Vailhé, LETTRES, vol.2, p.57

10 dec 1840 [Nîmes, MILLERET Marie-Eugénie de Jésus Bhse

Sa position est affreuse, mais il faut attendre que la providence la délie. -Il accepte qu’elle lui écrive de temps en temps; conditions qu’il met à cette direction. -Disparition de certains préjugés par suite de sa dernière lettre. -Il ne faut pas abandonner à l’abbé Combalot le succès de l’oeuvre, mais tenir ferme aux points de la règle.

Informations générales
  • V2-057
  • 0+294|CCXCIV
  • Vailhé, LETTRES, vol.2, p.57
Informations détaillées
  • 1 AMITIE
    1 CONFESSEUR
    1 DEFAUTS
    1 DIRECTION SPIRITUELLE
    1 EXERCICE DE L'OBEISSANCE
    1 FRANCHISE
    1 MANQUEMENTS A LA REGLE
    1 MISERES DE LA TERRE
    1 NOMINATIONS
    1 PROGRAMME SCOLAIRE
    1 PROVIDENCE
    1 PRUDENCE
    1 RELATIONS DU PERE D'ALZON AVEC LES ASSOMPTIADES
    1 RELIGIEUSES DE L'ASSOMPTION
    1 SAINT-ESPRIT
    1 SALUT DES AMES
    1 SIMPLICITE
    1 SUPERIEUR DE COMMUNAUTE
    1 VICAIRE GENERAL
    1 VIE RELIGIEUSE
    2 COMBALOT, THEODORE
    2 TESSAN, JEAN-CHARLES DE
    3 CHATENAY
  • A LA R. MERE MARIE-EUGENIE DE JESUS (1).
  • MILLERET Marie-Eugénie de Jésus Bhse
  • le 10] décembre 1840.
  • 10 dec 1840
  • [Nîmes,
La lettre

Madame,

Je viens de lire avec la plus scrupuleuse attention la lettre que vous m’avez fait l’honneur de m’écrire et, après avoir invoqué les lumières de l’Esprit Saint, voici ce que je crois devoir vous répondre. Votre position est affreuse, mais il faut la maintenir jusqu’à ce que la divine Providence vous donne elle-même les moyens d’en sortir. J’accepte bien volontiers la demande que vous me faites de m’écrire de temps en temps. Je crois devoir vous donner mes motifs d agir ainsi:

1° Je crois qu’il y a peu de prêtres qui aiment autant M. Combalot que moi, quoique je ne me fasse aucune illusion sur ses défauts.

2° Les démarches que vous pourriez faire finiraient par nuire à ce pauvre Père, et, par contre à la communauté.

3° Enfin, mon confesseur, de chez qui je sors à l’instant, a cru que je pouvais en toute sûreté de conscience me charger de la correspondance que vous me demandez. Lui-même est supérieur de communauté et plein d’expérience: c’est l’antipode de M. Combalot(2).

Permettez-moi, à mon tour, de poser quelques conditions à nos rapports:

1° La plus grande liberté de les suspendre, lorsque vous ou moi le jugerons convenable. Je ne me charge jamais de la direction de personne, sans y mettre cette condition.

2° Tant qu’ils dureront, la plus grande franchise. Je l’entends en ce sens que, lorsque vous ne voudrez pas me parler de quelque chose, vous me disiez que vous ne voulez pas me parler sur ce point. Cela me suffira, et je vous promets de ne jamais aller au delà.

3° La résolution de ne jamais craindre de me blesser, comme aussi, de votre, part, la conviction que je ne vous parlerai jamais qu’en présence de mon crucifix. Je pourrai très souvent me tromper, mais en lisant ma lettre aux pieds de Notre-Seigneur, vous apprécierez l’intention qui l’aura dictée.

4° Ce que vous avez déjà compris être nécessaire, toutes les précautions de prudence, pour que mes lettres ne tombent entre les mains de personne.

Si ces conditions vous conviennent, je suis aussi disposé à vous parler que je l’étais peu, il y a un peu plus d’un an, lorsque vous m’écrivîtes pour la première fois (3). Ce changement de dispositions à votre égard vient de la disparition de certains préjugés que votre lettre fait tomber. J’avais été un peu choqué, je l’avoue, de votre trop grande simplicité à Chatenay(4). Je m’aperçois que vous n’étiez pas libre, et que vous agissiez contre votre jugement. J’étais un peu étonné aussi qu’une jeune personne m’écrivît, comme vous le fites, au sujet d’une nomination de grand vicaire. Je vis avec bonheur, ce que j’avais soupçonné, que cette lettre, qui en elle-même était parfaite, n’était qu’un acte d’obéissance(5).

