Vailhé, LETTRES, vol.2, p.41

1839 [Nîmes, URBAIN

En discutant de l’existence de Dieu, on ne peut contenir son émotion, comme s’il ne s’agissait que d’un problème de mathématique. -Motifs de croire en Dieu.

Informations générales
  • V2-041
  • 0+287|CCLXXXVII
  • Vailhé, LETTRES, vol.2, p.41
Informations détaillées
  • 1 ATHEISME
    1 BONHEUR
    1 CHRISTIANISME
    1 CIEL
    1 CONNAISSANCE DE DIEU
    1 CONSCIENCE MORALE
    1 CONSENTEMENT
    1 DESIR
    1 DEVOIRS DE CHRETIENS
    1 DISPOSITIONS AU PECHE
    1 EDUCATION RELIGIEUSE
    1 ENFER
    1 ERREUR
    1 ETERNITE
    1 ETRE HUMAIN
    1 FOI
    1 IMMORTALITE DE L'AME
    1 INCARNATION DE JESUS-CHRIST
    1 JEUX
    1 JUSTICE
    1 LIVRES
    1 LOI DIVINE
    1 LOI MORALE
    1 LOI NATURELLE
    1 MATIERES SCOLAIRES
    1 MIRACLES DE JESUS-CHRIST
    1 PECHE ORIGINEL
    1 PENSEE
    1 PERFECTIONS DE DIEU
    1 RATIONALISME
    1 REDEMPTION
    1 RESURRECTION DE JESUS-CHRIST
    1 SENTIMENTS
    1 THEOLOGIE
    1 VERITE
    1 VOLONTE
    2 BUCHEZ, PHILIPPE
    2 PAUL, SAINT
  • A MONSIEUR URBAIN (1).
  • URBAIN
  • ? 1839.]
  • 1839
  • [Nîmes,
La lettre

Mon cher Monsieur Urbain,

Je vous remercie de la promptitude avec laquelle vous avez répondu à ma lettre; je vais tâcher, pour cette fois, d’imiter votre exemple. J’espère que, tôt ou tard, nous viendrons à bout de nous entendre.

Vous n’engagez à ne pas apporter à notre correspondance plus d’émotion que vous n’en mettriez à discuter un problème de mathématique. Si vous voulez entendre par là que nous devons l’un et l’autre écarter toute prévention personnelle, je suis complètement de votre avis. Dans toute autre chose, cela m’est impossible. Que penseriez-vous d’un plaideur, qui, sur le point de voir juger un procès duquel toute sa fortune dépend, prétendrait ne pas plus apporter d’émotion à la plaidoirie des avocats qu’à une partie d’écarté, où il ne jouerait que pour l’honneur? Dans la supposition où toute vérité métaphysique n’est qu’une chimère, vous avez raison. Mais s’il était vrai que Dieu existe, que j’ai une âme immortelle, qu’il y a un ciel et un enfer, il me semble que je cours assez gros jeu en prenant parti pour ou contre(2), pour que j’y apporte quelque intérêt. L existence de Dieu, l’immatérialité de l’âme, l’existence du ciel et de l’enfer sont des faits. Les deux suppositions contradictoires ne sauraient être à la fois vraies ou à la fois fausses. Ou Dieu existe ou il n’existe pas. S’il n’existe pas, je n’ai à m’inquiéter de rien. Mais s’il existe et si j ai des devoirs à remplir envers lui, la question prend pour moi un assez grand intérêt. En ne m’occupant pas de Dieu, supposé qu’il existe et que mon âme soit immortelle, je joue mon éternité. Cela vaut la peine que j’y pense.

Puisque vous me dispensez de revenir sur vos observations à propos du livre de M. Buchez(3), je les laisserai pour le moment de côté, quoique j’aie vu dans vos réponses bien des choses contestables et d’autres que vous me paraissiez n’avoir pas saisies dans le sens de l’auteur. Et puisque vous voulez mes motifs de croyance en Dieu, les voici.

1° J’ai été élevé dans la croyance en Dieu, ce qui, je vous l’avoue, était pour moi un préjugé favorable et naturel qui inclinait mon esprit du côté de cette croyance.

2° Quand j’ai voulu examiner les choses par moi-même, j’ai été frappé d’un fait, c’était la variété infinie d’opinions qui se manifestaient chez les hommes, qui tous invoquaient le témoignage ou plutôt l’autorité de la raison. J’en conclus que, si l’homme était fait pour connaître la vérité, il devait exister un moyen en dehors de la raison pour y parvenir.

3° Je trouvais en moi un besoin de jouissances, et, je l’avoue, tout ce que je voyais sur la terre, tout ce que m’apprenait l’expérience des autres me prouvait que rien sur la terre ne pouvait satisfaire ce désir de bonheur.

4° Je regardais dans mon intérieur et je ne sais si j’étais sous le poids de préjugés, mais je ne pouvais m’empêcher de voir en moi un grand désordre, une volonté portée au bien [et] un penchant presque irrésistible pour le mal.

5° La religion m’expliquait ces choses. Mais pour admettre les explications de la religion, il fallait admettre la religion elle-même. Pour cela il fallait étudier les enseignements de la religion. Or, la religion m’apprenait: a) que l’homme étant vicié dans son origine, Dieu avait envoyé son Fils, afin de lui apprendre la vérité qu’il avait oubliée; b) que ce Fils ayant pris un corps semblable au nôtre était venu nous apprendre à croire ce que nous devions comprendre plus tard. Ce Fils prouvait sa mission par des faits extraordinaires, et le plus extraordinaire de tous était qu’étant mort il s’était ressuscité lui-même.

