Vailhé, LETTRES, vol.2, p.96

4 oct 1843 Nîmes, MILLERET Marie-Eugénie de Jésus Bhse

Il vient de prêcher une retraite. -De l’anéantissement de la liberté et du découragement. -De la partie naturelle de l’âme et des désespoirs. -Le tempérament et les passions ne sont pas un mal en soi; ce qui est mauvais, c’est l’adhésion de la volonté à l’impulsion reçue. -Il enverra sous peu les Constitutions annotées.

Informations générales
  • V2-096
  • 0+313|CCCXIII
  • Vailhé, LETTRES, vol.2, p.96
Informations détaillées
  • 1 ACTION DU CHRIST DANS L'AME
    1 AMOUR DU CHRIST
    1 ANEANTISSEMENT
    1 CARACTERE
    1 CELEBRATION DE LA MESSE PAR LE PRETRE
    1 CHARITE ENVERS DIEU
    1 CONSTITUTIONS
    1 CORRUPTION
    1 DEFAUTS
    1 DISPOSITIONS AU PECHE
    1 ENVIE
    1 FATIGUE
    1 GRACE
    1 HUMILITE
    1 LACHETE
    1 LIVRES
    1 MALADIES
    1 MISERICORDE DE DIEU
    1 ORGUEIL
    1 PARESSE
    1 PASSIONS
    1 PREDICATION DE RETRAITES
    1 REPRESSION DES ABUS
    1 SIMPLICITE
    1 SOUFFRANCE
    1 TEMPERAMENT
    1 VOIE UNITIVE
    2 FRANCOIS D'ASSISE, SAINT
    2 MARIE-MADELEINE, SAINTE
    2 MONNIER, JULES
    2 O'NEILL, THERESE-EMMANUEL
  • A LA R. MERE MARIE-EUGENIE DE JESUS (1).
  • MILLERET Marie-Eugénie de Jésus Bhse
  • le 4 octobre 1843.
  • 4 oct 1843
  • Nîmes,
La lettre

Je viens de dire la messe, ma chère enfant, et j’y ai beaucoup prié Notre-Seigneur et saint-François pour Soeur Th[érèse]-Em[manuel] et pour vous. Je me hâte de profiter d’un moment libre que j’ai pour vous répondre. J’en ai été empêché toute la semaine dernière par une retraite qu’il m’a fallu prêcher et par des maux de dents assez forts(2). Je vais tâcher de répondre à votre paquet que j’ai reçu par M. Monnier et à votre lettre du 18 septembre.

J’ai lu le fragment de Soeur Th[érèse]-Em[manuel]; il ne m’a pas autant frappé à la première lecture qu’à la troisième. Je le trouve très beau et très vrai, quoique j’y aie cru voir un certain anéantissement de la liberté, qui s’explique pourtant quand on se rappelle que c’est une âme uniquement préoccupée de l’action de Jésus-Christ sur elle. Il me semble que si, comme elle le dit, ce sont là vos dispositions, elles sont bonnes, et vous pouvez en toute sûreté d’amour et de confiance vous y abandonner. Quant à vos impressions de retraite, ma chère enfant, je les ai fort goûtées, surtout si vous pouvez vous y tenir. Votre chagrin et votre découragement m’ont vivement peiné. Vous aviez si bien commencé, pourquoi ce découragement? Quel fruit en retirez-vous? Revenez, autant qu’il dépendra de vous, aux dispositions du premier jour. Je ne puis croire qu’il y ait de l’illusion dans vos dispositions de perte amoureuse de votre âme en Dieu. Ecoutez-le bien, quand il vous demande d’être toute sienne; laissez-le maître souverain de vos affections et, puisque les voies dures ne vous mènent pas loin, renoncez-y. Je crois devoir vous faire admirer comment Dieu conduit au même terme, qui est l’union, par des voies diverses. Je puis m’être trompé sur votre compte, mais il me semble que je voulais arriver au même résultat. Dieu veut vous traiter plus amoureusement que je n’avais pensé. Il faut bien le laisser faire. Il est plus miséricordieux que moi, et ce n’est pas étonnant.