Du reste, tout ce que contient votre lettre d’aujourd’hui entre tellement dans ma manière de voir que je ne puis m’empêcher de vous dire que je ferai pour vous tout ce qui dépendra de moi. Je ne suis pas, tant s’en faut, l’homme qu’il vous faudrait. Je dis ceci avec une bien profonde conviction; mais, puisque vous n’avez pas la permission de vous adresser à d’autres, prenez-moi pour votre pis-aller. Tout ce que je puis vous offrir, c’est un vif désir de votre salut, avec la plus ferme disposition de n’avoir rien à me reprocher à votre égard, lorsque je paraîtrai devant Dieu.

Non, vous ne devez pas abandonner à M. Combalot le succès de votre oeuvre. Vous me dites qu’autour de vous on compte plus sur vous que sur lui. Souvenez-vous de ce que je vous dis à Chatenay en sa présence. Si je n’avais compté que sur lui, je ne vous aurais pas dès lors engagée à aller en avant. Croyez que votre Père aime plus l’ouvrage fait que l’ouvrage à faire et partez de là pour le gouvernement de la maison. Vous n’êtes nullement obligée de le consulter sur toutes choses et de lui montrer vos lettres. Montrez-lui-en quelques-unes pour l’amuser et parlez-lui, de vous-même, de vos Soeurs en l’entretenant plus de ce qui est fait que de ce qui est à faire. Ce dernier moyen distraira son attention et tendra à vous faire admirer.

Vous avez raison, M. Combalot n’est pas fort en fait d’études et il ne changera pas, à cet égard. Il est un peu trop vieux pour cela. Il a pris son pli. Quand je dis qu’il a pris son pli, il est comme ces gazes toutes froissées et chiffonnées, à force d’être tournées et retournées; il faut un nouvel empois pour leur rendre quelque vigueur. Mais quel est l’empois qui rendra de la vigueur à l’intelligence de M. Combalot? Si vous voulez que je vous écrive sur le sujet d’un plan d’études, dites-le-moi. C’est chose fort difficile pour être bien faite. Cela exige au moins une lettre à part(6).

Non, vous ne devez pas tolérer les différentes choses dont vous me parlez. Tenez ferme aux points de règle. C’est votre droit, et, pour le reste, allez en esprit de foi, laissez-vous faire. Je sens qu’il faut pour cela un grand courage et qu’une position si pénible ne peut pas être longtemps soutenable. Mais nous ne pouvons aujourd’hui poser que des pierres d’attente. C’est à la Providence de dénouer vos liens, et, soyez-en sûre, le dénouement arrivera plus tôt que vous ne pensez. Que votre maison soit pour M. Combalot l’objet de quelque affaire un peu désagréable, et vous verrez s’il ne vous rendra pas votre liberté(7); ce sera à vous alors de prendre grand soin de n’avoir pas l’air de l’éconduire.

Je m’arrête pour aujourd’hui. J’ai voulu, du moins, vous prouver, par mon empressement à vous répondre, l’intérêt que je porte à votre oeuvre, la compassion que m’inspirent vos propres souffrances et le prix que j’attache aux prières que vous me promettez.

Veuillez agréer, Madame…

Em. d'Alzon.
Notes et post-scriptum
1. D'après une copie. La lettre est publiée dans *Notes et Documents*, t. II, p. 434-437, et les *Origines de l'Assomption*, t. 1er, p. 389-391.1. D'après une copie. La lettre est publiée dans *Notes et Documents*, t. II, p. 434-437, et les *Origines de l'Assomption*, t. 1er, p. 389-391.
2. Il s'agit de l'abbé de Tessan.
3. Le 13 septembre 1839.
4. Lorsqu'il se virent, pour la première fois, en octobre 1838.
5. La Mère Marie-Eugénie de Jésus dut, à la demande de l'abbé Combalot, féliciter l'abbé d'Alzon de sa nomination à la charge de vicaire général.
6. Si cette lettre fut écrite, nous ne la possédons pas.
7. Cette prévision ne tarda pas à se réaliser: moins de cinq mois après, dans les premiers jours de mai 1841, la séparation était complète et définitive entre le fondateur et ses filles.