6° Le fait de la résurrection m’étant attesté par des hommes qui, n’ayant aucun intérêt humain à le faire connaître, étaient morts au nombre de plus de 400 pour attester qu’ils en avaient été les témoins oculaires(4), j’en conclus ou qu’il n’y a aucune vérité historique, ou qu’il faut admettre le fait qui offre le plus de garanties d’authenticité. Car, dans l’histoire, on ne trouvera aucun fait qui soit constaté par le témoignage sanglant de 400 témoins et de plusieurs milliers d’autres témoins qui meurent, en attestant qu’ils ont vu ces témoins oculaires de la résurrection confirmer la vérité de ce prodige par de nouveaux prodiges.

Or, je raisonnais ainsi. Nul homme ne peut intervertir les lois de la nature, et celui qui les intervertit et qui donne à d’autres hommes le droit de les intervertir en son nom et plus qu’un homme, il est [le] maître de la nature. Or, ou il n’y a aucune vérité historique, ou un homme a interverti ces lois. Donc la nature a un maître.

7° Ce maître s’est manifesté par les prodiges qu’il a faits et, en faisant ces prodiges, il les a donnés comme preuve qu’il avait le droit de promulguer des lois dans l’ordre moral. Car il n’a pas fait un prodige qui ne fût comme un gage de ses droits sur la morale. S’il a prouvé son droit, il l’a donc. S’il a ce droit, je dois le reconnaître et me laisser enseigner par lui.

8° Voilà pour le raisonnement. Mais j’ai très bien senti que le raisonnement ne suffisait pas pour avoir la foi, parce que la foi est un don de Dieu et que l’homme peut bien arriver à comprendre que de lui-même il ne peut avoir la vérité, l’homme peut reconnaître l’enchaînement de la vérité, quand elle lui est donnée, mais il ne peut monter au ciel de lui-même et sommer Dieu de lui répondre.

9° J’ai vu dans saint Paul: L’homme qui se compare aux animaux ne peut comprendre les choses de l’esprit de Dieu, parce qu’il est chair(5). Il y a dix-huit siècles que saint Paul dénonçait un fait qui est surtout visible de nos jours, c’est l’état de ces hommes qui, se plaçant dans la nature, ne veulent juger que par elle. Il est sûr qu’ils donneront des explications plus ou moins plausibles, tout en avouant que, telles qu’ils les donnent, [elles] ne datent que de quelques années, renversant ainsi la science de leurs prédécesseurs, en attendant que ceux qui viendront après eux fassent à leur tour table rase.

10° La vérité, au contraire, est immuable. Elle varie en un sens pour l’homme, en ce sens qu’elle se développe, comme le soleil qui est toujours le même, quoique sa lumière se modifie pour nos yeux depuis le point du jour jusqu’au moment où il atteint le haut de sa course.

11° Puisque j’ai parié du soleil, voulez-vous me permettre une comparaison. Ne croyez-vous pas que l’on puisse faire des objections insolubles contre le phénomène de vision? Supposez ces objections dans la bouche d’un aveugle, que lui répondra l’homme le plus grossier? « Je vois. » Il en est de même d’un homme qui ne croit pas. Il peut faire les objections les plus étonnantes à un pauvre paysan qui aura la foi, celui-ci ne saura que répondre: « Je crois »; et, quoiqu’il n’ait pas de raisons, il aura pourtant raison, comme l’ignorant qui voit a raison contre le savant aveugle…(6)

Notes et post-scriptum
3. Philosophe et homme politique, né en 1796 et mort en 1865. Après avoir trempé dans plusieurs conspirations, passé du carbonarisme au saint-simonisme, puis au positivisme, il finit par revenir aux pratiques chrétiennes et fonda un néo-catholicisme à tendances mystiques. Il exposa son système, en 1839, dans l'*Essai d'un traité complet de philosophie au point de vue du catholicisme et du progrès*, dont il doit être question ici.1. D'après le brouillon. La date donnée est approximative. D'une part, l'écriture et le papier utilisé se rapportent à la première période du ministère apostolique de l'abbé d'Alzon; d'autre part, la lettre fait allusion à un ouvrage de Buchez qui parut en 1839.
2. Nous avons corrigé le manuscrit qui porte, d'une part: "qu'il y a un ciel *ou* un enfer", et, d'autre part "en prenant parti pour *et* contre."
3. Philosophe et homme politique, né en 1796 et mort en 1865. Après avoir trempé dans plusieurs conspirations, passé du carbonarisme au saint-simonisme, puis au positivisme, il finit par revenir aux pratiques chrétiennes et fonda un néo-catholicisme à tendances mystiques. Il exposa son système, en 1839, dans l'*Essai d'un traité complet de philosophie au point de vue du catholicisme et du progrès*, dont il doit être question ici.
4. *I Cor*. XV, 6. Saint Paul dit: *Deinde visas est plus quam quingentis fratribus simul, ex quibus multi manent usque adhuc, quidam autem dormierunt*.
6. La fin manque. Nous ignorons qui est cet Urbain, qui avait avec notre fondateur une correspondance aussi sérieuse et aussi instructive, quelque universitaire probablement. Nous avons trouvé ce brouillon de lettre, ainsi que le suivant, dans une liasse de papiers non encore examinés et renfermant, avec ces lettres, des notes à peine ébauchées sur les sujets les plus disparates, des résumés de lectures, des textes ou même des canevas plus ou moins développés de sermons.4. *I Cor*. XV, 6. Saint Paul dit: *Deinde visas est plus quam quingentis fratribus simul, ex quibus multi manent usque adhuc, quidam autem dormierunt*.
5. *Rom*. VIII, 5.