Vailhé, LETTRES, vol.2, p.45

1839 [Nîmes, INCONNUS

La connaissance pratique de Dieu porte à le voir partout. -Notre-Seigneur, homme parfait, doit être son modèle dans l’oraison, l’humilité, la mortification et la pauvreté. -Fuir l’oraison d’imagination et avancer dans la nuit obscure. -Etre humble envers soi-même. -Mortifier surtout son esprit. -Mortifications corporelles permises. -Pratiquer la pauvreté spirituelle en se privant de toute consolation.

Informations générales
  • V2-045
  • 0+288|CCLXXXVIII
  • Vailhé, LETTRES, vol.2, p.45
Informations détaillées
  • 1 AMOUR-PROPRE
    1 CATHOLIQUE
    1 CEINTURE INSTRUMENT
    1 CHARITE ENVERS DIEU
    1 DETACHEMENT
    1 DEVOIRS DE CHRETIENS
    1 DEVOIRS DE L'HOMME
    1 DEVOIRS DE SOCIETE
    1 DISCIPLINE INSTRUMENT
    1 HUMILITE
    1 IMITATION DE JESUS CHRIST
    1 JESUS-CHRIST MODELE
    1 JEUNE CORPOREL
    1 LUTTE CONTRE LE PECHE
    1 MERE DE FAMILLE
    1 ORAISON
    1 PENITENCES
    1 PERFECTIONS HUMAINES DE JESUS-CHRIST
    1 PORTEMENT DE LA CROIX PAR LE CHRETIEN
    1 PRIERE DE JESUS-CHRIST
    1 PRUDENCE
    1 RENONCEMENT
    1 SAINT-ESPRIT
    1 SAINTE COMMUNION
    1 SALUT DES AMES
    1 SANTE
    1 THEOLOGIE MYSTIQUE
    1 TRIOMPHE DE L'EGLISE
    1 VERTU DE PAUVRETE
    1 VIE SPIRITUELLE
    1 VOIE UNITIVE
    2 CASSIEN
    2 FENELON
    2 JEAN DE LA CROIX, SAINT
    3 JERUSALEM, JARDIN DES OLIVIERS
    3 SINAI
  • A MADAME X...(1).
  • INCONNUS
  • vers 1839.]
  • 1839
  • [Nîmes,
La lettre

… Vous êtes chrétienne et catholique; vous êtes mère de famille et, quoique vous ne soyez pas du monde, vous êtes dans le monde. Ces trois états différents vous imposent différents devoirs. Examinez-le successivement.

Vous êtes chrétienne catholique. Revenons au fondement de la vie du chrétien: il est créé pour connaître, aimer et servir Dieu. C’est un devoir pour vous de vous efforcer de le connaître davantage. Mais je ne veux point parler ici d’une connaissance théorique, je parle d’une connaissance pratique de Dieu qui doit vous porter à le voir partout dans toutes ses oeuvres et dans tous les événements, en sorte que chaque être, chaque événement soit pour vous une prédication vivante, qui vous fasse connaître la puissance ou la sagesse ou la miséricorde ou la justice de votre auteur. Que si cependant vous aviez assez l’habitude de la présence de Dieu pour n’avoir pas besoin de ces avertissements extérieurs, il est bien mieux sans doute de vous livrer à un mouvement direct vers votre Dieu.

Vous devez connaître aussi Notre-Seigneur, parce qu’étant l’homme parfait, il est le modèle de tous. Il peut être votre modèle dans l’oraison, dans l’humilité, dans la mortification, dans la pauvreté. 1° Dans l’oraison. Je redoute beaucoup pour vous (permettez-moi cette observation), je redoute beaucoup pour vous l’oraison d’imagination. C’est une oraison qui, sans doute, préoccupe fortement l’âme, qui lui inspire des résolutions grandes et généreuses, dans laquelle on fait beaucoup pour Dieu, mais dans laquelle il est bien difficile de ne pas faire quelque chose pour soi. L’esprit de dévouement, que je vous suppose, peut bien vous garantir de certains dangers, mais lorsqu’on se livre trop à ce que l’on éprouve dans le genre d’oraison dont je veux parler, l’on se croit quelquefois bien près de Dieu et l’on en est souvent fort loin. Pareille chose arrive dans la communion, où l’on croit avoir quelquefois les plus beaux sentiments, qui ne sont souvent que l’effet d’une exaltation de tête. Je ne dis pas que la communion faite avec des dispositions semblables soit mauvaise; je ne dis pas même qu’elle n’apporte pas un certain fruit, mais je crois fermement qu’elle ne donne pas tout celui qu’elle pourrait produire. Demandez-vous si vous ne cherchez pas les consolations de Dieu, au lieu de chercher le Dieu des consolations.