Ne vous fatiguez plus, ma fille, à me faire connaître la partie naturelle de votre âme. Il me semble que vous en avez assez dit, et avant votre longue lettre du 18 septembre que j’ai lue et relue, il me paraît que je vous connaissais déjà. Toutefois, les aveux que vous y faites me plaisent. Mais je suis convaincu qu’il y a encore bien à descendre. Parlez-moi souvent de votre disposition d’aimer Notre-Seigneur. Il me semble qu’il est difficile de s’occuper d’un pareil sujet sans éprouver le désir de se transformer entièrement en lui. Je vous assure que je ne cherche point à vous imposer de système et je vous dirai même que, pendant quelque temps, moi aussi, je les ai redoutés de votre part, et j’ai été tout aise quand j’ai vu que vos impressions changeaient trop souvent pour être une idée fixe.

Croyez-vous, ma fille, qu’il soit bien nécessaire que je vous suive dans ce que vous appelez le galimatias de vos désespoirs? Je vous plains de toute mon âme; mais puisque vous avez le remède à tous ces maux dans la pensée exprimée dans votre devise, pourquoi ne pas aller chercher là, avec un peu d’amour, la consolation assurée? Je suis convaincu que vous aimez beaucoup le bon Dieu. Mais ne croyez-vous pas l’aimer trop analytiquement? Allez donc avec toute simplicité et perdez vous bien dans la vue de Dieu seul.

Dieu soit béni, ma chère enfant, puisqu’il permet que vos maladies soient courtes, et qu’avec le mal de l’âme la souffrance du corps disparaisse! Jouissez bien de votre réconciliation avec Notre-Seigneur, et puisque, comme Madeleine, vous voulez vous tenir à ses pieds, baisez-les-lui quelquefois et pour vous et pour moi.

Vous trouverez peut-être, ma fille, que je me recherché trop en m’occupant de vous. Mais j’espère bien que si ce qui…(3) en moi depuis quelque temps venait de quelques défauts que vous eussiez remarqués, vous m’en feriez part.

Il me semble que vous ne voyez pas bien clairement ce que l’on peut attribuer à une personne, en affirmant d’elle qu’elle a certains défauts. Il est incontestable que l’homme naît avec tel ou tel caractère, qui résulte de la combinaison de ses passions, de son tempérament, etc. Ni le tempérament ni les passions ne sont un mal en soi, mais l’abus des passions et du tempérament entraîne par l’effet de la corruption primitive un penchant à certains défauts. Ce penchant lui-même n’est pas mauvais, ce n’est que l’adhésion de la volonté à l’impulsion reçue qui est mauvaise. Si donc on vous dit que vous êtes orgueilleuse, paresseuse, jalouse, etc., etc., on dit seulement que vous devez vous surveiller sur ces points, parce que le foyer du péché que nous portons tous lance des flammes de ce côté. D’où il résulte, par contre-coup, que votre orgueil peut rendre votre humilité plus grande et qu’au lieu de pleurer, en pensant à l’orgueil de la manière dont vous l’entendez, vous devez bénir Jésus-Christ qui fait surabonder la grâce là où abonderait le péché, si la grâce ne l’étouffait.

L’impression qui vous porte à marcher, non en connaissance, mais en amour est très bonne. Tout cela n’est qu’une modification de la grande impression générale.

Je vous enverrai au plus tôt les « Constitutions » du Verbe incarné. Je n’ai pas lu les deux livres que vous me citez, mais je me procurerai aisément le second.

Adieu, chère fille. Priez bien pour moi. Vous recevrez vos Constitutions annotées, au premier jour. Un peu de fatigue me cause un mouvement nerveux qui m’empêche d’écrire.

Notes et post-scriptum
1. D'après une copie. Voir des extraits dans *Les origines de l'Assomption*, t. II, p. 186.1. D'après une copie. Voir des extraits dans *Les origines de l'Assomption*, t. II, p. 186.
2. "La semaine dernière" va du 24 au 30 septembre.
3. Il manque un mot par suite d'une déchirure.