le même à mon égard.

Adieu donc, cher ami. Répondez-moi vite, et croyez-moi quand je vous dis, comme autrefois, que je vous aime.

Emmanuel.
Notes et post-scriptum
1. Voir des extraits dans *Notes et Documents*, t. II, p. 46.2. Charles Wilson, un des amis dévoués de Louis Veuillot et de la rédaction de l'*Univers*.