Pour en revenir à l’oraison, je désire vivement que vous avanciez dans ce que saint Jean de la Croix appelle la nuit obscure. Ce sont des ténèbres, où l’âme se perd pour ainsi dire. Il est possible, à la vérité, que Dieu ayant des voies pour chaque âme ait voulu vous éviter des peines, que vous paraissez redouter est qui seraient au-dessus de vos forces; aussi je ne vous écris pas de demander de semblables épreuves. Seulement, si vous aimez Dieu et si vous voulez imiter Jésus-Christ par la souffrance, je n’hésite pas à dire que l’oraison faite dans cet état de dépouillement, de vide, de désolation, de ténèbres, est la plus parfaite ici-bas. C’est celle que faisait Jésus-Christ sur la croix, lorsque, délaissé de Dieu et des hommes, il s’écriait: Mon père, mon père, pourquoi m’avez-vous abandonné?(2) Encore une fois, sur ce point je ne vous prescris rien, je m’en rapporte à votre générosité, et vous-même, quels que fussent vos désirs à cet égard, devez vous contenter de ne mettre aucun obstacle à l’action du Saint-Esprit; car la demander alors qu’on n’est pas capable de la supporter, c’est tenter Dieu. Seulement, soyez bien convaincue que deux heures d’oraison de ce genre vous feront plus avancer que toutes les mortifications imaginables.

Je n’ose pas vous prescrire un temps pour l’oraison. Mais j’aimerais beaucoup qu’à moins d’empêchements imprévus vous eussiez un temps réglé, ni trop court ni trop long, parce que vous êtes libre de le prolonger et qu’il vous en coûterait trop de prier, quand vous ne vous sentez pas disposée pour cela. Un temps fixe pour vous aurait deux immenses avantages: 1° De mortifier votre imagination, lorsqu’elle n’est pas en train de se mettre en prière; 2° de vous attirer une foule de grâces que vous avez perdues, à coup sûr, si, comme vous me l’avez dit, vous avez souvent abrégé votre oraison dans des moments de sécheresse.

2° Je ne m’étendrai point sur la vertu d’humilité. Je vous engagerai seulement à être humble envers vous-même. L’orgueil, après avoir été vaincu au dehors, se réfugie en nous et se prend à de belles petites minuties. Que c’est pitié de voir des âmes, capables de grandes choses, prises dans des toiles d’araignée! Dieu permet cela pour bien nous faire comprendre l’abîme des misères humaines. Sondez celui qui se trouve au fond de vous-même et, tous les jours, arrachez quelque racine de cette plante empoisonnée, qui repousse sans cesse et repoussera jusqu’à notre dernier soupir.

Un moyen que j’ai trouvé excellent pour fuir l’orgueil, c’est d’étudier moins ses infirmités que les perfections de Dieu. On ne descend jamais de cette contemplation pour regarder son mal et sa corruption, sans être bouleversé de tout le mal qui frappe les yeux de l’âme.

3° Vous voulez marcher dans la voie des mortifications. Prenez garde d’abord à ce que ce désir ne soit plutôt l’effet de l’irritation du tempérament. Dans cet état, on veut quelquefois les mortifications, comme on voudrait gratter une piqûre qui démange. Je vous demande pardon de la comparaison, mais elle est très exacte. Il est bien sûr que la personne que je suppose aura beaucoup de mérite à ne pas se gratter. De même, quelquefois, en a-t-on un très grand à résister au désir de se mortifier.

Je dois ajouter encore que, dans les mortifications, vous devez choisir celles qui altéreront le moins votre santé. Je vous fais de ceci un devoir rigoureux, parce que vous êtes mère. Fénelon fait observer qu’une mortification très grande est de s’astreindre, lorsqu’on a une santé faible, à un régime sévère.

Rien ne fomente plus l’orgueil que la mortification du corps. Cassien, je crois, vit dans un monastère du mont Sinaï un religieux qui s’était mis dans du fumier, afin de se faire dévorer vivant par les vers, et qui pourtant ne pouvait supporter la plus légère observation sans se livrer à de violentes colères.

