Vailhé, LETTRES, vol.2, p.106

13 nov 1843 Nîmes, MILLERET Marie-Eugénie de Jésus Bhse

Il souffre beaucoup, et depuis plus d’un mois, de névralgies. -Il faut accepter la douleur de nos désespoirs comme expiation du mal que le désespoir a pu produire. -La plante ne pousse au printemps qu’autant que, l’hiver, elle a enfoncé ses racines sous le sol. -Etat de son âme à lui: il est craintif par réflexion, parce qu’il est trop confiant par nature.

Informations générales
  • V2-106
  • 0+317|CCCXVII
  • Vailhé, LETTRES, vol.2, p.106
Informations détaillées
  • 1 ACTION DE DIEU DANS L'AME
    1 CELEBRATION DE LA MESSE PAR LE PRETRE
    1 CROIX DE JESUS-CHRIST
    1 DEFAUTS
    1 DESESPOIR
    1 ESPRIT ETROIT
    1 GLOIRE DE DIEU
    1 IVROGNERIE
    1 LUTTE CONTRE SOI-MEME
    1 MALADIES
    1 MEDECIN
    1 PLANTES
    1 PREDICATION
    1 REFORME DU CARACTERE
    1 SALUT DES AMES
    1 SOUFFRANCE
    1 SOUFFRANCE ACCEPTEE
    2 COMBALOT, THEODORE
    3 CHATENAY
    3 JERUSALEM, JARDIN DES OLIVIERS
  • A LA R. MERE MARIE-EUGENIE DE JESUS (1).
  • MILLERET Marie-Eugénie de Jésus Bhse
  • le 13 novembre 1843.
  • 13 nov 1843
  • Nîmes,
La lettre

Je reprends, ma chère enfant, votre lettre du 15 octobre et je vous demande pardon de n’avoir pas tenu plus tôt ma promesse de continuer sur-le-champ. Mais à un arriéré d’occupations est venu se joindre mon vilain mal de tête.

Vous me demandez, dans votre lettre que j’ai reçue hier, ce qui me fait souffrir. C’est, il paraît, une irritation d’estomac, qui procure une irritation des nerfs du cerveau et de toute la face; en un mot, c’est ce qu’on appelle aujourd’hui une névralgie. Je vous assure que lorsqu’avec ces douleurs il faut dire la messe ou monter en chaire, il y a de quoi se trouver mal. Et voilà où j’en suis! Hier surtout, j’ai eu une nuit et une journée affreuses. Comme cela dure, sauf quelques intervalles, depuis plus d’un mois, je crois quelquefois que je finirai par devenir fou. Soyez persuadée que je trouve qu’avec cela, il y en a bien assez. Je m’en contente, et quand le mal me prend, je n’ai pas la force d’en demander davantage. Vous saurez, au reste, que les médecins prétendent que ma constitution est disposée de manière à me faire sentir la douleur dix fois plus qu’un autre.

Mais je reviens à vos moutons. Que vous deviez aimer le mépris, rien de plus vrai. Mais il n’en résulte pas [du tout] que je vous méprise. Je crois être sûr de n’avoir jamais eu ce sentiment pour vous. Je vous ai seulement, une fois, trouvée un peu femme à Chatenay(2). Ainsi, ne vous tracassez pas sur cet article. Si jamais vous m’inspirez quelque chose de semblable, je vous promets de vous le dire. Reprenons, une dernière fois, ce que je vous ai dit sur vos souffrances. J’espère que, si je me suis mal expliqué jusqu’à présent, nous finirons par nous entendre. Lorsque je vous ai dit d’accepter vos désespoirs, il me semblait vous avoir dit d’accepter seulement la douleur. Mais la douleur même est l’expiation du mal que le désespoir a pu produire. Il faut que je m’explique par une comparaison un peu grossière. Un homme s’enivre. Il en résulte pour lui une maladie. Peut-il faire mieux, s’il est chrétien, que d’accepter sa maladie en expiation de son ivresse? Veut-il s’être enivré? Non, mais il accepte d’être malade et il veut la conséquence de l’ivresse dans laquelle il s’est mis. Or, je dis que cette souffrance acceptée est bonne dans le sens où il l’accepte. Vous avez des désespoirs. Ils viennent d’une cause volontaire ou forcée. S’ils viennent d’une cause volontaire, ils sont mauvais dans leur principe. Ce que vous avez de mieux à faire, c’est d’accepter les douleurs qu’ils vous causent, tout en détestant le principe; comme mon ivrogne accepte la maladie, tout en détestant son ivresse. Ou bien la cause de ce désespoir est forcée, alors elle est involontaire; alors aussi elle n’arrive que par la permission de Dieu. Mais si elle vient par la permission de Dieu, peu importe que vous en compreniez l’utilité, pourvu que vous sachiez que c’est lui qui vous l’envoie.

Enfin, j’en reviens toujours à ce que je crois vous avoir déjà dit. Jésus-Christ sur la croix ne souffrait-il pas les douleurs du désespoir? Dire qu’il se désespérait serait un blasphème, mais il n’en acceptait pas moins cette propassion. Je n’ai jamais voulu dire ni plus ni moins que ce que nous enseigne l’état de Jésus-Christ sur la croix ou au jardin des Olives.

Avez-vous, comme vous le craigniez, perdu votre temps? C’est possible. Pourtant, je ne le pense pas. Le mépris de soi-même est un grand bien et, après ce qui s’est passé, vous pouvez avoir grand sujet de vous mépriser. Il ne s’agit pas de savoir si, pendant que vous étiez ainsi souffrante, vous aperceviez vos progrès. La plante ne pousse au printemps hors de terre qu’autant que, pendant l’hiver, elle a enfoncé ses racines invisibles sous le sol. Non, mon enfant, il ne faut jamais s’attacher à une direction par aucun autre motif que la pensée de Dieu. Mais peut-être sur ce point Dieu retient-il souvent une âme [par] d’imperceptibles liens, afin d’agir plus librement sur elle. Votre bon caractère reviendra, croyez-le, mais tel que Dieu l’aura façonné.

Il me semble que, pour moi, j’aperçois quelque chose de semblable dans le fond de mon âme. Assez pour aujourd’hui, chère enfant. A un autre jour ma réponse pour ce que vous me dites dans votre lettre d’hier. Je vous dirai seulement que je me tiens assez bien sous la main de Dieu vis-à-vis de la personne en question. Je goûte toujours beaucoup ce que vous m’engagez à faire par rapport à ma force et à ma douceur. Parlez-moi souvent ainsi.

Adieu, chère enfant. Je suis mille fois plus que je ne puis vous le dire tout à vous en Notre-Seigneur.

Je veux encore ajouter qu’il est possible que je sois étroit, mais que je crois plutôt être craintif, par réflexion précisément, parce que je suis trop confiant par nature. Mon caractère excessif en tout me porte d’une exagération dans une autre. Je demande à Dieu d’être avec vous de la manière qui lui conviendra le plus pour sa gloire et votre sanctification.

Votre montre se porte bien(3).

Notes et post-scriptum
1. D'après une copie. Voir des extraits dans *Les Origines de l'Assomption*, t. II, p. 187.1. D'après une copie. Voir des extraits dans *Les Origines de l'Assomption*, t. II, p. 187.
2. Lors de leur première rencontre, à l'automne de 1838, avant la fondation des religieuses de l'Assomption. L'abbé Combalot avait imposé à Mlle Milleret, pour la faire valoir devant son hôte, des traductions de classiques latins.
3. La montre dont elle lui avait fait cadeau.