Vailhé, LETTRES, vol.2, p.26

26 dec 1837 [Nîmes, ESGRIGNY Luglien de Jouenne

Les circonstances les plus embarrassantes de sa vie. -Il obtient le départ du grand vicaire Laresche. -Il est à peu près maître de tous les enfants de Nîmes, de douze à quinze ans. -Son genre de prédication n’est pas assez populaire.

Informations générales
  • V2-026
  • 0+279|CCLXXIX
  • Vailhé, LETTRES, vol.2, p.26
Informations détaillées
  • 1 ADVERSAIRES
    1 AMBITION
    1 CALOMNIE
    1 CARACTERES DE L'APOSTOLAT
    1 COLERE
    1 CONTRAINTE
    1 DIRECTION PASTORALE DU DIOCESE DE NIMES
    1 EPREUVES
    1 OEUVRES DE JEUNES
    1 SALUT DES AMES
    1 VICAIRE GENERAL
    2 BESSON, LOUIS
    2 CHAFFOY, CLAUDE-FRANCOIS DE
    2 DU LAC, JEAN-MELCHIOR
    2 LARESCHE, PIERRE-JOSEPH
    3 NIMES, DIOCESE
  • A MONSIEUR LUGLIEN DE JOUENNE D'ESGRIGNY (1).
  • ESGRIGNY Luglien de Jouenne
  • le 26 décembre 1837.]
  • 26 dec 1837
  • [Nîmes,
La lettre

Je commence par exiger que vous ne vous fâchiez pas trop de mon long silence. Je dis: pas trop; je serais fâché, à mon tour, que vous ne le fussiez pas du tout. Après quoi, je vous gronderai de ne pas m’avoir envoyé du Lac. Il semble que Dieu ait voulu me laisser seul dans les circonstances les plus embarrassantes où je me sois trouvé de ma vie, et [où] mon coeur ou mon égoïsme réclamait à grands cris le conseil d’un ami. Vous raconter la longue suite de misères, dont j’ai vu tous les fils se dévider sous mes yeux et qu’il m’a fallu débrouiller, que quelquefois aussi j’ai embarrassés davantage, serait vous ennuyer de détails inutiles. Et cependant, chacun de ces détails a été pour moi une épine, quelquefois -il faut pourtant le dire -un sujet d’amusement; je ne suis pas encore accoutumé à prendre la vie tellement au sérieux, que je ne me divertisse du côté risible que présentent les affaires les plus graves.

Voici, en deux mots, la pensée qui m’a dirigé. Monseigneur mort(2), j’ai cru avantageux au diocèse et à M. Laresche que celui-ci se retirât. Une faction a voulu le faire partir par force; mais j’ai fait ce que j’ai pu pour lui persuader, comme son ami, qu’il devait se retirer. Cette position était délicate, parce que je pouvais passer auprès de M. Laresche pour un émissaire de ses ennemis, et, en m’attachant à la fortune tombée, je devais passer aux yeux d’anciens amis pour un déserteur. Je crois avoir assez bien suivi la ligne que je m’étais tracée. J’ai toujours hautement justifié M. Laresche des calomnies qu’on a répandues sur son compte; j’ai signifié que je ne me faisais pas le Don Quichotte de son administration; j’ai dit que M. Laresche avait une position bien plus avantageuse en ne revenant pas qu’en revenant et, pour qu’on ne me soupçonnât pas d’ambitionner sa place, j’ai signifié -ce qui est très vrai- que je ne voulais pas être grand vicaire(3).

J’ai certes une carrière, à Nîmes même, autrement belle que celle d’administrateur. Il me semble que Dieu me fournit tous les jours les moyens de travailler à la conversion des hommes et des protestants. Que puis-je désirer de plus? Je n’ignore pas que bien des obstacles restent à renverser; mais enfin toujours est-il que je suis à peu près maître de tous les enfants de Nîmes, de douze à quinze ans, et qu’avec le temps je puis espérer d’étendre [mon] influence sur de plus avancés(4). Chaque année, je gagne énormément. Je n’ai qu’un malheur, c’est que l’on me reproche de n’avoir pas un genre assez populaire. Il est vrai que l’on trouve aussi qu’il y a eu un grand progrès chez moi depuis l’année dernière.

Voilà, cher ami, que je ne vous parle pas mal de moi: je suis plein de mon sujet. Parlez-moi donc de vous. Que faites-vous? Où allez-vous? j’entends pour votre esprit. Où vous arrêtez-vous? Que faites-vous de votre puissance d’action qui est si grande? 1838 passera-t-il comme 1837? Ferez-vous un homme décidément très remarquable? Répondez-moi. Adieu.

Emmanuel.
Notes et post-scriptum
1. Voir des extraits dans *Notes et Documents*, t. II, p. 35, 141 sq. La date donnée est celle du cachet de la poste, à Nîmes.
3. Laresche, vicaire général de Mgr de Chaffoy et Franc-Comtois comme lui, était né à Malbuisson en 1791. Ordonne prêtre en 1817, il avait suivi à Nîmes, en qualité de secrétaire, cet évêque qui l'avait ensuite nommé son vicaire général et, par deux fois, avait sollicité vainement d'en faire son auxiliaire avec future succession. Cette fausse position et la jalousie de certains prêtres l'obligèrent à rentrer dans le diocèse de Besançon; il y accepta en mai 1838 la modeste cure de Chantrans, où il mourut le 5 février 1842. (Voir Besson, *Vie de Mgr Cart*, Besançon, 1856, p. 208 sq.)1. Voir des extraits dans *Notes et Documents*, t. II, p. 35, 141 sq. La date donnée est celle du cachet de la poste, à Nîmes.
2. Mgr de Chaffoy, mort à Nîmes le 29 septembre 1837.
3. Laresche, vicaire général de Mgr de Chaffoy et Franc-Comtois comme lui, était né à Malbuisson en 1791. Ordonne prêtre en 1817, il avait suivi à Nîmes, en qualité de secrétaire, cet évêque qui l'avait ensuite nommé son vicaire général et, par deux fois, avait sollicité vainement d'en faire son auxiliaire avec future succession. Cette fausse position et la jalousie de certains prêtres l'obligèrent à rentrer dans le diocèse de Besançon; il y accepta en mai 1838 la modeste cure de Chantrans, où il mourut le 5 février 1842. (Voir Besson, *Vie de Mgr Cart*, Besançon, 1856, p. 208 sq.)
4. D'après un document du temps, les écoles primaires catholiques de Nîmes comptaient en tout près de 2 500 élèves; il faut y ajouter les élèves du collège royal et des divers pensionnats de jeunes filles. Par ses catéchismes, ses confessions et son patronage, l'abbé d'Alzon exerçait une grande influence sur tous les enfants qui avaient fait leur première Communion, comme il le note ici.