Après ces trois observations, je déclare hautement que la mortification est le fondement de la vie du chrétien. Si quelqu’un veut venir après moi, dit Jésus-Christ, qu’il se renonce lui-même, qu’il porte sa croix et qu’il me suive!(3) Se renoncer, c’est mortifier son esprit; porter sa croix, c’est se mortifier dans sa conduite ou sa volonté; suivre Jésus, c’est marcher au Calvaire, où toutes les douleurs l’attendent.

Je suis convaincu que vous avez déjà fait usage de votre imagination, pour vous croire dans les situations les plus rudes et les accepter, supposé qu’il plût à Dieu de vous y placer. Les mortifications de ce genre sont, je crois, excellentes, et il n’y a de règle pour les limiter que de ne rien se permettre qui donne extérieurement de nous une opinion extraordinaire en bien ou en mal, ou qui suscite dans le coeur le plus léger mouvement d’amour-propre.

Quant aux mortifications du corps, je permettrais la discipline trois fois par semaine, pendant cinq ou six minutes au plus; la ceinture tous les jours, ordinairement depuis le lever jusqu’au déjeuner, sinon quatre heures dans la journée. Vous pourriez encore vous lever pendant la nuit du jeudi au vendredi, pour adorer Notre-Seigneur instituant le sacrement de l’Eucharistie ou souffrant au jardin des Olives. Vous pourriez l’adorer pendant une demi-heure. La nuit du vendredi au samedi, vous l’adoreriez dans le tombeau et vous pourriez passer deux ou trois heures, couchée sur les planches, ou sur un tapis, si votre chambre est pavée. La nuit du samedi au dimanche, pour féliciter Marie de la résurrection de son Fils, vous diriez une dizaine de chapelet. Puisque vous ne pouvez jeûner, mortifiez-vous sur la quantité ou la qualité mais qu’on ne s’en aperçoive pas trop. Se priver trop habituellement de dessert, lorsqu’on n’est pas nombreux ou tout à fait à son aise, peut être remarqué.

Dans tout ceci, l’obéissance consistera à ne pas faire davantage, mais la prudence doit vous suggérer de faire moins. Offrez le plus possible vos mortifications pour la conversion des pécheurs et le triomphe de l’Eglise.

Lorsque vous vous lèverez la nuit, songez aux crimes qui se commettent, et transportez-vous d’esprit au pied du Saint Sacrement pour le dédommager des outrages qu’il subit dans les villes, où il est seul au milieu de tant de corruption.

4° Je désirerais encore que vous voulussiez vous exercer dans la vertu de pauvreté, en ce sens que vous vous dépouilleriez de l’attente non seulement des biens temporels, auxquels, je présume, vous tenez fort peu, mais des biens de l’âme, de quelque nature qu’ils fussent, hors la grâce, l’amour de Dieu et sa jouissance dans l’autre vie. Lorsque Jésus-Christ disait qu’il n’avait pas une pierre pour reposer sa tête(4), ne voulait-il pas dire qu’il n’avait pas une seule consolation ici-bas? Quoique je ne voulusse pas trop presser ce sens, je ne puis vous dissimuler que je suis effrayé des consolations intérieures que vous éprouvez, et je ne les explique que par la réponse que Jésus-Christ fit à une grande sainte, qui avait été une grande pécheresse. Elle s’étonnait de toutes les grâces célestes qui pleuvaient sur elle, elle demandait qu’elles fussent retirées: « Rassurez-vous, ma fille, lui dit Notre- Seigneur, vous êtes un hameçon, avec lequel je prends une multitude de pécheurs. » Je vous estime fort heureuse, si vous êtes destinée à être un hameçon de ce genre(5).

Notes et post-scriptum
1. D'après le brouillon incomplet. L'écriture semble indiquer la période comprise entre 1836 et 1840; la date donnée est donc fort approximative.
5. La fin manque. Cette lettre remarquable nous révèle la direction élevée que l'abbé d'Alzon savait imposer aux âmes d'élite, même vivant dans le monde. Les mortifications conseillées et dont ne voudraient pas nombre d'Instituts religieux se retrouvent dans des lettres postérieures, adressées à d'autres personnes qui partageaient la manière de vivre de notre correspondante. On peut être certain que, s'il les proposait à ses dirigées, il commençait par les pratiquer lui-même.2. *Matth*. XXVII, 46; *Marc*. XV, 34.
3. *Matth*. XVI, 34.
4. *Luc*. IX, 58.